Après toutes les grandes crises, d’instinct, les foules se
tournent vers l’agriculture. N’est-ce pas elle qui nourrit les peuples ?
et le besoin de manger ne se révèle-t-il pas le plus pressant dans les moments
de gêne commune ? Les jours actuels ne nous surprendront pas. La poussée
vers les champs est encore accrue par suite de la stagnation industrielle, du
ralentissement ou même de l’arrêt dans certains secteurs. On veut aussi faire
revenir à la terre ceux qu’y ont supplantés les étrangers, alors
indispensables, pour assurer l’exécution des travaux et de graves problèmes se
posent qui sollicitent autant l’attention des pouvoirs publics que le sens
humain tout court.
Il serait fâcheux qu’un mouvement ainsi esquissé se
transformât en déroute pour les individus mal renseignés ou qui se contentent
de lieux communs. Ne voyait-on pas, après 1918, des propriétaires impatients de
se débarrasser de leurs fermiers, supputant les bénéfices très larges que les
tenanciers de la période de guerre auraient réalisés. Que de chutes ensuite, et
quelle revanche du bon sens !
C’est donc avec méthode qu’il faut aborder à nouveau le
problème ; concernant les individus, il correspond aux deux préoccupations
suivantes : reclassement des travailleurs dans les exploitations plus ou
moins importantes, installation de nouveaux chefs d’exploitation. Le
reclassement porte sur des hommes originaires de la terre, qui l’ont
travaillée ; question assez simple pour le travail, mais qui comporte une
attention vigilante au point de vue des accessoires. Il serait regrettable que
des avantages sociaux, acquis après des années d’efforts, se perdent ou
s’atténuent. On sait qu’il faut des sacrifices communs, pas d’exceptions dans
la répartition des charges.
Pour les hommes qui ignorent la terre, on doit hardiment
envisager un minimum de formation professionnelle, car, s’il y a peu d’hommes
aux champs ou à la ferme pour exécuter une besogne spécialisée, il est quelques
règles essentielles à observer. Le travail agricole est curieux dans sa diversité
commandée par les saisons ; parfois, il faut être prêt à accepter de
changer de besogne plusieurs fois dans la journée, si le temps le rend
nécessaire. Inversement, une autre période n’amènera aucun changement dans les
occupations. Il serait intéressant de montrer les causes de ces états divers et
l’adaptation utile, si l’on veut obtenir un rendement convenable sans lasser
l’attention ni le courage du travailleur.
Pénétrer la philosophie de la profession, ses exigences, ses
activités accrues, ses ralentissements inévitables, reposants, montrer
l’équilibre qui s’établit au cours de l’année, telles sont les difficultés que
ne peut concevoir l’homme de l’atelier ou du comptoir. Il y a aussi l’influence
brutale du temps sur l’individu ; il faut subir tout et trouver la
compensation dans les périodes de calme si bienfaisantes. Tout cela ne
s’inscrit pas en formules mathématiques, loin de là, et de longs mois, des
années même, sont indispensables pour l’accoutumance à ce genre d’existence.
Peut-on parler des conditions réelles de cette existence rurale ? Pendant de
longues années, toutes les lois ont été conçues sous l’angle des travailleurs
des villes ; les chefs d’exploitation rurale, reconnaissant l’inanité de
l’application de certaines dispositions législatives au caractère rigide sans
aucun rapport avec les choses si variées de la nature, demandaient que
l’agriculture fût exceptée. Pour ne pas se donner la peine de voir le problème
sous un angle d’ensemble, on se retranchait derrière cette formule commode, et
sans courage, sans vues larges, on ajournait les problèmes, regardant fuir les
hommes vers les havres de sécurité que constituaient les entreprises urbaines.
Aujourd’hui apparaît plus intensément l’erreur commise et
l’on veut réparer : rééducation, éducation complète. Tout cela suppose des
cadres. Il convient de les créer sans retard par une formation
convenable ; ce n’est pas seulement le maniement de l’outil, la conduite
de la machine, les soins à l’animal qu’il y a lieu d’apprendre, mais, répétons-le
inlassablement, faire comprendre en quoi consiste l’agriculture. Ferait-on
seulement admettre quelques vérités élémentaires que l’on avancerait la solution
du problème. Ainsi expliquer pourquoi un agriculteur ne peut pas toujours être
content, pourquoi quelque chose accroche toujours, ce serait déjà gagner la
partie.
On aura de la peine à trouver les moniteurs ; mais une
sélection attentive révélerait la présence au sein de la masse rurale de ces
éducateurs dont la tâche est belle, puisqu’il s’agit de sauver des hommes et de
leur rendre confiance en eux-mêmes.
Autre face de la question : l’installation de nouveaux
chefs d’exploitation. On serait tenté de le faire en faveur de certaines
catégories sociales paraissant intéressantes par leur passé civil ou militaire,
par leur situation de famille, par des services spéciaux rendus à la cause
commune. Ce sont des catégories qui jouiraient avant la lettre de privilèges
sans aucun rapport avec le but à atteindre.
Il est préférable de chercher ces futurs chefs
d’exploitation parmi ceux qui ont la nette compréhension des besoins de
l’agriculture, des exigences de la profession. Alors les mécomptes seront rares
et, par l’effet de l’exemple, des résultats durables seront obtenus. Résultats
durables, quelle expression redoutable ! Il ne s’agit, pas, en effet, de
réussir les travaux d’une saison, les travaux de toute une année, mais de faire
face l’année suivante, les années suivantes, à des conditions qui pourront être
toutes différentes de celles de la première année.
Il ne s’agit pas de s’affoler si une année sèche succède à
une année humide, d’être déconcerté devant l’invasion d’un fléau nouveau. Une
cervelle froide, du bon sens, de l’enthousiasme dans la mesure où cette qualité
est indispensable pour ne pas douter de soi, mais aussi la résignation, la
patience quand les jours malheureux se déclenchent. C’est l’exaltation des
vertus domestiques qu’il faut avoir comme objectif et ainsi, pour peu que la
technique soit suffisante, l’esprit d’observation cultivé, l’homme implanté sur
un domaine peut tenir honorablement sa place et devenir un élément intéressant
pour le corps social.
Les jours qui viennent doivent comporter un réajustement des
valeurs humaines dans l’intérêt général sainement compris, le groupe familial
évoluant en liberté au sein de la collectivité. La rénovation agricole est à la
base. Avec une grave résolution, que chacun veuille bien le comprendre.
L. BRÉTIGNIÈRE,
Ingénieur agricole, Professeur à Grignon.
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