La découverte des rayons X, en permettant d’étudier le
fonctionnement de l’estomac sur le vivant, est venue modifier plusieurs
conceptions anciennes sur le comportement, normal et pathologique, de cet
organe. Tout d’abord, on s’est rendu compte que sa forme était tout à fait
différente de celle qu’on observait sur le cadavre ; on lui considère
aujourd’hui trois portions, une portion supérieure, en forme de coupole ou de
dôme, venant se mouler sur le diaphragme, toujours remplie d’air, en quantité
plus ou moins abondante, une portion moyenne verticale et une portion
inférieure, prépylorique, sensiblement horizontale ou légèrement oblique.
Chez certains sujets, la partie supérieure, à laquelle on
donne le nom de poche à air, présente un développement excessif et peut, par
cette distension, causer différents troubles ; comme son contenu gazeux
provient, presque exclusivement, de l’air dégluti, on a créé le terme
d’aérophagie, plus noble que celui de « tic d’avalage », usité en
pathologie vétérinaire, et ce terme, qui surprenait tout d’abord les malades, a
eu un succès extraordinaire et a remplacé dans la pathologie des gens du monde
l’ancienne dilatation d’estomac qui était à la mode au début de ce siècle.
Les clients qui, il y a une trentaine d’années, étaient
surpris quand on leur démontrait qu’une partie au moins des malaises
dyspeptiques qu’ils accusaient provenait d’une déglutition exagérée d’air,
accusent d’emblée leur aérophagie, parfois avec une certaine vanité, et il est
des médecins qui, pour avoir observé quelques déglutitions de salive et avoir
trouvé une forte poche à air, à la percussion de l’organe ou sur un cliché
radiographique, se contentent de ce diagnostic presque toujours incomplet.
La déglutition d’air est inévitable avec celle des aliments,
plus encore avec la déglutition de salive, et la présence d’air dans la cavité
gastrique est un phénomène normal ; pour bien brasser les aliments, pour
bien les évacuer dans l’intestin, l’estomac a besoin de ce réservoir élastique.
Il y a donc une aérophagie, ou plutôt une aérogastrie
physiologique qui ne devient pathologique que par son exagération, et pour
cette dernière, il faut envisager deux formes différentes.
On appelle aérogastrie bloquée la distension gazeuse,
parfois considérable, de l’estomac, qui ne parvient plus à expulser son contenu
gazeux ; cette forme s’observe le plus souvent chez des opérés et l’on
craint tout d’abord une péritonite ou une occlusion intestinale ;
l’absence de fièvre fait vite éliminer le premier diagnostic et la nature des
vomissements, quand ils existent, montre que, s’il y a, en réalité, une sorte
d’occlusion, elle réside dans un spasme du pylore avec atonie complète de
l’estomac. Deux manœuvres permettent de soulager presque instantanément le
malade, la première consiste à le coucher sur le ventre et, presque toujours,
une série d’éructations vient « débloquer » l’estomac ; sinon,
il faut recourir au lavage à la sonde.
Dans la pratique courante, les choses se présentent d’une
façon moins dramatique ; le malade se plaint de malaises divers, de
pesanteurs, de tiraillements d’estomac, de douleurs « au creux de
l’estomac », de palpitations, d’angoisse cardiaque pouvant simuler
l’angine de poitrine, et il ne manque pas d’ajouter que ces troubles
s’amendent, au moins d’une façon passagère, après une émission de gaz qu’il
s’efforcera d’ailleurs de provoquer.
Une partie de ces troubles est due à l’augmentation de la
poche d’air, à la distension des parois de l’estomac, à la compression qu’il
peut exercer sur le cœur à travers le diaphragme, mais ils résultent surtout de
l’allongement du segment vertical de l’estomac qui, par ses filets nerveux,
tiraille le plexus solaire, et cet allongement vertical, en rendant plus aigu
l’angle pyloro-duodénal, empêche l’évacuation d’air dans l’intestin. Il y a
allongement vertical et non ptose, bien qu’en langage courant on considère ces
deux expressions comme synonymes ; pour qu’il y ait ptose véritable,
c’est-à-dire chute de l’organe, il faut que la partie supérieure de l’estomac
perde le contact avec le diaphragme, ce qui n’est ordinairement pas le cas.
