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Tanger 1941

À une époque où la situation de quelques ports les place en sentinelles avancées de certains continents, la position géographique et les statuts internationaux qui régissent Tanger rendent plus exceptionnel encore le régime de neutralité qui est le sien : tous les actes de guerre sont interdits dans cette zone.

En deux heures, par la traversée Algésiras-Tanger, le voyageur quitte l’Espagne, l’Europe, et aborde cette terre d’Afrique du Nord, de civilisation millénaire, qu’une colonisation éclairée a su largement respecter.

Au seuil du Maroc, Tanger accueille le voyageur émerveillé et dont les yeux ne savent où se fixer, sollicités à la fois par le grouillement pittoresque de la vie indigène et les arêtes vives des blanches villas des palais à terrasses, d’où se détachent le vert sombre des cyprès et la plantureuse floraison marocaine.

À Tanger comme partout au Maroc, la lumière est reine, une lumière dorée, irradiant l’immense plage de sable fin, et prêtant aux ruelles de la Médina ses yeux d’ombre et de clarté.

L’on comprend l’attrait qu’exerça, au cours des siècles, cette baie, passage de la route des Indes et de la Méditerranée.

La légende prétend qu’Antée, fils de Neptune, aurait fondé la ville en lui donnant le nom de sa femme « Tingo », et, depuis, la fortune de Tanger, au cours des âges, pour être diverse, n’en fut pas moins en général florissante.

Puissante métropole phénicienne, puis carthaginoise, comme en font foi de très anciens documents, la ville possède d’innombrables vestiges de l’Empire romain, auquel elle avait lié son sort. S’il ne subsiste pas un ensemble architectural de cette époque, des chapiteaux corinthiens, au musée, et une partie de l’élégante colonnade visible à l’entrée de la Kasba sont les témoins de l’activité constructive de Rome.

Les aspects quotidiens et raffinés de la vie moderne sont amplement représentés par des collections d’objets usuels, mais ce sont surtout les tombeaux qui révèlent les coutumes et l’évolution de la Rome antique. Les épitaphes et les stèles païennes, avec leurs sépulcres, précèdent les monogrammes « Serviteur ou Servante du Christ », marquant ainsi l’apparition du Christianisme.

Pendant quatre siècles, Tanger connaît, dans l’Empire romain, une ère de prospérité dans une paix presque totale, mais la mort de Justinien, au VIIIe siècle, la précipite aux mains des hordes islamiques. Successivement avec les Maures, les Portugais, les Anglais et Mouley Ismaïl, Tanger vit son destin qui la dote de ses minarets, de ses palais, de sa Kasba, trésors d’art et d’histoire.

Les bouleversements internationaux de ces dernières années et l’exode français de juin ont amené à Tanger un clan de touristes permanents qui lui sont particuliers. Mêlés aux indigènes et aux nombreux Espagnols, Français, Italiens, Anglais, Hollandais, Russes, Tchèques, Polonais, Allemands, Belges, Juifs se coudoient, s’interpellent selon les affinités et les sympathies. Les conversations s’échangent en un cocktail de langues, dans un espace fort limité.

L’activité du commerce, des affaires et des touristes a adopté le quartier du Petit Sokko, proche des quartiers arabes animés et bruyants, où les boutiques offrent les tentations de l’art artisanal, tapis, cuivres ciselés, maroquinerie, orfèvrerie, tandis que tintent les clochettes des porteurs d’eau et retentissent les « balak » des fiacres ou des bourriquotiers se frayant un passage au milieu de la foule.

Échappant aux sortilèges de cette ville prestigieuse, avec quels mots décrire l’arc parfait de la plage qui s’étend sur sept kilomètres et la symphonie de ses couleurs ? ... Bleu du ciel, bleu violet de la mer, que frange l’écume des vagues, or du sable qui s’allonge jusqu’aux confins de la baie fermée par la masse des montagnes.

Les environs de Tanger sont dignes de la belle cité. Une route pittoresque qui s’accroche aux pentes escarpées de la montagne mène au cap Spartel, dont le phare, avec celui de Tarifa au fond, marque l’entrée du détroit le plus fréquenté du monde. Avec les grottes d’Hercule, le tombeau de Sidi-Kacem, les sources de Charf El Akab et les routes vers le Maroc espagnol et le Maroc français, Tanger et ses environs, dans leur enclave internationale, forment un joyau touristique inégalable pour l’esprit et les yeux.

Armand AVRONSART.

Le Chasseur Français N°605 Janvier 1942 Page 57