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L’alimentation du cycliste

Au cours des longues randonnées.

Pour mener à bien des randonnées cyclistes un peu longues, il importe de s’alimenter convenablement. L’énergie que l’on dépense en abattant des kilomètres se fabrique dans l’organisme du cycliste aux dépens des matériaux alimentaires qu’il a ingérés et digérés. Que si ces matériaux sont insuffisants, mal choisis, ingérés mal à propos, la source d’énergie musculaire se tarit, et le pédalage se fait de plus en plus pénible, pour s’arrêter enfin devant une lassitude insurmontable.

Cette relation de la dépense d’énergie à la recette alimentaire est à prendre en considération dans tout exercice physique, et même dans tous les actes de la vie courante. Mais elle manifeste particulièrement ses exigences dans la pratique du cyclisme, parce que c’est là un mode de travail musculaire qui « débite des kilogrammètres », et, par conséquent, des calories, d’une façon abondante et soutenue. J’ai souvent insisté sur cette étonnante adaptation du « moteur humain » à la bicyclette. Elle résulte probablement de la facilité qu’ont les robustes membres inférieurs de travailler « en pédalant », pendant que la poitrine se trouve tout à l’aise pour respirer profondément.

Quoiqu’il en soit, un cycliste qui roule à une bonne allure, entre 20 et 25 kilomètres à l’heure, dépense de 500 à 600 calories à l’heure. Un mauvais pédaleur, qui peine sans pouvoir atteindre cette vitesse, n’en dépense pas moins d’énergie ; souvent même il en dépense davantage, par gaspillage de ses forces. Un cycliste très entraîné au coup de pédale souple et facile dépensera moins que ces 500 calories, s’il se contente de 20 kilomètres-heure ; mais, généralement, il ira beaucoup plus vite, atteignant le 30, et, en course, le 40 ; dés lors, il dépense 700 à 800 calories. Dans son record de l’heure, amené à 46 kilomètres, Archambault m’a paru avoir atteint 1.400 calories.

En d’autres sports, tels que course à pied, foot-ball, les pratiquants peuvent dépenser autant ; mais ils ne le font guère pendant plus d’une heure. Le cycliste poursuit son travail, au même rythme, pendant une journée entière, extériorisant ainsi 7.000 à 8.000 calories, davantage encore s’il s’agit d’épreuves sportives telles que Bordeaux-Paris ou l’étape Bayonne-Luchon du Tour de France.

Mais tenons-nous au cas du vaillant cyclotouriste, du bon randonneur qui couvre de 200 à 250 kilomètres dans la journée. Suivant son état d’entraînement, son poids et celui de ses bagages, il débite de 5.000 à 8.000 calories. Dans quelle alimentation les trouvera-t-il ?

Remarquons que ce problème se pose — ou plutôt devrait se poser — à tout homme désireux de s’alimenter raisonnablement. Au lieu de manger suivant des habitudes, des préjugés et même des régimes, on devrait se demander chaque jour : « Qu’ai-je le droit et le devoir de manger, étant donné que, par mon activité physique, j’ai débité telle ou telle quantité d’énergie ? »

Mais, faute de se poser ainsi la question, la plupart des gens s’alimentent fort mal ; les uns mangent trop, les autres pas assez ; et ces derniers, me semble-t-il, victimes d’une hygiène mal comprise, deviennent de plus en plus nombreux.

Pour établir la ration alimentaire sportive, de 5.000 à 8.000 calories, tout comme celle des inactifs qui est d’environ 2.500 calories, et celle de 3.500 qui convient à la moyenne des travailleurs, il est nécessaire de connaître la valeur énergétique des aliments usuels. Cela paraît compliqué, parce que les Tables qui indiquent ces valeurs en calories donnent des chiffres très exacts, portant sur des centaines d’aliments.

Nous n’avons pas besoin de ces précisions, d’autant que le calcul de la dépense est lui-même fort approximatif. Il ne s’agit que d’éviter les grandes erreurs ; l’organisme humain est assez souple pour s’adapter aux petites.

