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Causerie médicale

Les engelures.

Le froid, dans la plupart des maladies qu’on lui attribue, n’agit, en général, qu’à titre de cause occasionnelle. Les bronchites, pneumonies, les broncho-pneumonies, causées par le froid, sont dues à des microbes qui se trouvent habituellement dans la bouche et dans les voies aériennes ; en contractant ces vaisseaux sanguins, le froid entrave les défenses de l’organisme et ces microbes se mettent subitement à pulluler et à devenir nocifs.

Tel n’est pas le cas pour les engelures ; ici le froid exerce une action purement physique et les lésions qu’il occasionne sont assez comparables à celles que cause la chaleur.

Comme chacun sait, ce sont les extrémités qui sont atteintes, les orteils, les doigts, parfois les oreilles ou le nez.

Dans un premier stade, l’épiderme seul est touché ; il rougit, se montre sensible au moindre contact et devient le siège d’une démangeaison des plus pénible. Bientôt, si on n’a pu se protéger du froid, la peau est atteinte dans toute son épaisseur, elle se tuméfie et les symptômes précédents s’aggravent ; la douleur devient « exquise » selon le terme consacré, s’exacerbe par le plus faible frôlement et le prurit se change en une sensation de cuisson, plus pénible encore, survenant surtout lorsque, rentrant du froid extérieur, on pénètre dans un endroit plus tempéré.

Chez nombre de gens, l’affection s’arrête à ce stade. Mais chez d’autres, qui ont moins bien su — ou pu — se protéger, la peau se fissure et s’ulcère ; raides, douloureux et engourdis, les doigts deviennent inhabiles à tout travail de précision.

D’ordinaire, les accidents guérissent le plus souvent sans laisser d’autres traces qu’un souvenir désagréable, avec le retour d’une saison plus clémente.

Comme il arrive bien souvent, hélas ! les conseils pour prévenir les engelures sont plus faciles à donner qu’à suivre. Pour beaucoup de gens, c’est un très dur problème que de lutter contre le froid ; il faut pourtant lutter, puisque tout le monde ne peut pas passer l’hiver sur la Côte d’Azur ou habiter des maisons bien chauffées.

Pour cela, il faut commencer à s’alimenter du mieux qu’on pourra ; la nourriture comportera le maximum possible de graisses animales (beurre, fromage, lait), l’huile de foie de morue est particulièrement recommandable chez les enfants ; on ajoutera, toujours dans la mesure que permettent les circonstances, quelques légumes frais, épinards et tomates en premier lieu, à cause de leur teneur en vitamines utiles.

Pour habituer la peau à réagir, il est bon de l’accoutumer à l’eau froide ; mains et pieds seront soumis à une rapide ablution froide, suivie d’une vigoureuse friction avec un linge un peu rude ; mais surtout, avant de s’exposer au froid, il faut prêter attention à ce que la peau ne reste pas humide : pour la sécher à fond, il convient de la poudrer largement avec une poudre inerte quelconque, son ou poudre de talc, qu’on essuie ensuite.

Avant de sortir, il est bon d’oindre la peau avec une bonne graisse naturelle, c’est-à-dire d’origine animale, comme la lanoline, ou l’axonge, et non pas avec une substance minérale comme la vaseline. À la rigueur, on peut user du savon, qu’on repassera sur les mains, à sec, après les avoir rincées.

L’exercice physique ne doit pas non plus être négligé ; tous les mouvements qui ont pour effet d’accélérer la circulation du sang sont bons et on prêtera une attention particulière à ceux qui exercent les doigts et les orteils (marche sur la pointe des pieds). D’autres exercices ont une action plus nettement curatrice, nous les retrouverons plus loin.

Pour en tirer un bénéfice, il faut s’astreindre à consacrer à ces exercices quelques minutes soir et matin, et cela dès l’approche de l’hiver, avant les grands froids.

Reste la question du vêtement. Rappelons tout d’abord qu’aucun tissu n’est chaud par lui-même ; la protection qu’il offre dépend de la barrière qu’il oppose à la déperdition de la chaleur corporelle, et ce sont les couches d’air interposées entre les différentes pièces de revêtement qui forment le meilleur isolant : deux vêtements légers superposés tiennent plus chaud qu’un seul plus épais.

Pour les pieds, la meilleure solution serait de porter des sabots, garnis de paille ou de foin, et de bons chaussons, mais, pour beaucoup de gens, cela n’est guère possible : il faut alors, les pieds ayant été bien séchés et légèrement graissés, les revêtir d’une chaussette relativement mince, par dessus laquelle on en passera une seconde (ou un bas), de préférence en laine tricotée à la main. On choisira une chaussure aussi imperméable que possible, assez large pour ne pas comprimer le pied et laisser libre le jeu des orteils, qu’il faut s’exercer à remuer constamment.

Si on a été exposé à l’humidité, il ne faut pas hésiter à changer aussitôt de chaussures.

Pour les mains, une bonne paire de gants de laine, doublés, en cas de très grand froid, de moufles en drap ou en cuir.

Ainsi équipé, on pourra, sans trop de risques, s’exposer à la rigueur des frimas ...

Une fois constituées, les engelures sont tenaces et le traitement curatif est souvent décevant. Il faut, tout d’abord, éviter la transition trop brusque du froid au chaud, renoncer à la tentation d’approcher les mains ou les pieds engourdis d’une source de chaleur ; les frictionner, au contraire, dans de l’eau froide ou à peine dégourdie.

Pendant la retraite de Russie, lorsqu’ils voyaient le nez d’un camarade blanchir, les grognards s’empressaient de le frotter vigoureusement avec une poignée de neige, ce qui était une excellente pratique, dictée par l’expérience.

Les pommades s’imposent, surtout en cas d’engelures ulcérées, les meilleures sont à base d’huile de foie de morue, avec ou sans addition de produits anesthésiques. Les crevasses seront protégées par un pansement occlusif.

Le Dr Jacquet a préconisé jadis un traitement qui, appliqué avec persévérance, lui aurait toujours donné une guérison rapide, en peu de jours. Il consiste en des exercices fort simples, mais pas toujours commodes à exécuter.

Pour les mains, il faut lever les bras en l’air, tout en remuant constamment les doigts, et faire ces mouvements pendant cinq minutes, toutes les heures : c’est le geste qu’accomplissent les danseuses avant d’entrer en scène pour se blanchir les mains.

Le même exercice devrait être effectué pour les pieds, il est assez facilement réalisable, matin et soir, en s’accotant à un mur ; dans la journée, il est plus difficile de s’y livrer, mais on peut souvent trouver un moment pour s’isoler.

On ne saurait trop insister sur ce traitement, simple et réellement efficace, qui ne demande qu’un peu de volonté et de persévérance.

M. THÉOFRASTE.

Le Chasseur Français N°605 Janvier 1942 Page 54