Ceci se démontre assez facilement : le sujet étant debout et qu’on appuie
une main sur le point douloureux tandis qu’avec l’autre on relève le bord
inférieur de l’estomac, la douleur disparaît, pour revenir dès qu’on abandonne
la pression et que l’estomac retombe.
Avant d’entreprendre le traitement de ce symptôme qu’est
l’aérophagie, il faut, autant que possible, compléter le diagnostic,
c’est-à-dire rechercher les causes qui ont créé le tic d’aérophagie. Elles
peuvent tenir à l’état général, chez des malades amaigris ou convalescents
qu’il s’agit de tonifier, à des causes locales, gastrite ulcéreuse ou non,
qu’il importe de déceler et de traiter, tout comme les causes extra stomacales,
tels que le spasme localisé de l’intestin, et, très souvent, à une inflammation
de la vésicule biliaire. Il est bien évident que dans ces différents cas on
n’obtiendra aucune amélioration sérieuse si on néglige de traiter l’affection
causale.
Ce n’est qu’ensuite qu’on en arrivera au traitement
proprement dit de l’aérophagie, qui doit être hygiénique, diététique et
médicamenteux.
Les petits moyens qu’on a proposés, tels que le maintien
d’un fume cigarettes entre les dents ou le port d’une cravate serrée, pour
empêcher les mouvements de déglutition inconsciente, sont aussi peu pratiques
qu’inefficaces ; en cas de crise, le fait de se coucher sur le ventre, qui
redresse les courbures anormales, rend de grands services, tout comme les
compresses chaudes appliquées sur le ventre ; dans certains cas, on se
trouvera bien de prescrire le repos complet, au lit, pendant quelque temps,
pour permettre par la suite un exercice modéré. L’hydrothérapie, sous forme de
douches tièdes, est souvent utile, et un excellent procédé consiste dans
l’usage des compresses échauffantes, dites de Priessnitz (un mouchoir imbibé
d’eau froide, bien essoré, est appliqué sur le ventre, recouvert d’un
imperméable qui doit largement déborder et maintenu par une bande ou une
ceinture) ; on les garde, en général, pendant toute la nuit, et on peut
remplacer l’eau par de l’alcool, qui calme encore mieux la douleur.
L’alimentation doit être substantielle, car il s’agit
souvent de sujets affaiblis et amaigris, mais sous un petit volume, et se composer
d’aliments facilement digestibles, ne séjournant pas trop longtemps dans
l’estomac ; on en supprimera donc les aliments gras, les sauces grasses,
les fritures, les potages et le pain frais. Les boissons doivent être fortement
réduites et comporter au maximum quelques gorgées d’eau et un verre à bordeaux
de vin pur ; cela ne veut pas dire qu’il faille mettre ces malades au
régime sec et il faut leur conseiller de boire non pas après, mais avant, une
bonne demi-heure avant les repas ; le liquide aura alors évacué l’estomac
au moment où pénétreront les aliments solides.
Il faut éviter, surtout à jeun, les boissons trop chaudes,
et l’on se trouve généralement bien de supprimer tout liquide au premier
déjeuner ou, tout au moins, d’en réduire fortement la quantité.
Il faut aussi prescrire de manger lentement, de mastiquer
avec soin et de garder le repos après les grands repas.
Le traitement médicamenteux vise à calmer l’irritation de la
muqueuse stomacale, par de petites quantités de bromure ou d’un médicament
analogue, en solution ou sous forme de poudre ; plus tard, s’il n’y a pas
de contre-indications, on cherchera à tonifier l’estomac avec des amers, comme
les préparations à base de noix vomique, dont c’est au médecin traitant de
juger l’opportunité.
THÉOPHRASTE.
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