Nous avons vu dans notre dernière causerie comment la
combustion d’un explosif influait sur le recul et quelle était l’importance du
déchet résiduel solide, ainsi que celle du poids de la charge nécessaire à
l’obtention des vitesses standard. Il semblait, il y a quelques années, que la
poudre T, très patiemment mise au point durant un bon quart de siècle, ne pût
laisser place à un meilleur explosif de chasse ; en dépit de quelques
critiques, généralement intéressées, elle restait de beaucoup la meilleure des
poudres françaises et étrangères. Nous avons vu cependant apparaître la poudre
K2 dont les inventeurs avaient l’ambition légitime de mettre à la disposition
du monde cynégétique une poudre ayant les avantages de la poudre T et quelque
chose de plus. Examinons en premier lieu ce quelque chose de plus.
Les seules critiques, bien légères, que l’on ait pu faire à
la poudre T portaient sur deux points : l’action chimique sur le métal des
canons et sa présentation sous forme de lamelles. Nous avons eu souvent l’occasion
d’exposer dans ces causeries combien l’attaque de l’acier des canons était peu
importante pour le chasseur soigneux qui ne remettait pas à huitaine le
nettoyage de son arme. Très récemment, le parachromage mettait à la disposition
des insouciants un moyen radical de préservation en l’absence de tout soin et
faisait tomber ce genre de critique.
En ce qui concerne la forme lamellaire de la poudre T,
quelques soins dans le chargement évitaient facilement au chasseur toute erreur
sensible : de ce côté, il n’y avait rien de bien grave à invoquer.
Et cependant, sur ces deux points, la poudre K2 est
nettement supérieure à la poudre T. Sa structure granulaire et sa densité
gravimétrique sont particulièrement avantageuses en vue d’un chargement rapide
et précis : nous notons en effet que la densité de la K2 est de 0,480,
alors que celle de la T est de 0,565. À poids égal, la charge normale occupe un
volume plus grand et, par conséquent, l’erreur que l’on peut commettre, en
pratiquant le chargement au volume, se trouve relativement plus petite.
Beaucoup de chasseurs habitués à employer les poudres en grains M, J, S et même
les poudres noires avaient quelque difficulté à se faire à l’emploi de la
poudre T ; la présentation de la K2 leur a donné toute satisfaction. Les
usagers de cette dernière ont pu constater, au cours des premières saisons de
chasse, que dans les plus mauvaises conditions d’entretien, l’attaque des
canons était à peu près négligeable ... Et ce n’est pas tout.
La poudre K2 est moins sensible que toutes les autres
poudres pyroxylées à l’influence de l’humidité atmosphérique et, par
conséquent, sa conservation en cartouches chargées est mieux assurée ; de
plus, elle donne des groupements un peu supérieurs à la poudre T. Et comme,
d’autre part, elle s’emploie, à charges de plomb et à vitesses égales, à des
poids un peu moins élevés que la T dans les calibres usuels, il s’ensuit que le
recul est, à puissance égale, un peu moins sensible.
Et comment se fait-il, diront beaucoup de nos lecteurs, que,
dans ces conditions, la nouvelle venue n’ait pas, en deux saisons, remplacé
toutes les autres3 ? Ici, le côté scientifique cède le pas aux questions commerciales :
pas plus dans le domaine de la chasse que dans d’autres matières, on ne voit le
meilleur des systèmes, la meilleure des marchandises supplanter en quelques
années tout ce qui s’est fait antérieurement. N’en voyons pour preuve que ce
fait qu’après un demi-siècle d’usage, des poudres pyroxylées, on vend encore
des quantités considérables de poudre noire. Si le Monopole français, une fois
bien fixé sur les qualités de la poudre K2, décidait de ne plus vendre de
poudre T après épuisement des stocks fabriqués, cette dernière irait rejoindre
dans l’oubli les types J, R et S ; nous en conserverions un excellent
souvenir, mais n’en manifesterions aucun regret, bien persuadé qu’elle serait
avantageusement remplacée à tous points de vue par la poudre K2. Et, ce
faisant. Le Monopole rendrait un signalé service à l’Armurerie Française qui,
actuellement, est obligée de stocker des cartouches-chargées avec les deux
variétés de poudres, en vue de répondre aux demandes de la clientèle. Il est
illogique de maintenir la fabrication de deux explosifs excellents, lorsque le
dernier venu offre quelques avantages certains sur l’ancien ; espérons que,
quelque jour, cette vérité apparaîtra à qui de droit. Les futures circonstances
économiques apporteront vraisemblablement une notable contribution aux
simplifications indispensables.
