L’image même de cette controverse qui met aux prises les
partisans de la promenade contemplative et ceux du brevet (c’est-à-dire de la
récompense ou de la justification de l’effort physique) ; nous est donnée
par la bicyclette de cyclotourisme, qui, si elle doit obligatoirement comporter
des garde-boue, porte-bagages, phare, sacoches, etc., est tenue d’être légère,
s’accommode fort bien du guidon de course, doit permettre la vitesse et cette
position penchée, indispensable à « l’arracheur », au randonneur résolu,
alors que le contemplatif, fier de sa condition d’homme créé droit pour
regarder le ciel, est ennemi des dos voûtés et ne veut pas « avoir l’air
d’un coureur ».
À vrai dire, on n’en sortirait pas si l’on ne ramenait la question
à ceci : les sociétés de cyclotourisme ont-elles intérêt ou non à
favoriser l’esprit de compétition ? Doivent-elles l’encourager, le
freiner, le combattre ? Et surtout, cette question, qui prime toutes les
autres : l’effectif de leurs membres cotisants et pratiquants s’amenuisera-t-il
si l’on penche vers la compétition tolérée ? Ou s’accroîtra-t-il au
contraire si, laissant les contemplatifs à leur bouderie, leur permettant même
de murmurer, on les prie de laisser s’empoigner sur des parcours très durs nos
fines pédales, sans les obliger nullement à s’aligner, même dans les catégories
« au dessus de soixante-cinq ans », où il est accordé quatre heures
pour monter au Ventoux, et quinze pour couvrir les 150 kilomètres du
brevet Gaston Clément, sans distinction d’âge ?
Jusqu’à présent, les « exploits » des
cyclotouristes ont fait sourire ou hausser les épaules aux professionnels. Mais
voici que le « coureur manqué » commence à fleurir dans nos rangs, et
surtout nous avons les « performances des vieux », de nos vieux qui
commandent l’admiration de beaucoup. Le Dr Ruffier, Tiercelin, Cazassus,
Duffaure, pour ne citer qu’eux, vous abattent leurs 100 kilomètres en
trois heures et demie et feront leurs 1.000 mètres d’élévation en une
heure et demie environ. Leur âge ? De soixante-deux à soixante-treize ans.
Est-ce de la compétition ? Non. C’est une exhibition remarquable de
l’endurance de nos cyclotouristes plus que sexagénaires. Et alors, que
diable ! comment voulez-vous que les jeunes ne soient pas piqués au vif et
ne veuillent réaliser des temps meilleurs ? Car ils auraient honte, à la
fin, de macérer dans la sérénité contemplative du 16 à l’heure quand leurs
ancêtres réalisent du 29 de moyenne par vent debout, comme ce fut le cas, naguère,
de Cazassus venant d’Agen, nous rejoindre à Mont-de-Marsan. Si les vieux s’en
mêlent, il faut bien que les jeunes suivent.
Je dirai donc, pour conclure, que le cyclotourisme
contemplatif perd du terrain, ce qui nuira peut-être à certaines sociétés, mais
profitera au plus grand nombre d’entre elles. Celles-ci ne sont pas créées pour
« faire admirer les sites enchanteurs » ni former des poètes ;
mais pour donner le goût de l’effort physique, des longs parcours, de la
pratique à la fois raisonnée et intense de la bicyclette.
Supprimer les brevets alpins, auvergnats, pyrénéens, c’est
enlever aussi au cyclotourisme un caractère spectaculaire qui, au point de vue
de la propagande, n’est pas à dédaigner. Et c’est pourquoi j’estime qu’il faut
donner de la corde, c’est-à-dire laisser les coudées assez franches aux
organisateurs de manifestations vraiment sportives, tout en évitant, et cela à
tout prix, qu’elles deviennent des courses, car alors, c’est le pire des
ennemis qui nous guetterait : le ridicule.
Henry de La TOMBELLE.
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