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Préparons-nous aux belles excursions

Je ne saurais trop répéter qu’on ne peut trouver d’agréments à la bicyclette qu’à condition d’apprendre à s’en bien servir.

Il est curieux, et regrettable, qu’entre huit millions de cyclistes, il en est si peu qui soient bien placés en machine et qui pédalent correctement. En cela, la bicyclette est victime des commodités immédiates qu’elle offre à tout le monde. N’importe qui, montant n’importe comment, fait avec elle bien plus de chemin qu’à pied. Ce résultat suffit, et l’on ne cherche pas à obtenir davantage par un peu d’étude et d’entraînement.

Cette ignorance, ou cette négligence, sont causes de fréquents déboires ; on leur doit l’abandon du cyclisme par bien des personnes qui pensaient que le tourisme à bicyclette était beaucoup plus facile et plus agréable qu’elles ne l’ont trouvé.

Par le premier beau dimanche de printemps, répondant à l’appel de la nature en fête, on est parti, plein d’entrain, pour une charmante excursion. Il ne s’agissait que de 60 à 80 kilomètres. Qu’est cela, quand on sait que tout cycliste honorable abat sans peine ses 200 kilomètres à 20 de moyenne ? Il n’empêche qu’on a trouvé le vent terrible, les côtes insurmontables, et qu’on revient fourbu au logis, jurant de ne plus recommencer cette folie : « C’est bon pour les coureurs ! »

En réalité, il n’est personne, à moins d’être un grand malade qui ne puisse les faire sans fatigue, ces 80 à 100 kilomètres, à condition d’avoir une bonne bicyclette, d’être bien campé dessus, de savoir pédaler convenablement, et, enfin, de se maintenir en un certain état d’entraînement corporel.

Nous avons exposé les principes du pédalage et de la position en machine ; nous avons insisté sur la nécessité de pédaler en souplesse, et non pas en force, sur l’erreur, si souvent commise, d’employer des grands développements, au-dessus de 5m,50, qui ne peuvent convenir qu’à des athlètes spécialisés, capables de rouler à plus de 40 à l’heure. Et nous avons conseillé à chacun de profiter de l’hiver pour se réformer sur ces divers points, pour adopter une bonne position et s’y habituer, pour travailler le jeu de la cheville, en l’étendant, et le jeu du genou, en le limitant. Il faut quelque temps, de la persévérance et de la méthode, pour se corriger ainsi des mauvaises techniques auxquelles on s’est accoutumé. À prime abord, on se trouve dérouté. Il n’est jeune homme perché en avant du pédalier, belle dame pédalant à plein talon, digne bourgeois assis tout droit sur sa selle, qui, après essai d’une manière plus classique, ne veuillent revenir à celle dont ils ont l’habitude, affirmant « qu’ils poussent mieux comme ça ». Mais il s’agit précisément de changer une mauvaise habitude contre une bonne ; et la bonne façon de pédaler qu’on leur recommande ne deviendra une habitude qu’après qu’ils l’auront pratiquée suffisamment. Mais alors, elle aura un rendement bien supérieur à celui de la mauvaise.

Quand on possède une bonne technique, on ne la perd jamais ; celui qui sait nager, même s’il est resté plusieurs années sans pratiquer, retrouve les gestes sauveurs le jour qu’il tombe à l’eau ; de même le cycliste qui a eu du « style », s’il revient au vélo après vingt ans d’abandon, se place convenablement et pédale correctement ; il est déjà avantagé sur un camarade qui n’a cessé de cycler, mais en mauvaise position et sans souplesse.

Cependant la technique ne suffit pas pour mener à bien une randonnée de quelque importance. Faute d’entraînement corporel, le plus beau coup de pédale du monde aboutit bientôt à la fatigue et aux courbatures. Le cyclisme est un exercice physique d’une certaine intensité. Il n’est bien supporté que par des muscles, des poumons et un cœur suffisamment entraînés.

Il ne s’agit nullement de l’entraînement sportif, athlétique, grâce auquel les champions remportent leurs victoires et font parfois fortune. Cette « forme » aussi parfaite qu’instable n’est point nécessaire au cyclotouriste, ni même au randonneur. Toutefois il leur faut des muscles et des organes habitués au travail, capables de fonctionner en bonne coordination et suivant un rythme assez rapide ; c’est-à-dire que le corps doit être dans un état assez différent de celui où le met l’inaction physique prolongée, et qui se caractérise par la facilité à s’essouffler, à se congestionner, à avoir des palpitations précipitées du cœur, dès qu’on se livre à un exercice un peu énergique ; par exemple, la montée de quatre ou cinq étages.

Voilà justement un excellent critérium de cet état d’entraînement général et moyen, nécessaire pour cycler facilement, et que, d’ailleurs, tout le monde devrait acquérir et conserver, parce qu’il est un gage certain de santé.

Donc grimpez cinq étages d’escalier, à bonne allure, en respirant bien. Si la suffocation vous arrête en route, même si vous n’arrivez en haut que hors d’haleine, le cœur battant la chamade, et sans pouvoir vous remettre avant une ou deux minutes, vous peinerez au cours d’une randonnée de 100 kilomètres, peut-être n’arriverez-vous pas au bout, et, en tous cas, vous serez courbaturé pendant plusieurs jours.

Dans ces conditions, faut-il renoncer à faire du vélo ? Non, ce serait renoncer à la santé. Tenez plutôt l’épreuve de l’escalier pour un bon conseil, ou même pour un signal d’alarme. Vos organes s’encombrent de déchets, s’affaiblissent, fonctionnent au ralenti. Réentraînez-les par l’exercice progressif : culture physique, marche à bonne allure, montée d’escaliers, le tout à dose progressive. Et, puisqu’il s’agit de cyclisme, faites des sorties courtes, mais fréquentes. Souvent vos occupations s’accommodent de l’emploi de la bicyclette. Dans le cas contraire, on trouve toujours une heure, trois fois par semaine, pour rouler de 20 à 25 kilomètres, en finissant un peu fort.

Par ces divers moyens, et surtout si l’on a une bonne technique, la forme viendra. Tout le fonctionnement organique se trouvera équilibré. On sera en « état d’entraînement général ». On grimpera les cinq étages presque en courant.

Alors la grande randonnée, même de 200 kilomètres, ne sera plus qu’un jeu.

À condition cependant de boire et manger ce qu’il faut au cours de cette longue étape. Nous étudierons ces problèmes.

Dr RUFFIER.

Le Chasseur Français N°599 Mai 1940 Page 276