Disons maintenant quelques mots d’une dernière variété de
poudres de chasse. Nous avons vu, dans la précédente causerie, qu’il y avait
intérêt à rechercher dans la création d’un explosif certaines variétés de corps
susceptibles de donner lieu à un volume gazeux important mais de faible poids lors
de leur combustion : il y a donc lieu de s’adresser à certains composés
chimiques dont la décomposition se fait avec un important dégagement de
chaleur. Le plus souvent, dans ce genre d’explosifs, on a recours à une
addition de nitroglycérine ou de corps analogues. Il existe, en ce genre,
quelques poudres étrangères assez réussies au point de vue de la
puissance ; mais qui ont toutes le défaut commun, en raison de la
température, de produire assez rapidement des érosions dans le métal des
canons. Ces érosions, qu’il ne faut pas confondre avec l’attaque postérieure à
la combustion dont nous avons précédemment parlé, ont, en ce qui concerne la
conservation des armes, un effet au moins aussi pernicieux. Il ne semble pas
que l’avenir nous réserve beaucoup de progrès dans cette voie : à
l’étranger, où l’absence de monopole permet la mise sur le marché d’un assez
grand nombre de nouveautés, les poudres à base de nitroglycérine voient depuis
quelques années décliner leur vogue, et les fabricants reviennent à des types
qui s’écartent peu de nos poudres françaises.
Indépendamment du maximum de pression que peut développer
une certaine poudre, il convient d’examiner quel est le régime de développement
des pressions pendant le très court instant correspondant au trajet de la
charge dans le canon. Les poudres noires et les poudres à la nitrocellulose
n’agissent pas de la même manière à ce point de vue et, s’il fallait appliquer
l’étiquette de poudres brisantes à celles qui donnent le plus fort coup de
bélier, ce seraient les poudres noires qu’il conviendrait de qualifier de
brisantes. Elles donnent en effet une pression assez élevée pendant un très
court instant seulement, alors que les poudres à la nitrocellulose sont plus
lentes à réaliser leur maximum de pression, mais ont une détente plus soutenue.
En pratique, un canon étoffé au tonnerre suffit pour l’emploi de la poudre
noire, et il peut être d’un métal assez tendre ; en raison de la
persistance de l’effort, dans le cas de l’emploi d’une poudre à la
nitrocellulose, le métal devra être choisi d’une qualité supérieure, en vue
d’obtenir à la fois une résistance suffisante sur toute sa longueur, sans
exagération du poids, et une aptitude à supporter l’érosion consécutive à la
température plus élevée de la déflagration.
Il résulte de ces considérations que la poudre noire est
réservée aux armes datant déjà d’un certain nombre d’années, au cas où il y a lieu
de les maintenir en service, et les poudres pyroxylées doivent être
exclusivement employées dans des canons en acier spécial portant les poinçons
d’épreuve correspondante.
Nous signalerons également que la persistance de l’effort
dans le cas de l’emploi des poudres modernes fatigue davantage la bascule, et que
cette partie de l’arme doit être étudiée en conséquence, tant au point de vue
des dimensions que de la qualité du métal.
Et, pour terminer, expliquons pourquoi les poudres de guerre
à la nitrocellulose sont absolument inapplicables au tir dans les armes de
chasse. Ce genre d’explosif est spécialement étudié pour l’emploi dans des
armes de petit calibre, dans lesquelles la pression est beaucoup plus élevée
que dans les fusils de chasse (environ 2.500 kg. contre 500 kg.). En outre,
leur composition et leur grainage les rend impropres à une combustion
rationnelle à basse pression ; il en résulte qu’il est, ou bien difficile
de les enflammer, ou bien, si l’on emploie un artifice d’allumage, dangereux de
les employer. On ne peut en obtenir que des accidents ou des mécomptes ;
le plus souvent, c’est l’accident qui survient, et nous croyons que dans la
période actuelle il n’est pas inutile de prévenir une fois de plus les amateurs
de ce genre d’expériences du danger qu’ils courent en dépit de toutes les
variations dans le poids de la charge ou les méthodes de chargement.
M. MARCHAND,
Ingénieur E. C. P.
(1) Voir no de Mai 1940.
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