Le scoutisme français célèbre, cette année, son trentième anniversaire.
Il vit le jour en 1911, trois ans après que Baden-Powell eut
lancé son « mouvement » en Angleterre.
Un lieutenant de vaisseau, Nicolas Benoit, avait eu
l’attention éveillée par cette organisation étrange qui, se superposant aux
« cadets » et aux « Boys’ Brigades », soulevait outre-Manche
une extraordinaire sympathie. Le pasteur Williamson avait, lui aussi, été
intrigué par ce succès et songeait à tenter l’expérience du scoutisme au sein
des « Unions chrétiennes de Jeunes Gens ».
Tandis que les deux hommes continuaient à se renseigner, des
petits groupes essayaient immédiatement la nouvelle méthode, décrite dans le
livre de Baden-Powell : Scoutisme for Boys, paru en 1908. Ce fut
d’abord le pasteur Gallienne, dans son patronage de la rue de Grenelle, puis M. Bertier,
directeur de l’École des Roches, dont la troupe porta, la première, l’uniforme
scout et qui reçut les principes authentiques d’un instructeur anglais.
Bientôt, Nicolas Benoit revenait d’une mission officielle en
Grande-Bretagne, au cours de laquelle il avait pu assister à des réunions de
scouts britanniques, et surtout s’entretenir avec Baden-Powell. Son âme
généreuse était maintenant enthousiasmée par l’idéal de droiture et de dévouement
que proposait le scoutisme et il résolut de mettre toutes ses forces à propager
celui-ci dans notre pays. Le 22 octobre 1911, dans l’amphithéâtre de la
Sorbonne, il suscite la formation d’une ligue d’éducation nationale qui
devait grouper tous les pionniers. Sa tentative d’union échoue. Sans se
décourager, il s’entoure alors d’amis comme G. Bertier, le pasteur Gallienne,
le Dr Charcot, Charpentier, directeur du Journal des Voyages,
et il fonde la fédération des « Éclaireurs de France ».
Cette fédération, ouverte à tous les petits Français, sans
distinction de croyances ou de classe sociale, expose dans ses statuts (déposés
au mois de décembre) qu’elle a pour but de développer chez les jeunes le
sentiment du patriotisme, de la solidarité et de l’honneur.
De son cote, le pasteur Williamson prend la tête des
« Éclaireurs Unionistes », d’inspiration protestante. Le scoutisme
français est né.
On pourrait croire que ses débuts furent difficiles.
L’origine anglaise, le costume bizarre, les prétentions du jeune mouvement,
tout contribuait à déclencher les railleries, et les haussements d’épaules. Les
moqueurs ne manquèrent pas. Les adversaires non plus. Et pourtant, à la fin de 1913,
les « Éclaireurs de France » comptaient 5.000 membres et les
« Éclaireurs Unionistes » 2.000.
Le mot Boy-scout, prononcé de dix manières diverses,
devient populaire. Les revues et, au premier rang, le Journal des Voyages
publient des articles de propagande. Des personnalités éminentes affirment leur
espoir dans le scoutisme.
Mais la guerre de 1914 surgit. Les chefs partent au front,
tandis que les garçons s’enrôlent en masse. L’insuffisance des cadres se fait
rapidement sentir. Pour diriger des « troupes » groupant jusqu’à deux
cents garçons, les instructeurs doivent fausser la discipline scoute, pour
adopter une hiérarchie quasi militaire. Les exercices accomplis au cours des « sorties »
se modifient eux-mêmes et s’inspirent dans une large mesure des
« manœuvres » de l’armée ; les éclaireurs jouent aux soldats.
Ils rendent, d’ailleurs, des services très appréciés comme
estafettes, brancardiers, veilleurs de côtes ..., mais, lorsque sonne
l’armistice, les dirigeants du scoutisme doivent se préoccuper d’un retour à la
vraie méthode de Baden-Powell.
On mena une lutte ouverte contre l’esprit de parade qui
avait pris la place de l’esprit scout. Pour y parvenir, on utilisa le goût des
enfants pour les romans d’aventures au Far-West. Et une vague de « peau-rougisme »
déferla sur le scoutisme. Les éclaireurs ne lurent plus que les exploits de
Buffalo-Bill, se parèrent de « totems » (coutume d’ailleurs heureuse,
demeurée aujourd’hui) et plantèrent près du « teepee », du « sachem »,
un mât de torture destiné aux « Visages-Pâles ». Ces excès devaient
se tempérer peu à peu.
Entre temps, naissait la « Fédération nationale
catholique des Scouts de France ». Paul Coze, le R. P. Sevin, le
chanoine Cornette obtinrent patiemment l’appui du clergé français, longtemps
méfiant à l’égard du scoutisme. Le jeune mouvement, dont chaque groupe est
pourvu d’un aumônier, et qui se donne entre autres une mission d’apostolat,
connaît une rapide extension.
Un « Bureau superfédéral », que préside le
maréchal Lyautey, est créé pour unifier les trois associations.
D’un autre côté, deux groupements féminins voient le jour :
« Les Guides de France », d’action catholique, et la
« Fédération française des Éclaireuses », ouverte à toutes les
croyances. Conscientes des dangers qu’elles doivent éviter, elles se
développent avec une extrême prudence. En 1938, 150.000 enfants sont
« entrés dans le jeu ». La guerre de 1939, après avoir permis au
scoutisme français de fournir aux Pouvoirs publics une aide très appréciée,
entraîne chez lui beaucoup de modifications. D’une part, un assez grand nombre
de ses chefs, se voit confier des postes importants au Secrétariat de la
Jeunesse ou au Commissariat Général aux Sports ; d’autres vont prendre la
tête de nouveaux mouvements de jeunesse, comme les « Compagnons de
France ». D’autre part, les différentes associations de scoutisme français
se fusionnent en une vaste fédération, sous la direction du général Lafont et
de M. André Basdevant.
Plus de cohésion, un souci encore plus grand apporté à la
formation des chefs, et, aussi, une aide accrue de l’État, font que le
scoutisme français d’aujourd’hui est le mouvement d’élite de notre jeunesse.
Son rôle, au milieu des différentes organisations existantes,
semble bien, en définitive, de préparer des cadres pour les autres groupements
de jeunes et même pour toutes les branches de l’activité nationale.
Le scoutisme français, grâce aux efforts patients de ses
dirigeants, est devenu, en trente années, une magnifique école de chefs.
Fernand JOUBREL.
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