J’ai exposé, dans le dernier numéro du Chasseur Français,
comment, depuis la démission du Commissaire général et de son collaborateur,
les services officiels du Tourisme fonctionnaient, si on peut dire, dans la
plus parfaite illégalité.
M. Antoine Borrel, dans le rapport présenté au Sénat au
nom de la Commission des Travaux publics, l’a victorieusement démontré.
Mais le sénateur de la Haute-Savoie ne s’est pas contenté de
critiquer. Il a proposé un remède à une situation qui ne peut pas durer et qui,
dans d’autres temps que ceux que nous traversons actuellement, aurait eu les
répercussions les plus graves.
Il ne paraît pas indiqué, dit tout d’abord M. Antoine Borrel,
d’envisager la résurrection de l’Office national de Tourisme. La politique
financière actuelle est opposée aux organismes dotés d’autonomie financière, et
toute suggestion en sens contraire, encore qu’elle puisse être soutenue avec
d’excellents arguments, serait à l’avance vouée à l’insuccès.
D’autre part, l’expérience, trop brève cependant pour être
concluante, du Commissariat général semble avoir condamné, sans appel, ce
système d’organisation.
Il ne reste donc plus, en dehors de la création d’un
ministère du Tourisme, qui pourrait paraître exagérée, qu’à recourir à la
formule classique d’un service rattaché à l’administration centrale, soit au
ministère des Travaux Publics, de qui relève, depuis 1919, l’organisation
officielle du tourisme, soit au ministère nouvellement créé de la Propagande,
si celui-ci doit survivre à la guerre qui lui a donné naissance, et auquel
reviendrait, normalement, la propagande touristique.
N’est-il pas anormal de penser qu’alors qu’il y a une
direction des Mines, des Ponts, des Ports, des Chemins de fer, etc., qui
assurent une continuité indispensable survivant aux ministres qui se succèdent,
le Tourisme n’ait pas, lui, sa direction.
Alors, la France disposerait d’une organisation d’État
ramenée aux nécessités essentielles et dont les attributions, nettement
précisées, pourraient s’exercer librement.
Parmi les attributions de ce grand service public
figureraient : propagande à l’étranger ; organisation de la taxe de
séjour et contrôle de l’utilisation de son produit ; répartition des
concours financiers ; statistiques des mouvements des visiteurs ;
contrôle des prix d’hôtels ; surveillance des agences de voyage ;
coordination des différents services qui, dans divers ministères, touchent plus
ou moins au mouvement touristique ; enfin, liaison permanente de
l’administration avec les organismes touristiques privés. Il ne faut pas
oublier que, depuis plus d’un demi-siècle, les grandes associations de tourisme
ont déblayé et préparé le terrain et que le rôle de l’État n’est pas d’entraver
leurs efforts, mais, au contraire, de les aider, quitte à les coordonner, s’il
est besoin.
C’est pourquoi l’honorable sénateur de la Haute-Savoie voit,
auprès de la direction, deux Comités consultatifs.
Le premier, dit Comité d’accueil, serait composé des
représentants des grandes associations de tourisme, des Syndicats d’initiative,
de l’hôtellerie, des stations thermales et climatiques, des chemins de fer,
etc., bref de tous ceux que désignent leurs occupations, leurs fonctions ou
leur action en faveur du tourisme en France.
C’est dans ce Comité que se discuteront les meilleurs moyens
d’aménager la France pour le tourisme, de l’organiser pour la visite des
étrangers, mais aussi pour en faciliter la visite aux Français eux-mêmes.
La loi sur les congés payés, qui sera appliquée avec
quelques ménagements, ne l’oublions pas, même pendant les hostilités, a favorisé
l’élan des populations citadines vers les campagnes lointaines. Il est
nécessaire d’organiser ces campagnes pour les besoins des touristes populaires.
C’est également là que devra s’organiser l’aménagement de la
montagne par l’ouverture de sentiers, la création de refuges, etc. Jusqu’ici, à
part quelques efforts faits dans leurs voisinages par des sociétés régionales,
c’est le Touring-Club et le Club Alpin qui ont réalisé ces aménagements
d’intérêt général.
Privés de la maigre subvention qui leur avait été accordée,
ils ont dû limiter leur tâche à l’entretien des installations existantes, et il
est à craindre qu’avec la diminution du nombre de leurs cotisants et
l’augmentation des prix des travaux, ils ne puissent même assurer cet entretien.
Or, on sait qu’en montagne les dégradations vont vite.
Parallèlement à cet aménagement, il faut également prévoir
celui des stations de sports d’hiver.
