On ne peut prendre actuellement n’importe quelles
distractions. Il en est qui, trop frivoles et trop ostentatoires, sont
incompatibles avec les heures graves et douloureuses que nous vivons ; il
faudrait un grand manque de tact pour « s’amuser » de cette façon,
même si l’on en a les moyens. Mais on peut trouver une bonne détente à ses
soucis et à ses fatigues dans les voyages et excursions qui nous font aimer
davantage les aspects divers de cette France que tous ses enfants doivent
connaître et servir plus que jamais.
Mais le tourisme, tel qu’on le pratique ordinairement, se
heurte maintenant à toutes sortes de gênes et de difficultés : de plus, il
coûte fort cher. La circulation par chemins de fer et en automobile est
entravée par des règlements justifiés ; et l’essence ne peut pas être mise
à la disposition des gens qui veulent seulement se promener. Même lorsqu’on a
droit, de par ses occupations ou ses fonctions civiles, à une certaine quantité
de cette essence, si rare et si précieuse, c’est une faute que d’en distraire
une partie pour son amusement.
Pour les voyages et excursions de plaisir, il faut donc
recourir à d’autres moyens de transport que le train et l’auto ; et c’est
évidemment la bicyclette qui s’offre comme l’engin idéal.
Dans les villes, bien des personnes se sont aperçues de
l’avantage qu’elles avaient à circuler à bicyclette. Pour se rendre à leur
travail, en revenir, assurer leurs allées et venues de la journée, rien ne leur
a paru plus commode pour obvier à la raréfaction et au prix des transports en
commun. Leur santé s’est trouvée aussi bien que leur porte-monnaie de ce
changement d’habitudes.
Mais beaucoup de ces nouveaux cyclistes ignorent encore que
l’usage utilitaire de la bicyclette doit se compléter par son usage
touristique. La circulation en ville, de 10 à 20 kilomètres par jour,
réalise un excellent entraînement, de telle sorte qu’on se trouve toujours
capable, les jours de loisir, de faire sans fatigue une excursion assez longue.
Et, pendant les vacances, rien de plus facile que d’entreprendre un voyage de
quelques jours ou de plusieurs semaines autour de sa résidence.
Il ne s’agit que de décider et de partir, sans s’arrêter à
toutes les objections pusillanimes qui viennent à l’esprit, parce que cette
façon de voyager n’est pas dans la coutume. Aussitôt qu’on est en route, on
s’aperçoit que c’est très simple et très agréable.
L’activité physique affine les sens et permet de bien mieux
goûter la nature que lorsqu’elle défile, de la portière d’un wagon, tout au
long de notre engourdissante immobilité. Et, cependant, la bicyclette permet de
faire assez de chemin, cent kilomètres par jour, sans se presser, et nous évite
ainsi la monotonie qu’il faut parfois supporter quand on voyage à pied.
La bicyclette pénètre aussi dans tous les petits chemins,
même les sentiers, toutes les voies qui conduisent dans l’intimité du pays,
dans ses moindres hameaux, au cœur de ses bois, au long de ses plages ;
elle nous libère aisément de cette grande route nationale, qui, souvent, par
raison d’utilité, traverse, trop vite et trop droit, les plus merveilleuses
régions.
Est-il besoin de signaler le côté économique de telles
distractions ? Une bicyclette ne coûte rien à entretenir ; un peu
d’huile et un coup de chiffon de temps en temps. C’est même un engin de si
bonne composition, qu’on le néglige volontiers, l’abandonnant, des mois
entiers, aux intempéries. Bien soigné, il est pratiquement inusable ; de
ce côté-là, aucun frais, ce qui fait grand contraste avec l’auto et le train.
Quant au cycliste, il ne dépense pas plus à voyager qu’à
rester chez soi. Il dépense même moins, s’il fait du « cyclocamping »
intégral. Mais cela demande une certaine pratique, et présente actuellement
certaines difficultés.
Quand on est de ressources limitées, il faut donc chercher
l’économie en simplifiant ses repas de la journée, dont on emporte les éléments
dans le sac, que l’on prépare avec un matériel de popote très simple, et peu
encombrant, et que l’on mange en plein air. Il y a avantage, toutefois, à
prendre le repas du soir dans l’auberge où l’on couchera, et que l’on peut
trouver si accueillante dans maints villages.
En s’organisant ainsi pour le dîner et la nuit, on peut
supprimer le repas de midi, qui perd du temps et alourdit, et le remplacer par
deux ou trois goûters « pris sur le pouce », de trois heures en trois
heures ; on se restaure ainsi, sans excès, aux moments où l’on en sent le
besoin.
De cette façon, la principale dépense, celle de la
nourriture, ne s’élève guère au-dessus de celle qu’on ferait si l’on ne prenait
pas de vacances ; elle reste très inférieure à celle qu’entraîne le séjour
dans des hôtels ou pensions de classe suffisante.
On peut voyager à bicyclette tout seul, quand on a le goût
de la contemplation et de la méditation ; certains passionnés de cyclo-tourisme
y trouvent un grand charme. Les « expansifs » devront se réunir à
deux ou trois camarades, quelquefois quatre, jamais davantage ; car la
trop grande diversité des aptitudes et des humeurs met bientôt la zizanie dans
la bande.
En famille, le père, la mère et deux ou trois grands
enfants, le voyage à bicyclette est chose aussi utile que charmante ;
c’est un beau moyen de resserrer les liens d’affection et de confiance ;
c’est une excellente occasion d’élargir la compréhension qu’ont les parents du
caractère de leurs enfants.
Et voilà bien de bonnes raisons, n’est-ce pas, de prendre
ses distractions et son plaisir à bicyclette.
Dr RUFFIER.
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