On ne peut goûter les agréments et profiter des avantages de
la bicyclette qu’à condition de pédaler correctement. Faute de savoir le faire,
on se détourne du cyclisme et c’est là, malheureusement, fait trop fréquent.
Bien pédaler, c’est utiliser judicieusement ses forces, sans gaspillage, pour
en obtenir le meilleur rendement locomoteur. Or il n’est pas rare qu’un
cycliste inexpérimenté, mal placé en machine et qui pousse de façon brutale et
désordonnée sur ses pédales, dépense cinq ou six fois plus d’énergie qu’il
n’est nécessaire pour faire progresser sa bicyclette ; ce qui fait qu’il
est épuisé après une promenade de quelque vingt kilomètres en une heure. Son
erreur est de conclure que sa fatigue est normale et que son rayon d’action à
bicyclette doit, par conséquent, se limiter à cette courte distance, qui, en
somme, ne dépasse pas ce que l’on peut faire à pied.
Il devrait reconnaître que ce n’est pas la force qui lui
manque pour faire mieux, en considérant que les cyclistes de valeur, les
coureurs et les cyclo-touristes randonneurs font aisément dix fois plus de
chemin et souvent à une vitesse double ou triple. Si la vigueur corporelle et
l’entraînement interviennent dans ces résultats, on ne peut dire qu’ils soient
seuls en cause, car ce serait admettre que ceux qui les obtiennent sont dix à
quinze fois plus forts, disposant de dix à quinze fois plus d’« énergie
dynamique » que le cycliste incapable de couvrir plus de vingt kilomètres
à médiocre vitesse. La vérité évidente, c’est que le coureur sait pédaler
économiquement, et qu’au lieu de gaspiller ses forces en des efforts
inutiles et désordonnés il les emploie toutes à faire progresser sa machine. Si
le cycliste ordinaire n’a pas besoin d’un entraînement spécial aussi poussé, il
lui est facile et utile de pédaler aussi correctement parce que cela lui permet
d’obtenir le meilleur rendement des forces qu’il veut bien dépenser.
L’acquisition d’une bonne technique de pédalage lui permettra de ne perdre sur
les « performances » des professionnels de la pédale qu’environ le
tiers de la distance ou de la vitesse, c’est-à-dire ce que ceux-ci doivent
réellement à leur constitution athlétique, à leur spécialisation sportive et à
leur matériel spécial.
Le caractère essentiel d’un bon coup de pédale est d’être « souple ».
Il ne consiste pas en une suite de poussées alternatives, plus ou moins
saccadées, sur l’une et l’autre pédale, mais en un mouvement uniforme et
continu de rotation. L’expression « tourner rond » résume
exactement ce qu’il faut s’efforcer de faire. Cela s’obtient lorsqu’un effort
léger mais constant se fait toujours dans le sens de la progression, lorsque
n’intervient à aucun moment un contre-effort qui s’oppose à la remontée de la
manivelle. Ce contre-effort se produit forcément quand l’effort propulsif,
abattant la pédale descendante, a été trop énergique ; les muscles de la
jambe et de la cuisse, ainsi brutalement sollicités, ne se décontractent pas
aisément et la pédale a franchi son point bas qu’ils restent encore contractés,
s’opposant comme un frein au travail de l’autre jambe. Il en résulte un
gaspillage considérable de la force disponible. Si nous estimons à 10 la
poussée, à 5 le contre-effort, nous n’aurons, pour une dépense totale de 15,
qu’un effort propulseur de 5 ; et c’est à peu près ainsi que
« travaillent » les mauvais pédaleurs. Les bons, qui savent ne
dépenser que 5 et uniquement en effort propulseur, se fatiguent donc trois fois
moins pour aller aussi vite.
