Bien des gens, contraints par la nécessité, ont eu, ces
temps-ci, la « révélation » du cyclisme. Il n’a pas été pour tous une
source de joie et de santé. Car, si quelques-uns, bien conseillés ou doués d’un
sens musculaire assez délicat, ont pu, dès leurs débuts, pédaler allègrement,
en obtenant de leurs forces un « rendement » intéressant, beaucoup
d’autres n’ont trouvé dans la bicyclette qu’une occasion de fatigues exagérées,
et à toujours peiner, même pour couvrir 8 à 10 kilomètres, ils ont conclu
qu’il leur fallait réduire à l’indispensable, aux petites allées et venues
autour de leur domicile, l’usage de la bicyclette ; et ils se jurent bien
de l’abandonner aussitôt que les circonstances leur permettront de revenir à la
complaisante et ostentatoire auto.
Le fait est regrettable, parce que la bicyclette
convenablement utilisée peut, grâce à ses agréments et à ses avantages, ramener
à la pratique quotidienne d’un exercice physique assez énergique une foule de
personnes dont la santé et la vigueur périclitent en raison de l’inaction
corporelle à laquelle elles se laissent aller.
Mais on ne peut aimer la bicyclette qu’à condition de savoir
s’en servir.
L’art de bien se servir de sa bicyclette se résume en deux
préceptes essentiels : se bien placer en machine et pédaler en
souplesse.
Or presque tous nos néophytes ont une position défectueuse,
trop haute, trop basse ou trop avancée ; et ils poussent sur les
pédales au lieu de les faire tourner. Il en résulte un pénible manque de
confort et une quasi-impossibilité de faire 20 kilomètres sans être
éreinté.
Le confort à bicyclette ne se procure pas tant par de gros
pneus mal gonflés et des selles à ressorts ou à coussins élastiques que par une
position qui répartisse équitablement le poids du corps sur ses trois points
d’appui : la selle, le guidon et les pédales, position qui met à l’aise
les muscles pour travailler, la poitrine pour respirer.
Une position haute, genre anglais ou hollandais, avec le
buste droit et les mains posées sur un guidon surélevé, maintient le cycliste
« à cheval » et non pas « assis ». Et tout le poids de son
corps porte sur la selle ; le séant et même le périnée encaissent toutes
les réactions dues aux inégalités du sol. Cette position n’est souhaitable
qu’aux basses allures, pendant fort peu de temps, et entraîne l’alourdissement
de la machine par tous les systèmes de suspension et d’élasticité qui peuvent
la faire tolérer : c’est pourtant par désir de confort qu’on l’adopte
généralement.
La position réellement basse, c’est-à-dire où la selle est
trop rapprochés du pédalier, est assez rare. Ceux qui l’ont adoptée parce que
la bicyclette qu’on leur a fournie était ainsi montée la corrigent d’eux-mêmes,
parce qu’il est assez pénible de pédaler ainsi ; le manque de puissance se
révèle aux moins attentifs à ce qu’ils font. Mais souvent la correction est
excessive, et aboutit à la position trop haute dont nous venons de parler, on a
la position avancée qui, aujourd’hui, est fréquente et dont il convient de
signaler les grands inconvénients.
La selle est placée à distance convenable du pédalier, mais
elle est portée en avant, de façon que son bec affleure, s’il ne dépasse, la
verticale menée par l’arc du pédalier. Le guidon, bien cintré, est surbaissé de
telle façon que ses poignées sont à 15 et même 25 centimètres au-dessous
du plan de la selle. C’est la position de course actuelle qui, en plein effort,
couche le buste presque horizontalement. Les coureurs ont leurs raisons, qui
sont excellentes, d’adopter cette position « aérodynamique » et de
grande puissance. Ils roulent à 40 et parfois 45 kilomètres à l’heure, ils
grimpent les cols les plus durs à 20 à l’heure. Ce faisant, d’ailleurs, ils
répartissent bien leur poids sur les trois points d’appui ; même en côte,
ils arrivent à presque tout mettre sur les pédales, le petit reste sur le
guidon, et rien du tout sur la selle.