Il suffit de savoir, en nombres arrondis, la quantité de calories que donnent 100 grammes d’une dizaine d’aliments essentiels ; les autres seront jugés par approximation ; par exemple, les pâtes alimentaires comme le pain, les graisses comme le beurre.

Le sucre, qui est un « hydrate de carbone » pur, est l’aliment musculaire par excellence. Il fournit, par 100 grammes, 400 calories, soit 170.000 kilogrammètres, dont le tiers environ représente effectivement du travail mécanique. Oh pourrait donc croire qu’il suffit de manger 2 kilogrammes de sucre pour disposer d’une énergie de 8.000 calories nécessaire à une longue et dure randonnée. Mais il n’en va pas ainsi. L’organisme ne peut brûler un seul aliment, un seul combustible à la fois. Pour que l’opération — qui consiste en une libération d’énergie — s’effectue bien, trois combustibles, de nature différente, doivent flamber ensemble. Il faut de l’hydrate de carbone (les sucres), de la graisse (beurre, huile), de l’albumine (protéines de la viande, des œufs, des céréales, des graines). Et le mélange des trois ordres d’aliments doit se faire dans une proportion assez exacte : quatre parties d’hydrates de carbone, pour une partie de graisses et une partie de protéines.

La plupart des aliments usuels contiennent des combustibles des trois ordres, mais en proportion variable. Dans une nourriture équilibrée, un aliment riche en protéines, mais pauvre en hydrates de carbone, doit être compensé par un aliment de composition inverse, c’est-à-dire riche en hydrates de carbone. La ration doit être établie de telle façon que le total des calories à obtenir soit fourni par une partie de protéines, une partie de graisses, et quatre parties d’hydrates de carbone.

En chiffres arrondis, un gramme d’hydrate de carbone fournit 4 calories, un gramme de protéine 4 calories, et un gramme de graisse 8 calories. Sur ces données nous pouvons établir un tableau simplifié de la composition des aliments usuels et de leur teneur en calories par 100 grammes :

Aliments (100 gr.)
——
Hydrates de carbone
——
Graisses
——
Protéines
——
Total des calories
——
Pain 52 1 8 250
Viande cuite 0 28 22 350
Œufs (2) 0 10 15 150
Légumes farineux 55 2 25 350
Pommes de terre 20 0 2 100
Légumes verts 5 0 2 30
Fromage 3 25 30 350
Fruits secs 70 3 2 350
Fruits frais 10 0 1 40
Beurre, huile 0 85 2 750
Sucre 100 0 0 100

D’après ce tableau, on pourra composer comme suit la ration alimentaire d’une journée : pain, 500 grammes ; viande, 200 grammes ; un œuf ; légumes farineux, 100 grammes ; légumes verts, 100 grammes ; gruyère, 50 grammes ; figues sèches, 50 grammes ; une orange ; beurre, 60 grammes ; sucre, 100 grammes. Nous avons ainsi 475 grammes d’hydrates de carbone, 125 de graisse, 130 de protéines, en proportions convenables, fournissant ensemble 3.500 calories. Ces aliments de fond devront être accompagnés de quelques aliments complémentaires, de l’eau, des sels minéraux, des vitamines, du vin, du thé, du café, qui, sans apporter beaucoup d’énergie, sont indispensables à la bonne assimilation et à la transformation des matériaux de travail. Au total, nous arriverons près des 4.000 calories, ce qu’il faut pour 100 kilomètres de cyclisme. Si nous dépassons cette distance, nous n’aurons qu’à augmenter proportionnellement la quantité de tous ces aliments fondamentaux ; et même la doubler, si nous sommes capables d’abattre 250 kilomètres à bonne allure.

Mais il nous reste à préciser les façons assez variables de répartir cette ration entre les repas de la journée, et même de la modifier, suivant les circonstances et l’état d’entraînement.

Dr RUFFIER.

Le Chasseur Français N°600 Juin 1940 Page 341