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Où en sont nos chiens d’ arrêt ?

Après les années terribles que nous venons de vivre, le problème du ravitaillement pour les personnes étant si difficile à résoudre, on pouvait craindre, la douloureuse épreuve terminée, une catastrophe pour le cheptel canin. Elle ne s’est pas accomplie. Les chiens de chasse, les seuls qui nous intéressent dans cette rubrique, ne sortent pas trop diminués en nombre et qualité de l’ère des restrictions.

Sans doute l’élevage s’est fait très au ralenti pour certaines races. On a connu de déplorables hécatombes dès 1939. Des reproducteurs ont été enlevés à la faveur de l’occupation. En dépit de tout, l’amateurisme, représenté par des clubs actifs et dévoués, a su conserver les éléments voulus pour garantir l’avenir.

Les races représentées par les bataillons les plus réduits, en 1939, n’ont fait qu’accentuer leur recul. Certaines sont, autant dire, en voie de disparition. Les mieux achalandées ont accentué leur avance. Il serait à souhaiter que la demande dont elles sont l’objet n’incite pas leurs tenants à pratiquer l’élevage en gros au moyen d’éléments d’un extérieur douteux.

Cette situation exposée, nous allons passer en revue toutes les races de chiens de chasse, en commençant par celles d’arrêt. Elles intéressent, en effet, le plus grand nombre de chasseurs.

L’Épagneul français était, en 1939, en excellente posture grâce à l’activité intelligente d’un club qui a su diriger l’élevage et l’orienter dans la bonne voie. Ce chien, autrefois si justement populaire pour ses qualités en terrains variés et sur tout gibier, la douceur de son caractère et, disons aussi, son extérieur flatteur, est représenté par des éléments de premier choix. On voudrait seulement le voir plus connu, plus répandu. Qu’il paraisse seulement aux épreuves avec plus de régularité, et un avenir prospère lui sera assuré.

Ses cousins de Picardie, avec le même moral, si agréable à qui conduit un épagneul sur le terrain, avec leurs vertus particulières pour le marais, ont maintenu leurs positions. On leur voudrait une notoriété autre que provinciale, leurs aptitudes spéciales, avec les qualités qu’ils montrent en plaine et au bois, devraient les faire apprécier en de nombreuses régions du pays.

L’Épagneul de Pont-Audemer, plus étroitement spécialisé pour le marais, représente notre Water-Spaniel national. Avant la guerre déjà, le nombre de familles composant la race était bien réduit. Le Dr Longin, mon regretté collègue et ami, éleveur connu de la race, m’exprimait dès alors ses inquiétudes quant à son avenir. Il est à craindre, bêlas ! qu’elles soient maintenant plus fondées encore.

L’Épagneul breton a bien tenu. Il connaît le même succès, tant en France qu’à l’étranger. Son élevage est particulièrement prospère dans les États du Nord des U. S. A. Dans notre pays, la demande est supérieure à l’offre, par suite de la disparition de quelques chenils réputés et d’un certain ralentissement dans la production durant la guerre. Il n’y a aucune inquiétude à avoir de son avenir. À signaler seulement l’inconvénient qu’il y aurait à ne pas être sévère sur le choix des reproducteurs.

Parmi les Braques, la situation demeure inchangée. Trois d’entre eux : le Braque français, le Braque d’Auvergne, le Braque Saint-Germain, sont le mieux représentés en effectifs et ceux ayant le plus de chances d’étendre leur clientèle.

Le premier, ayant liquidé la querelle du modèle lourd ou léger, s’est tourné sur une formule moyenne dont j’ai pu apprécier les représentants. Il devrait sortir de la région pyrénéenne, où les circonstances et un abandon injustifié l’ont relégué.

Le Braque d’Auvergne, celui qui est sans doute représenté par les individus les plus nombreux, mériterait également d’étendre ses conquêtes, d’autant qu’il semble maintenant faire retour à la tradition auvergnate du chien de taille moyenne aux tissus secs, aux pieds durs et doué d’activité.

