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Nos petits chiens courants après l’orage

Beaucoup de nos races de chiens de chasse sortirent très réduites de l’épreuve que nous venons de traverser. Certaines ne sont plus représentées que par un cent ou deux de membres avouables plus ou moins apparentés.

La consanguinité maintenue avec ses inconvénients menacent celles-ci. Par conséquent, il faudra bien trouver les procédés pour y remédier.

Jusqu’à présent, la zootechnie n’a imaginé, à cet effet, que le croisement de retrempe, opération d’un caractère passager, après laquelle on revient aux reproducteurs de la race à conserver. Il n’est pas défendu, et même est-il recommandé, après en avoir fait usage, de pratiquer une alliance consanguine.

Lorsqu’on a uni un sujet de marque à un conjoint de la race choisie pour la retrempe, il est bon, pour revenir au type, de le marier avec un ou plusieurs des produits de premier croisement L’union du père et des filles a été préconisée en Angleterre et pratiquée pour toutes les races d’animaux domestiques. C’est l’in-breeding, après lequel les mêmes éleveurs recommandent de ne pas insister. L’expérience montre, en effet, les inconvénients de l’in-an-din, quant à la santé et à la vitalité des sujets.

Que ne dira-t-on pas, en conséquence, des issus de nombreuses générations de croisements incestueux ? Sans doute, certains expédients peuvent retarder la déchéance ; mais leur action n’a qu’un temps. Il n’est, en effet, aucun animal parfaitement sain. Chacun a son point faible que la consanguinité aggrave. Pour qui observe et sait l’histoire de trois ou quatre familles de courants, florissantes encore il y a quarante ans, maintenant déchues ou fondues en d’autres, la question est résolue.

Sans doute, le terme de croisement sonne très mal aux oreilles du monde du chien d’arrêt. Celui du chien courant en a accepté depuis longtemps l’usage. Il ne s’est pas contenté de la retrempe passagère, dont les effets s’effacent, mais il a pratiqué le croisement continu. Nous avons des familles d’anglo-français de grande et de petite vénerie, où le dosage en sang anglais est dominant. Question de goût que nous n’avons pas à discuter ; mais à propos de quoi nous remarquerons les préférences générales, au-dessus d’une certaine latitude, pour les courants ayant dose variable de fox-hound ou de harrier.

En vénerie, chacun fait le chien qui lui convient le mieux. En dépit de cette liberté, on ne voit pas la moindre homogénéité des races qui nous restent.

Si certaines se sont modifiées, c’est pour leur bien. Le chien décoratif qu’on appelait l’Artésien-Normand et qui n’était que Normand, s’est bien trouvé de contribuer à l’obtention de petits anglo-français, beaucoup plus capables qu’il ne l’était de prendre un lièvre. Le peu de sang de harrier du Somerset qui coule encore dans les veines du Porcelaine, lui a certainement été plus secourable que l’alliance normande pratiquée au cours du dernier siècle. Les épreuves sur le terrain ont montré que l’influence du premier s’est bien évaporée. À déplorer du point de vue pratique, mais très consolant pour les amateurs de races chimiquement pures. Un croisement intercurrent se perd dans une race comme un fleuve dans la mer.

Ceci est vrai des plus audacieux. Beaucoup des lecteurs de cette revue ont vu le compte rendu établi par Stonehenge, qu’on retrouve dans l’œuvre de Baron, du croisement entrepris jadis du Bull-Dog et du Greyhound.

Le tout est relaté avec, à l’appui, image des métis. Le métis de premier croisement est décousu et laid. Celui de quatrième génération, ou 15/16 de sang lévrier, n’offre plus aucune trace de sang étranger. Ce sujet femelle est même d’un modèle graioïde particulièrement accusé.