La tâche du Comité d’accueil ne se bornera pas là. Il lui
faudra penser à la protection des sites, à l’aménagement des routes qui devront
assurer une sécurité de circulation, non seulement aux automobiles, mais aussi
aux cyclistes par la création de pistes spéciales, sans oublier les piétons.
Il lui faudra penser à la déréquisition des hôtels dont plus
de 500 sont présentement à la disposition des formations sanitaires.
La mise en état d’un hôtel ne se fait pas en quinze jours,
quand il a été affecté pendant plusieurs mois à un autre usage. Il en est qui
ont été complètement transformés, des cloisons abattues, d’autres élevées, le
mobilier disparu. Si nous voulons être en état de recevoir, la paix venue, les
cohortes pacifiques qui, de tous les points du monde, viendront visiter la
France et y faire rentrer une part non négligeable des capitaux exportés par nous
pour obtenir les moyens de faire face à l’ennemi et de le vaincre, il faut nous
préparer dès maintenant.
Il y a enfin une coopération « morale » qui doit
être obtenue de tous les Français. Il faut donner aux touristes étrangers
l’impression qu’on s’occupe d’eux, qu’ils sont les bienvenus, que nous leur
gardons une certaine gratitude d’avoir choisi, plutôt que tout autre, notre
pays pour le parcourir. C’est cette impression que j’ai ressentie dans certains
pays étrangers où l’accueil fait aux voyageurs français est parfois émouvant.
J’ai la sensation qu’il n’en est pas de même chez nous. Il y a là un effort qui
devrait être commencé dès l’école, pour que la France soit vraiment le pays du
bon accueil.
La tâche du Comité de propagande sera lourde.
La propagande à l’étranger touche de trop près au droit
international et à la diplomatie pour qu’il soit possible de l’envisager comme
une affaire d’initiative privée. C’est l’État lui-même qui doit assurer cette
fonction de propagande, qui offre le caractère d’un véritable service public.
La paix venue, on peut être sûr que la lutte va reprendre
entre les pays susceptibles de recevoir des touristes, et il faut que nous
soyons prêts à tenir notre place.
Pas de publicité individuelle, notion périmée, inutile et
inopérante, mais une vaste publicité collective en faveur de notre pays tout
entier dont tous auront leur part de profit. La radio, le cinéma, bientôt la
télévision devront être mis à contribution.
Le Comité de propagande devra envisager le côté dépenses de
cette vaste organisation, mais aussi le côté recettes, c’est-à-dire le concours
des collectivités, départements, communes, stations thermales, compagnies de
transport en commun, etc. La direction du Tourisme aura à préparer les textes
nécessaires pour créer ce budget de publicité.
Mais ici une difficulté se présente. L’Office national, le
Centre d’Expansion après lui, possédant la personnalité juridique, pouvaient
valablement recevoir le montant de ces participations. Il n’en sera pas de même
d’une direction, simple service d’administration publique, sans personnalité
distincte. Ces versements tomberaient alors dans le budget général de l’État,
sans qu’il soit possible de leur réserver une affectation spéciale.
Il conviendrait donc que le Comité national de propagande
fonctionnât suivant des statuts qui lui assureront la reconnaissance d’utilité
publique, par suite la capacité d’ester en justice, de recevoir, d’acquérir,
etc. Les statuts du Comité national de Défense contre la Tuberculose, par
exemple, pourraient servir de modèle.
Pour la répartition, le Comité national de propagande
statuerait, sur les propositions de la direction du tourisme, suivant une
méthode analogue à celle employée pour la répartition du produit des jeux et
des fonds du Pari Mutuel.
En résumé, la permanence et la liaison seraient assurées par
une direction.
Deux organismes distincts s’occuperaient : le premier,
en collaboration avec la grande organisation, de tout ce qui relève de l’accueil
des touristes à l’intérieur ; le second, avec la collaboration de
spécialistes de la publicité, de toutes les questions de propagande à
l’étranger, c’est-à-dire de l’appel du touriste.
Ainsi, conclut M. Antoine Borrel, chaque chose serait à
sa place et nous disposerions d’une organisation répondant bien à ce que nous
attendons.
Il nous reste à souhaiter, maintenant, que l’excellent
rapport du sénateur de la Haute-Savoie, approuvé à l’unanimité par la
Commission des Travaux publics, n’aille pas, avec la proposition de résolution
qui en est la conclusion, s’enterrer dans un de ces cartons verts avec tant
d’autres projets également intéressants et également urgents et qui n’en sont
jamais sortis.
Marcel VIOLLETTE.
(1) Voir numéro de mai.
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