Le bon coup de pédale peut s’acquérir spontanément par les
gens qui ont un « sens musculaire » assez développé et qui sont
souples de nature. Les jeunes enfants, pourvu qu’ils soient bien placés sur une
bicyclette à leur taille, pédalent instinctivement avec correction ; ils
deviennent même fort adroits et réussissent de menues acrobaties, ce qui les
rend très maîtres de leur machine. On ne peut que recommander aux parents de
mettre à profit cette aptitude en n’attendant pas trop pour faire cadeau à
leurs enfants d’une bicyclette, cadeau dont ils rêvent dès leur plus jeune âge.
Leur apprentissage précoce les mettra à l’abri de certaines maladresses et de
quelques ambitions sportives prématurées qui déçoivent beaucoup d’adolescents
venus trop tard au cyclisme.
Un mauvais coup de pédale, comme celui que pratiquent, il
faut le dire, la majorité des cyclistes, peut se corriger si l’on y met un peu
d’attention et de persévérance. D’autre part, quand on débute en cyclisme, il
importe de s’initier immédiatement au bon coup de pédale.
Plusieurs points sont à observer au cours de cet apprentissage.
Il faut d’abord prendre en machine « une bonne position ». Il est
impossible de bien pédaler si l’on est juché trop haut, accroupi trop bas,
planté trop en avant. La souplesse du pédalage résulte, en effet, de ce que
tous les muscles qui meuvent le pied, la jambe et la cuisse, travaillent en
demi-flexion, les jeux angulaires de la cheville, du genou et de la hanche
ne devant se faire que dans les secteurs médians de leur amplitude possible.
C’est parce qu’une certaine position en machine — et une seule
— correspond à ce travail en demi-flexion, qu’on l’appelle « la bonne
position ».
Nous avons expliqué dans le numéro précédent du Chasseur
Français comment se prend cette bonne position, qui dépend des distances que
l’on établit entre le guidon, la selle et les pédales. Nous n’y revenons que
pour affirmer que, sans elle, il ne peut y avoir de pédalage correct.
Le second point est de ne pas employer un grand
développement, qui donne nécessairement l’habitude de pousser en force et, par
conséquent, détermine des efforts contrariants considérables.
Pour mener avantageusement un grand développement et
entendons par là un développement qui dépasse 5m,20, il faut être
très entraîné, avoir déjà un coup de pédale très souple et enfin soutenir une
vitesse de marche qui atteigne ou dépasse 30 kilomètres-heure. Ce n’est
pas le cas des débutants, ni même de la plupart des cyclistes. Pour « tourner
rond », sans appuyer par saccades, en roulant entre 18 à 20 kilomètres-heure,
il faut donc au plus 5m,20, ce qui donne une cadence régulière, et
qui peut être souple, de 60 à 80 tours du pédalier à la minute.
Troisième point : il faut que le pied soit bien placé
sur la pédale, portant dessus, non par la voûte, encore moins par le talon,
mais par sa partie antérieure, de façon que l’axe de la pédale passe au
niveau de la tubérosité du gros orteil, facile à repérer. Il faut que le pied
soit maintenu dans cette position par un cale-pieds bien ajusté ; cet
accessoire est indispensable pour suivre la rotation de la pédale, pour agir
encore sur elle quand elle remonte et pour supprimer ainsi le « point
mort », ce qui est un des plus avantageux effets d’un bon coup de pédale.
Il serait bon de s’exercer sur une bicyclette à « roue
fixe », s’il était encore possible de s’en procurer une. C’est
actuellement chose difficile, étant donné le succès justifié de la roue libre
et du changement de vitesse. Mais on ne se sert bien de ces
« perfectionnements » qu’après une expérience assez grande du
cyclisme. Il y aurait intérêt, au début, à employer l’antique roue fixe, avec
laquelle on faisait mieux corps avec la machine, avec laquelle on sentait mieux
ce que donne le travail musculaire en souplesse.
Ces conditions remplies, il n’y a qu’à rouler pour que le
bon coup de pédale vienne tout seul. On peut y aider en surveillant le
« jeu de la cheville » en prenant garde qu’à chaque tour de pédale
cette articulation s’ouvre, puis se referme presque à fond. On sentira bien
qu’ainsi on « accompagne » la pédale pendant presque toute sa
rotation.
Docteur RUFFIER.
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