Un assez grand nombre de cyclistes, surtout parmi les
jeunes, adoptent la machine de course. Les avantages de la légèreté, le
rendement des roues fines, garnies de « boyaux », sont indéniables,
et, en fait, tout cycliste qui a pris l’habitude de telles machines n’en veut
pas monter d’autres. Mais la position de course, indispensable, avantageuse et
même confortable aux allures que soutiennent les champions, devient nuisible,
pénible et parfois dangereuse, quand il faut la garder en roulant au-dessous de
30 à l’heure ; elle devient même ridicule quand on ne peut circuler
qu’entre 12 ou 15. On devrait comprendre que, la résistance de l’air croissant
avec le carré de la vitesse, il ne sert absolument à rien de « s’aérodynamiser »
tant qu’on n’atteint pas une vitesse de course. Et, quand on se promène, on n’a
d’ailleurs nulle tendance à se coucher ainsi sur le guidon. Aussi se
relève-t-on et, tout droit sur la selle, on ne tient le guidon que du bout des
doigts par sa partie médiane et transversale. C’est bien dans cette position
relevée, les mains en haut du guidon, qu’on voit presque toujours rouler,
surtout en ville, les jeunes gens munis d’une machine de course. Ils reviennent
ainsi, sans s’en douter, à la position droite, trop haute, des pères
tranquilles, et ils en subissent tous les inconvénients, aggravés de celui de
n’être pas bien maîtres de leur direction.
La selle un peu plus en arrière, un guidon dont les poignées
sont au niveau de la selle, il n’en faudrait pourtant pas davantage pour avoir
sur cette machine de course une excellente position de promenade et de
randonnée.
Ainsi, quelle que soit la machine, la position normale se
tient dans une juste moyenne, ni trop haute, ni trop basse, ni trop avancée.
Elle peut varier, mais très légèrement, en raison des conformations
individuelles ; mais il y a intérêt, pour tous les débutants, à adopter
exactement « la position type » pour n’y apporter de petites
modifications que beaucoup plus tard, quand l’expérience leur aura vraiment
fait connaître leurs aptitudes particulières.
Cette position type se définit ainsi :
Selle.
— Placée de façon :
1° que son bec soit à 8 ou 10 centimètres en arrière de
la verticale menée par l’axe du pédalier ;
2° qu’étant assis on place aisément le talon nu sur la
pédale amenée au bas de sa course, le jarret n’étant alors ni fléchi ni étendu
avec trop de raideur.
Pédales.
— Le talon ne s’y pose que pour prendre la distance
selle-pédalier, comme nous venons de l’indiquer. En marche, c’est seulement
l’avant-pied qui doit s’y poser, de telle sorte que l’axe de la pédale soit au
niveau de la tubérosité du gros orteil.
Guidon.
— Placé de façon que ses poignées se trouvent à la
hauteur du plan de la selle, ou seulement à 2 ou 3 centimètres plus haut.
On prend ainsi en machine une position légèrement inclinée,
déjà suffisante pour diminuer la résistance de l’air, et qui, surtout, met une
bonne partie du poids du corps sur le guidon ; cela soulage d’autant la
selle et libère les jambes de beaucoup d’efforts contrariants sur les pédales.
Il faut remarquer aussi que les bras, un peu fléchis aux articulations du
coude, constituent les meilleurs amortisseurs de tous les cahots transmis par
la roue avant. Et c’est bien en étant placé ainsi que l’on trouve à bicyclette
le meilleur confort, puisque ce confort consiste essentiellement à n’être pas
durement secoué, à ne pas souffrir de la selle et à diriger sa machine très
aisément, sans avoir besoin même d’y penser.
Enfin, comme nous le verrons, c’est dans cette position
confortable que l’on arrive à coup sûr à bien pédaler.
Dr RUFFIER.
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