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Le scoutisme féminin

Nous devinons des murmures de protestation, et le réflexe chez de nombreux lecteurs de tourner cette page ...

Mais il y a trente mille jeunes filles en France, et deux millions dans le monde, à pratiquer le scoutisme !

Le problème mérite donc d’être étudié avec attention et, si possible, sans préjugés. On raconte cette anecdote : Une mère de famille était venue présenter son garçon de trois ans à Baden-Powell, fondateur du mouvement scout. Elle lui demanda des conseils pour l’éducation de son fils. Le vieux lord sourit : « Vous arrivez trois ans trop tard, madame ... » Et il confia à Lady Baden-Powell le soin d’organiser un mouvement où les futures mères de famille se familiariseraient avec les principes scouts.

Mais nous doutons de l’authenticité de cette histoire.

Nous croyons plutôt à cette explication, fournie par Baden-Powell lui-même dans un journal anglais :

« Ce sont les garçons eux-mêmes qui m’ont obligé à construire une association basée sur les principes que j’avais publiés dans une petite brochure. Des groupes s’étaient constitués spontanément pour appliquer mes méthodes, et m’ont supplié de quitter mon métier pour prendre leur tête. De même les filles ne m’ont pas demandé mon avis pour pratiquer le scoutisme.

» En 1909, au lendemain de la fondation officielle du mouvement masculin, j’avais résolu de tenir un congrès des aspirants-éclaireurs au Crystal-Palace, à Londres. Je me demandais combien de garçons viendraient. Il en vint ... 11.000 !

Dans cette foule, je découvris quelques fillettes, coiffées du chapeau kaki à larges bords, munies d’un sac et d’un bâton.

» — Qui êtes-vous ? m’écriai-je.
» — Nous sommes les éclaireuses !
» — Vous êtes insensées !
» — Non, éclaireuses ... »

Nous sommes les éclaireuses ! Le mouvement scout féminin était parti tout seul.

Lorsqu’on veut étudier son organisation dans notre pays, il faut tout d’abord signaler que, tandis qu’il existe trois fédérations officielles masculines (Éclaireurs de France, neutres ; Scouts de France, d’action catholique ; Éclaireurs unionistes, d’inspiration protestante), il n’y a que deux associations féminines : les Guides de France, d’action catholique ; la Fédération française des Éclaireuses, comprenant des sections protestantes et neutres (où, par conséquent, on trouve notamment des jeunes filles catholiques).

L’insigne des premières est une croix potencée ; des secondes, une feuille de trèfle. Leur costume, bleu pour celles-là, est brun pour celles-ci.

Le danger était de transformer des fillettes en « garçons manqués », de n’en faire que des femmes ultra-sportives, sans goût pour leurs enfants ni leur intérieur. Le scoutisme féminin a su éviter cet écueil. Il cherche à éduquer de futures mères de famille qui soient à la fois pourvues de sensibilité et de solides connaissances pratiques, qui soient à la fois affectueuses, courageuses et « capables ».

Les réunions hebdomadaires au « local », le camp d’été, sont la plus saine, la plus instructive des écoles ménagères. Guides ou éclaireuses y apprennent à faire la cuisine — de la bonne cuisine — sur un simple feu de branchages, à orner de fleurs des champs leur table rustique, à brosser leurs habits et à maintenir la tente dans une propreté méticuleuse.

On leur apprend aussi comment faire des achats dans les meilleures conditions, comment prodiguer les premiers soins en cas de blessure ou de maladie ...

Toutes ces leçons vivantes sont données en pleine nature au milieu des bois, des prés, des oiseaux. L’atmosphère incomparable du camp, avec surtout les veillées, dans le grand silence nocturne, sous le regard des étoiles, épanouit les sensibilités.

Ajoutez à cela la promesse, la loi scoute, la belle devise de dévouement : « La guide et l’éclaireuse sont faites pour servir », et vous comprendrez que le scoutisme féminin mérite la plus active sympathie ...

Mamans, qui êtes frappées par l’allure nette, la gaieté, l’air de santé de ces groupes que vous avez vu passer le dimanche, confiez à l’un d’entre eux votre fillette. Vous n’aurez pas à le regretter. Les adhérentes de huit à douze ans sont jeannettes chez les guides, petites ailes chez les éclaireuses ; de douze à seize ans, guides ou éclaireuses ; puis, au-dessus de seize ans, guides ou éclaireuses aînées.

Les meilleures deviendront cheftaines pour faire rayonner à leur tour l’idéal scout.

Aujourd’hui, plus que jamais, il faut comprendre que les femmes font un pays.

Selon la manière dont les mères de demain élèveront leurs fils ou leurs filles, selon qu’elles seront pénétrées ou non de la grandeur de leur rôle, la France se suicidera lentement ou, au contraire, montrera à nouveau au monde son beau visage.

Femmes françaises qui lisez cet appel, n’y restez pas indifférentes !

En aidant le scoutisme féminin de toutes vos forces, vous travaillerez efficacement au relèvement de notre pays.

F. JOUBREL.

Le Chasseur Français N°605 Janvier 1942 Page 28