Parmi les nombreuses utilisations du moulinet à tambour
fixe, il en est une qui est en train de révolutionner la pêche à la mouche et
connaît, de ce fait, un succès bien compréhensible : c’est la pêche avec
la bulle de celluloïd.
Je sais très bien, car je suis de ceux-là, que les anciens
pêcheurs à la mouche sèche et même noyée n’abandonneront pas aisément les beaux
lancers avec leur canne légère en bambou refendu, mais je reconnais que la
nouvelle méthode ouvre des horizons plus vastes et permet d’explorer une plus
grande étendue d’eau.
Snobisme — ou sélection plutôt — mis à part, la
pêche à la bulle va rallier nombre de profanes.
En outre, la canne employée pour le lancer servira pour
notre nouvelle méthode, d’où encombrement limité à une seule canne, ce qui est
à considérer dans les déplacements.
En quoi consiste donc cette nouvelle pêche ? Disons,
d’abord, qu’elle est d’une extrême simplicité pour tout pêcheur sachant se
servir du moulinet à tambour fixe, c’est-à-dire par tout gamin qui l’a quelques
minutes à sa disposition.
À l’extrémité d’un bas de ligne de trois ou quatre mouches
séparées par un intervalle de 30 à 40 centimètres, vous adaptez, à la
place de la mouche de pointe, une bulle de celluloïd que vous trouverez partout
dans le commerce. Elle est pourvue d’une petite fenêtre s’ouvrant et se
refermant — plus ou moins bien parfois — pour permettre de la remplir
d’eau et même de grains de plomb, jusqu’à ce qu’elle ait atteint un poids
suffisant pour la lancer avec facilité.
La ligne ainsi montée, il faudra projeter le tout le plus au
large possible, mais la longueur du bas de ligne, souvent supérieure à celle de
la canne, va nous obliger à adopter un lancer bien particulier.
Tenant la canne haute, vous balancez la bulle comme pour un
lancer « sous la main », avec cette différence que l’oscillation sera
prolongée en arrière, au lieu de s’arrêter devant vous.
La bulle arrivée à la fin de cette oscillation arrière, vous
rabattez la canne en avant d’un coup sec, en visant haut, et le poids s’envolera
d’autant plus au large que la trajectoire sera plus courbe.
Les mouches placées sur le bas de ligne ne risquent pas de
s’emmêler, le poids étant en pointe et le bas de ligne bien tendu. Et vous
laissez dériver le tout, en moulinant très lentement ou même en ne moulinant
pas ; bulle et mouches vont décrire un vaste arc de cercle dont vous serez
le centre.
C’est absolument l’ancienne pêche à la mouche noyée en
descendant le courant, mais à 30 ou 40 mètres du bord, ce qui est un gros
avantage dans les grandes rivières.
Si vous n’avez rien senti, lorsque bulle et mouches
arriveront vers votre rive, vous ramènerez très lentement, le long du bord,
pour récupérer la ligne déployée. Mais alors la bulle, de par sa forme
sphérique, offre une résistance à la récupération et progresse en sautillant,
ou tout au moins en traçant un large sillage qui va effrayer toutes les truites
de votre bord.
Il serait souhaitable que le constructeur de ces bulles
adoptât un autre profil plus hydrodynamique et, de ce fait, plus rationnel. Je
serais heureux d’entrer en relations avec un fabricant qui voudrait s’inspirer
de mes conceptions à ce sujet.
Les pêcheurs de la campagne n’ont que faire des bulles et
utilisent un bouchon plombé, qui donne le même résultat ; il est cependant
plus voyant, car le seul avantage de la bulle est son invisibilité. J’ai
remarqué que le poisson se souciait peu, d’ailleurs, de la substitution.
Dans une revue halieutique, j’avais décrit, il y a quelques
années, ledit procédé, alors que la bulle était encore en gestation dans le
cerveau de l’inventeur, et, dernièrement, j’ai vu des professionnels se servir
du bouchon plombé. Un morceau de bois quelconque peut, à la rigueur, fort bien
convenir, si on est pris au dépourvu, un jour que les moucheronnages sont hors
de portée de la canne ordinaire.
Suivant le chargement de la bulle ou du liège, vous pourrez
pêcher en surface ou entre deux eaux. La pêche avec trois ou quatre mouches
paraffinées, donc flottantes, sur un bas de ligne très fin, vous procurera de
belles émotions.
Tous les poissons de surface se prennent à cette
pêche : truites, ombles, vandoises, chevesnes ont à cœur de montrer que la
nouvelle méthode a du bon.
La grande canne à deux mains rend le jet plus aisé et permet
un plus long bas de ligne, donc un plus grand nombre de mouches.
Je regrette de traiter cet intéressant sujet aussi
succinctement, mais la place m’est limitée ; souhaitons cependant que ces
quelques lignes soient suffisamment explicites pour vous inciter à essayer la
pêche à la bulle.
Marcel LAPOURRÉ,
Délégué du Fishing-Club de France.
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