À une époque où la situation de quelques ports les place en
sentinelles avancées de certains continents, la position géographique et les
statuts internationaux qui régissent Tanger rendent plus exceptionnel encore le
régime de neutralité qui est le sien : tous les actes de guerre sont
interdits dans cette zone.
En deux heures, par la traversée Algésiras-Tanger, le
voyageur quitte l’Espagne, l’Europe, et aborde cette terre d’Afrique du Nord,
de civilisation millénaire, qu’une colonisation éclairée a su largement
respecter.
Au seuil du Maroc, Tanger accueille le voyageur émerveillé
et dont les yeux ne savent où se fixer, sollicités à la fois par le
grouillement pittoresque de la vie indigène et les arêtes vives des blanches
villas des palais à terrasses, d’où se détachent le vert sombre des cyprès et
la plantureuse floraison marocaine.
À Tanger comme partout au Maroc, la lumière est reine, une
lumière dorée, irradiant l’immense plage de sable fin, et prêtant aux ruelles
de la Médina ses yeux d’ombre et de clarté.
L’on comprend l’attrait qu’exerça, au cours des siècles,
cette baie, passage de la route des Indes et de la Méditerranée.
La légende prétend qu’Antée, fils de Neptune, aurait fondé
la ville en lui donnant le nom de sa femme « Tingo », et, depuis, la
fortune de Tanger, au cours des âges, pour être diverse, n’en fut pas moins en
général florissante.
Puissante métropole phénicienne, puis carthaginoise, comme
en font foi de très anciens documents, la ville possède d’innombrables vestiges
de l’Empire romain, auquel elle avait lié son sort. S’il ne subsiste pas un
ensemble architectural de cette époque, des chapiteaux corinthiens, au musée,
et une partie de l’élégante colonnade visible à l’entrée de la Kasba sont les
témoins de l’activité constructive de Rome.
Les aspects quotidiens et raffinés de la vie moderne sont
amplement représentés par des collections d’objets usuels, mais ce sont surtout
les tombeaux qui révèlent les coutumes et l’évolution de la Rome antique. Les
épitaphes et les stèles païennes, avec leurs sépulcres, précèdent les
monogrammes « Serviteur ou Servante du Christ », marquant ainsi
l’apparition du Christianisme.
Pendant quatre siècles, Tanger connaît, dans l’Empire
romain, une ère de prospérité dans une paix presque totale, mais la mort de
Justinien, au VIIIe siècle, la précipite aux mains des hordes
islamiques. Successivement avec les Maures, les Portugais, les Anglais et
Mouley Ismaïl, Tanger vit son destin qui la dote de ses minarets, de ses
palais, de sa Kasba, trésors d’art et d’histoire.
Les bouleversements internationaux de ces dernières années
et l’exode français de juin ont amené à Tanger un clan de touristes permanents
qui lui sont particuliers. Mêlés aux indigènes et aux nombreux Espagnols,
Français, Italiens, Anglais, Hollandais, Russes, Tchèques, Polonais, Allemands,
Belges, Juifs se coudoient, s’interpellent selon les affinités et les
sympathies. Les conversations s’échangent en un cocktail de langues, dans un
espace fort limité.
L’activité du commerce, des affaires et des touristes a
adopté le quartier du Petit Sokko, proche des quartiers arabes animés et
bruyants, où les boutiques offrent les tentations de l’art artisanal, tapis,
cuivres ciselés, maroquinerie, orfèvrerie, tandis que tintent les clochettes
des porteurs d’eau et retentissent les « balak » des fiacres ou des
bourriquotiers se frayant un passage au milieu de la foule.
Échappant aux sortilèges de cette ville prestigieuse, avec
quels mots décrire l’arc parfait de la plage qui s’étend sur sept kilomètres et
la symphonie de ses couleurs ? ... Bleu du ciel, bleu violet de la
mer, que frange l’écume des vagues, or du sable qui s’allonge jusqu’aux confins
de la baie fermée par la masse des montagnes.
Les environs de Tanger sont dignes de la belle cité. Une
route pittoresque qui s’accroche aux pentes escarpées de la montagne mène au
cap Spartel, dont le phare, avec celui de Tarifa au fond, marque l’entrée du
détroit le plus fréquenté du monde. Avec les grottes d’Hercule, le tombeau de
Sidi-Kacem, les sources de Charf El Akab et les routes vers le Maroc espagnol
et le Maroc français, Tanger et ses environs, dans leur enclave internationale,
forment un joyau touristique inégalable pour l’esprit et les yeux.
Armand AVRONSART.
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