On ne propose rien de pareil à ce qui fut une sorte d’expérience de laboratoire, excessivement intéressante cependant. Les croisements tentés avec les chiens de chasse s’opèrent avec des éléments présentant affinités. Leurs traces sont par conséquent plus aisées à éliminer, d’autant que de prétendues races différenciées ne sont que variétés oscillant autour du même prototype. Le Porcelaine, par exemple, lorsque dépourvu de caractères normands ou méridionaux, ressemble autant qu’il se peut au briquet Suisse blanc-orange, son légitime ancêtre. Il en diffère par l’oreille roulée, qui est de France, et qu’on a voulu imposer à tous les chiens de petite vénerie, sous peine de mort. Exemple : le chien d’Artois. Mais, encore une fois, le vrai Comtois à tête classique, c’est le cousin plus que germain du chien Suisse. Le marquis de Foudras, interprète de son père, qui connut les « Chiens de Lunéville », leur assigne une origine suisse. À bien des points de vue, les Porcelaine actuels gagneraient à reprendre contact avec l’ancêtre. On verrait disparaître les sujets normandisants, les pseudo-méridionaux sous poil blanc-orange, et ceux marquant souvenirs poitevins. Au moral, l’entreprise et la hardiesse s’en trouveraient grandement améliorées. C’est parce que j’ai beaucoup pratiqué la race durant vingt-cinq ans que je me permets quelques critiques sur les chiens d’après 1914. Ils sont, en général, très élégants, mais les exhibitions sur le terrain ne leur ont pas été favorables.

Il faut donc réagir, en leur conférant, par tous les moyens, ce perçant et cette entreprise sans lesquels il n’est chien de vénerie. Je crois aussi, leurs bataillons étant beaucoup plus réduits qu’il y a un quart de siècle, que la consanguinité les a un peu dévitalisés ; raison de plus de pratiquer une retrempe revivifiante, en famille, si on ose dire.

J’entends, depuis quelques années, déplorer le petit nombre des Briquets vendéens maintenant étroitement apparentés. Mais pourquoi s’est-on désintéressé d’un chien si précieux au petit chasseur, pour cultiver un grand et gros basset, plus volumineux, et presque de même train ? Pendant le même temps, le basset de petit modèle se voyait aussi négliger. Enfin, la situation est ce qu’elle est : le brave briquet en question s’achemine donc vers la retrempe nécessaire. Si l’on veut lui conserver son allant et son entreprise, on ne voit guère que le Harrier du Sud blanc-orange ou blanc-gris à recommander. L’expérience a été tentée avec succès par un louvetier dans ces dernières années.

Quant aux chiens à lièvre du Midi, ils se suffisent à eux-mêmes, et il n’est que de leur souhaiter de demeurer franchement petits Gascons ou Ariégeois, sans conquérir taille et volume au contact des Gasco-saintongeois de vénerie. L’observateur impartial remarquera la rareté des types ariégeois. Beaucoup de qualifiés, tels sont des Gascons débleutés. Il était d’ailleurs fatal que ce dernier sang dominât. Les gros bataillons sont toujours victorieux. En l’occurrence, ne regrettons rien, car le chien gascon est de belle et noble race, même sous forme de basset.

Des petits chiens anglais, peu à dire. Toutefois, remarquons le succès grandissant du Beagle et la faveur du Beagle-harrier.

Ajoutons ceci. Les Anglais n’ont pas codifié ce dernier ; mais ils ne se privent pas de le fabriquer. Nombre de leurs beagles exagèrent quelque peu la dose de sang harrier qu’un beagle destiné au courre du lièvre peut légitimement avoir. Il est connu que le beagle d’il y a cinquante ans diffère des mieux typés et classiques que nous avons maintenant. Le beagle moderne avec plus d’os, dessus mieux soutenu et oreille plus courte que jadis, doit cela au sang harrier. Ayant eu à juger certains importés, j’ai pensé que plusieurs eussent été autant à leur place dans le rang de ce que nous nommons beagle-harrier.

Ce dernier et de fabrication française étant bien représenté dans le pays, on peut penser recommandable et bienfaisant de se tenir au modèle classique pour nos beagles. Nous savons tous celui des chiens de Th. de la Borde autrefois et de ceux de Boissière pour les temps plus récents. Ils en donnent une louable idée, dont il est bon de toujours s’inspirer.

Le paragraphe consacré aux petits chiens courants anglais n’est pas un hors-d’œuvre. In fine, il était utile de montrer aux esprits timides les méthodes d’un pays passant à juste titre pour expert en élevage. Le remaniement intelligent des races d’utilité se défend du seul fait des contingences. L’adaptation est condition de vie. À plus forte raison, quand la santé d’un cheptel est compromise par la consanguinité maintenue sans trêve, la retrempe s’impose-t-elle ? Elle peut aussi se légitimer et même faire place au croisement de substitution, lorsque décidément une race présente un ou plusieurs défauts capitaux. La création des petits anglo-français, maintenant si appréciés, n’a pas d’autre cause, si amère puisse être la remarque à notre amour-propre.

R. DE KERMADEC.

Le Chasseur Français N°601 Septembre 1941 Page 399