Nous entendons exprimer en ce moment par les innombrables et
impatients candidats à l’achat d’une arme de chasse deux genres d’opinions
différentes, opinions que nous désirerions éclairer, autant que faire se peut
dans les circonstances actuelles. Certains chasseurs expriment leur crainte de
n’avoir à leur disposition que des armes hâtivement fabriquées et, par
conséquent, d’un usage médiocre au double point de vue de la sécurité et de la
durée ; d’autres, impressionnés par les progrès réalisés en toutes choses
pendant ces dernières années, escomptent l’apparition d’une balistique de
chasse absolument nouvelle au double point de vue de la portée des armes et de
leur précision. C’est tout juste si certains n’envisagent pas une application
du radar à la démolition totale des compagnies de perdreaux ...
Nous allons essayer de rassurer les uns, sans trop décevoir
les autres.
Notons, en premier lieu, qu’il ne peut être question ici de
s’intéresser aux petites séries d’armes montées avec des pièces quelconques,
glanées de-ci de-là, au petit bonheur des résidus de fabrication. Ces fusils-là
ont fait leur apparition peu après la libération, et ils se sont vendus aux
impatients à des prix certainement surfaits. N’en parlons plus.
À l’heure actuelle, la fabrication sérieuse a repris dans
les grandes manufactures d’armes en concentrant la main-d’œuvre disponible sur
un petit nombre de modèles anciennement sélectionnés, modèles pour lesquels
l’outillage permettait de repartir de suite sans tâtonnements. En ce qui
concerne les matières premières, il est constant que les périodes de guerre ont
toujours fait progresser la métallurgie, et, du côté de la qualité des aciers,
il est certain que l’industrie armurière n’aura que l’embarras du choix dès que
les producteurs auront repris leur activité. En ce qui concerne la quantité,
cette dernière est, comme beaucoup d’autres choses, conditionnée par la question
du combustible, mais les chasseurs peuvent être certains que les grandes
maisons tiennent à honorer leur signature et ne sortiront la nouvelle
production qu’à la cadence correspondant à leur alimentation en matières
premières de qualité.
Il n’y a donc aucune raison pour que les armes de 1946
soient inférieures à celles d’avant guerre au double point de vue de la
sécurité et de la durée.
Reste à examiner la réalisation de perfectionnements
sensationnels. Nier le progrès, c’est s’assurer des démentis quotidiens, et
nous n’aurons garde d’affirmer que l’arme de chasse n’est plus perfectible dans
quelques détails, mais on peut prévoir que, dans l’ensemble, elle restera assez
voisine de ce que nous connaissons déjà. Nos lecteurs savent que la portée
efficace d’un fusil est limitée par le poids de la charge, par conséquent par
celui de l’arme, et par l’intensité acceptable pour le recul. La valeur de ces
deux dernières quantités est elle-même limitée par la constitution humaine, et
il s’ensuit que, dans l’avenir, nous ne pourrons guère nous écarter des
calibres usuels et de leurs charges standard. Un progrès ne serait réalisable
dans cette voie que par l’étude d’une arme à frein de recul, intéressante pour
certains tirs, mais qui n’aurait pas l’universalité d’emploi du fusil normal en
raison même de sa complexité.
Du côté des groupements, ce sont encore les aptitudes
humaines qui interviennent. Nous avons fréquemment répété dans nos causeries
que, si l’on peut, avec certains chokes et certains plombs, obtenir un
groupement de 80 p. 100 aux distances normales, ce groupement est
parfaitement inutilisable sur le terrain de chasse et qu’un choke de 70
p. 100 convient parfaitement à la majorité des tireurs, associé à un
demi-choke de 50 à 55 p. 100. Il est donc bien inutile de rêver de canons
« super-choke » ; sauf pour le tir au posé, et encore, l’adresse
moyenne des chasseurs ne pourrait les utiliser.
Et, dans un autre genre, nous ne pensons pas que l’arme
automatique à trois coups et à un seul canon, dont on a pu voir quelques
exemplaires dans des mains alliées, soit près de détrôner le fusil à deux
canons, permettant le choix entre deux groupements et deux numéros de plomb.
Ces armes à répétition, intéressantes et efficaces sur certains gibiers
lorsqu’elles sont chargées en conséquence, ne peuvent convenir à la moyenne de
nos chasses ordinaires dans lesquelles l’objectif varie de la caille au lièvre
en passant par le lapin et le faisan.
En conclusion, nous pouvons assurer aux chasseurs que les
armes de 1946 ne seront nullement inférieures à leurs devancières en ce qui
concerne la qualité et que leur conception peut leur assurer encore une longue
carrière avant de les voir figurer au râtelier des antiquités. Que leur
demander de plus ? D’avoir, dans l’avenir, beaucoup de gibier devant
elles ... Mais ceci est une autre histoire ...
M. MARCHAND,
Ingénieur E. C. P.
|