Le Braque Saint-Germain, sous l’influence d’un club dirigé par un président qui emporte tous les regrets, avait repris sa physionomie de demi-sang pointer, élégante et distinguée, qu’il eût été fâcheux de le voir oublier. Il a tout ce qu’il faut pour tenir sa place aux épreuves parmi les chiens continentaux, en faisant montre de ses qualités de nez et des allures maintenant appréciées des chasseurs.

Le Braque du Bourbonnais, auquel le distingué président de la S. C. C. avait porté attention avant les événements, produisant sur les bancs quelques sujets de valeur, semble maigrement représenté. Il y a cinquante ans, cette race, ainsi que celle du Braque Dupuy, chère aux Poitevins, figuraient aux Tuileries, brillamment l’une et l’autre. Ces beaux temps ne sont plus.

Le Néo-Braque des pays centraux est toujours très répandu dans nos provinces de l’Est. Il existait assez disséminé en France avant la guerre et en nombre, il faut le dire. Selon toute probabilité, il y conservera une clientèle, bien que figurant moins qu’il y a quelques années aux épreuves entre chiens continentaux.

Le Griffon d’inspiration Korthalienne, gouverné par un club où les jeunes dominent, bénéficie de leur activité. Tout est orienté pour réaliser un chien à la page et lui permettre de nouvelles conquêtes. Les éléments dont on dispose permettent tous les espoirs. Les amateurs du chien à tout faire pourront accorder leur confiance aux représentants de cette race, à vrai dire un peu internationale, mais française pour une large part.

Parmi les chiens anglais, le Pointer tient le haut rang qui a toujours été le sien, tant près des trialmen que des chasseurs. Le succès qu’il remporte aux épreuves, le physique réussi des chiens que nous avons en France, leur nombre, enfin, doivent nous enlever toute inquiétude sur son avenir.

Le Setter anglais, le plus répandu des setters dans le monde et peut-être chez nous le chien d’arrêt le plus populaire, continuera à rencontrer la même faveur. La vue de nombreux Setters, plus ou moins purs qu’on voit partout (l’élevage de guerre) enseigne, assez combien les qualités de la race sont appréciées d’un nombre imposant de chasseurs, même étrangers à toutes les manifestations cynophiles officielles. Son sort est assuré.

On a apprécié avec sympathie les efforts entrepris par un éleveur sérieux et avisé en faveur du superbe animal qu’est le Setter irlandais. Grâce à son action bienfaisante manifestée par la production de chiens de valeur sur le terrain aux trials et en chasse, cette race reprend de jour en jour les positions perdues sous l’influence d’une mode néfaste. Cette mode imposait un chien distingué et étroit à l’excès, par suite d’une mauvaise interprétation d’un passage du standard, avec les conséquences en résultant pour la puissance de nez et même l’intelligence, il s’est heureusement trouvé quelqu’un pour couper court à cette fantaisie. Désormais, le Setter irlandais sera de plus en plus nombreux sur nos chasses.

Autant voudrait-on dire du Setter qu’en Écosse on nomme toujours Gordon Setter. Introduit en France par Paul Caillard, celui-ci nous mettait en garde dès alors contre le modèle trop épais et trop élevé de taille. Il n’a pas été entendu. En conséquence, les regards se sont tournés ailleurs. C’est grand dommage pour ce beau chien, dont il faut espérer qu’il demeure assez de représentants, dans une formule raisonnable, pour lui rendre le lustre qu’il mérite.

Nous avons ainsi passé en revue les races de chiens d’arrêt les plus connues en France, pour voir celles en faveur desquelles sourit la fortune et encourager celles qui ont chance d’avenir. Le règne du gros et grand chien sans allure est terminé. Qu’il se résigne à évoluer ou à disparaître. À regretter que le petit nombre de leurs représentants laisse peu d’espoir de durer à certaines races de mérite.

Dans une prochaine causerie, nous étudierons la situation des chiens courants de petite vénerie et bassets, particulièrement intéressants pour les lecteurs de cette revue. Nous ne saurions toutefois terminer sans un mot pour ceux de grande vénerie, dont le sort peut inspirer toutes les inquiétudes.

R. DE KERMADEC.

Le Chasseur Français N°607 Avril 1946 Page 142