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Le tourisme au Maroc

Dans les premières années du XXe siècle, la sécurité au Maroc était des plus précaire et le tourisme presque inexistant.

Les enlèvements d’un riche Américain installé à Tanger et de son gendre, celui de notre confrère Harris, correspondant du Times, et de quelques autres personnalités qui ne furent remises en liberté qu’après versement de fortes rançons, quelques assassinats et agressions multiples empêchèrent, jusqu’aux plus courageux globe-trotters, la plus petite randonnée au Maroc.

Aujourd’hui, rien, peut-être, ne permet mieux de mesurer les progrès accomplis au Maroc depuis l’avènement du protectorat que le développement du tourisme.

Depuis quelques années, grâce à la paix et à la sécurité que la France a fait régner au Maroc, grâce à l’aménagement de ses ports, à la construction de son réseau routier et ferroviaire, à l’organisation de ses moyens de transport, au développement de son industrie hôtelière, à la conservation de ses vieilles villes mauresques et à la restauration de ses monuments historiques, à la mise en valeur de ses sites, à l’aménagement des plages et des terrains de sport, le vieil empire chérifien est en passe de devenir — grâce à la Résidence générale de France au Maroc et à l’Office chérifien du Tourisme et à leur active propagande — l’une des terres d’élection du tourisme et de l’hivernage de l’Afrique du Nord et du monde.

Casablanca a détrôné Tanger comme principale porte d’entrée du tourisme. Peu de villes, même peut-être dans le nouveau monde, mais certainement dans l’ancien, peuvent se vanter d’une croissance aussi rapide, et, somme toute, aussi harmonieuse.

D’une petite ville d’une vingtaine de mille habitants, dont quelques centaines d’Européens en majeure partie Espagnols, Casablanca est devenue en trente ans la capitale économique du Maroc avec une population qui, au dernier recensement, était de près de 260.000 âmes, dont 146.000 musulmans et 74.000 Européens.

Avant l’arrivée des Français, la ville tout entière tenait dans son enceinte fortifiée d’environ 60 hectares. Aujourd’hui, déployée comme un éventail autour de la vieille ville, figurant la poignée, la Casablanca moderne, avec ses larges artères, ses vastes places et ses jardins publics, couvre une superficie de plus de 2.000 hectares, et sa banlieue, tout autour, s’étend à une dizaine de kilomètres.

Son mouvement commercial qui, il y a quarante ans, était d’une dizaine de millions, dont cinq et demi à l’importation et six et demi à l’exportation, atteint maintenant un chiffre voisin d’un milliard et demi, qui fait de Casablanca l’un des premiers ports de l’empire français.

Aujourd’hui, ses soixante-dix hôtels — dont plusieurs établissements de premier ordre — disposent de près de 2.500 chambres. Les deux ou trois passagers par mois qui débarquaient à Casablanca au commencement du siècle ont été remplacés par des centaines de voyageurs qu’y déversaient chaque jour, jusqu’en 1939, les trains, les bateaux des lignes régulières, les avions d’Air-France (qui viennent de reprendre leur activité) et les grands paquebots internationaux.

Pour visiter l’intérieur, le touriste n’a que l’embarras du choix et, pour le guider, l’Office du Tourisme, installé à Rabat, et les syndicats d’initiative créés dans chacune des régions civiles et militaires pour la mise en valeur des richesses touristiques régionales, fédérés entre eux en vue de la coordination de leurs efforts pour l’ensemble du Maroc.

Un réseau de 1.700 kilomètres de chemin de fer et de 7.650 kilomètres de routes excellentes, auxquelles il faut ajouter des dizaines de milliers de kilomètres de pistes aménagées, plus de cent terrains d’atterrissage pour avions, des trains, des autocars, des hôtels confortables, tels le « Balima » à Rabat, la « Mamounia » à Marrakech, le « Minzah » à Tanger, etc., des gîtes d’étape, des refuges, permettent de visiter sans fatigue le Maroc tout entier et de séjourner agréablement dans ses centres les plus attrayants. Et la mise en valeur de ses richesses naturelles, historiques et artistiques se poursuit à grands pas.

De ses ruines romaines, les plus importantes, celles de Volubilis, nous ont déjà livré une grande partie de leurs secrets et de leurs trésors d’art : celles de Thamusida, de Banasa, de Sala en zone française, celles de Lixus et de Tamuda en zone espagnole sont peu à peu exhumées.

Les témoins de l’histoire musulmane, remparts, portes monumentales, nécropoles, kasbas, mosquées, minarets, médersas, fontaines publiques, almoravides, almohades, mérinides, saadiens et alaouites sont étudiés, classés, restaurés.

Les vestiges de l’occupation portugaise ou espagnole de Tanger, Arzila, Larrache, Mehdija, Azemmour, Mazagan et Safi sont pieusement conservés.

Quelques joyaux, autrefois interdits aux infidèles, tels que les villes saintes de Mouay-Idris, dans le Zerhoun, et Chaouen, en zone espagnole, sont aujourd’hui accessibles aux touristes. Et les bienfaits des sources de Moulay-Yacoub, de Sidi-Harazem, d’Oulmès ne sont plus réservés aux seuls musulmans.

Un chapelet de plages s’égrène le long des côtes autrefois désertes et rébarbatives de l’Atlantique. Celles de Tanger, de Fedhala, de Mazagan et d’Aïn-Diab sont déjà en plein essor, celles de Moulay-Bou-Selham, de Mehedya, de Témara, de Skhirat, de Oua-Lidiya, de Safi, de Mogador, d’Agadir, sont en voie d’aménagement.

Les centres d’hivernage de Marrakech, Taroudant, Rabat, Meknès, Fès, sont de plus en plus fréquentés. Un grand centre d’estivage a été créé de toutes pièces à Iffrane, et l’alpinisme et les sports d’hiver sont pratiqués en plusieurs régions du Moyen et du Grand Atlas.

Enfin, des routes au tracé hardi, d’un intérêt touristique de premier ordre, permettant de s’élever jusqu’aux cols de l’Atlas dominés par ses pics neigeux et, de là, serpentant au flanc des vallées sauvages où s’accrochent des kasbas, des ksour berbères à l’architecture étrange et imposante, de descendre dans la vallée du Sous ou vers les oasis du Dadès, du Todgha, du Ferkla, puis, par des pistes carrossables, à travers les steppes présahariennes, d’atteindre les splendides palmeraies du Tafilalet et les confins des solitudes infinies du Sahara.

Le vœu de Pierre Loti n’a pas été exaucé. Le vieux Moghreb n’est plus impénétrable et ne tourne plus le dos à l’Europe ; ses déserts fleuris ont été en grande partie convertis en champs de céréales, en vignes, en olivettes, en orangeraies ; ses territoires insoumis ont été conquis à l’autorité du Sultan, dont les cavaliers, devenus ceux de la France, ne trouvent plus guère de têtes rebelles à moissonner. Mais les croyances et les coutumes du pays ont été respectées ; ses habitants continuent d’invoquer Allah et le Prophète, et leurs vieilles villes ont conservé toute leur séduction.

Grâce aux mesures sévères prises par le grand artiste que fut le maréchal Lyautey et par le général Noguès, elles sont restées et restent à peu près pareilles à ce qu’elles étaient il y a cinq siècles, après leurs embellissements du XIVe siècle et avant la chute de Grenade, les conquêtes portugaises et le déclin des Mérinides.

Armand AVRONSARD.

Le Chasseur Français N°602 Octobre 1941 Page 504