Vous ramenez de la campagne de magnifiques légumes
secs : vous les rangez précieusement dans votre salle à provisions, d’où
vous les retirerez au fur et à mesure des besoins, cet hiver ?
Attention ! Ces légumes secs sont peut-être porteurs d’œufs de bruches,
ce que nous appelons couramment des charançons. Extérieurement, aucun
signe ne manifeste la présence de ces œufs microscopiques ; pas davantage
si vous partagez votre graine. Et cependant la bruche femelle a pu pondre sur
ces graines dans le champ même où elles furent cultivées, en perforant très
finement la gousse extérieure et le tégument de la graine ; ces œufs se
transformeront, au cours de l’hiver, en larves (que nous appelons
couramment des vers), qui se nourriront aux dépens de la matière
nutritive de l’intérieur de la graine ; ces larves elles-mêmes se
transformeront en nymphes ou chrysalides immobiles, que vous
pourrez trouver un jour à l’intérieur de vos haricots sous forme d’une
minuscule momie noirâtre. Enfin, un beau jour, vous constaterez avec
stupéfaction que, dans le sac ou la boîte qui contenaient vos légumes,
grouillent une multitude de petits insectes gris noir (légèrement différents
d’ailleurs s’il s’agit de haricots, de pois ou de lentilles) ; vos
haricots eux-mêmes sont percés de petits trous dont certains encore conservent
un petit opercule blanc, partie du tégument qui ne s’est pas complètement
détachée lorsque l’insecte est sorti de la graine. Vos haricots sont
perdus : il arrive fréquemment que tous soient atteints ;
parfois certains sont percés de plusieurs trous : c’est qu’ils avaient
donné asile à plusieurs œufs qui donnèrent plusieurs insectes.
Il faut traiter ces légumes dès la recolte, tout au moins
dès la mise en réserve. Quel procédé employer ? Il en est plusieurs. Deux
sont particulièrement simples : le trempage dans l’eau chaude (ou le
passage rapide au four) et le traitement par sulfure de carbone.
Tremper les légumes dans une eau atteignant 60°, les étendre
ensuite pour les faire sécher : cela suffit pour tuer les œufs de bruche
s’il y en a. Mais attention ! Il ne faut pas que votre eau soit trop
chaude : si vous ébouillantez vos légumes, ils ne seront certainement pas bruchés
par la suite, mais ils risqueront de se ratatiner, d’une part, et de devenir,
d’autre part, extrêmement longs à cuire : telle personne de ma
connaissance devait, l’hiver dernier, faire cuire ses lentilles deux jours
entiers, malgré l’addition de bicarbonate de soude, parce qu’elle avait employé
de l’eau trop chaude. De même si vous passez vos légumes au four de la
cuisinière ou du boulanger : ils risquent d’être ou pas assez ou trop
chauffés.
Beaucoup plus simple et plus sûr me paraît être le
traitement par le sulfure de carbone. C’est un produit qui avait disparu
pendant deux ou trois ans et que l’on recommence à trouver aisément dans les
drogueries. Un seul ennui : il sent très mauvais. Aussi, si vous pouvez
faire l’opération dans un jardin ou une petite cour, c’est très bien. Sinon,
choisissez le rebord extérieur d’une fenêtre, sur lequel vous poserez le
récipient dans lequel vous mettrez vos légumes ; refermez la fenêtre pour
que l’odeur ne pénètre pas dans l’appartement.
Comment opérer ? D’abord, choisir un récipient fermant
à peu près hermétiquement et dont les dimensions sont en rapport avec la quantité
de légumes à traiter : une boîte métallique à biscuits, un seau ou une
marmite fermant bien, une lessiveuse. Placer les légumes dans le fond du
récipient : on peut les laisser dans un sac en étoffe ou un sac en papier,
et on peut, par exemple, mettre ensemble dans une lessiveuse un sac avec
lentilles, un sac avec pois, un autre avec haricots. Par-dessus, vous mettez
une assiette creuse ou un récipient quelconque, de préférence avec un peu de
coton ou un vieux chiffon ; vous y versez le sulfure de carbone à la dose
d’une cuillerée à soupe par volume de 10 litres (à peine une
demi-cuillerée pour une boîte à biscuits, une cuillerée pour une marmite ou un
seau moyens, cinq cuillerées pour une lessiveuse moyenne). Vous mettez
immédiatement le couvercle, sur lequel vous posez même des objets lourds pour
bien le maintenir en place. Les vapeurs de sulfure de carbone, plus lourdes que
l’air, descendent peu à peu dans votre récipient, atteignant toutes les graines
et les œufs qu’elles risquent de contenir. Quarante-huit heures après ;
vous ouvrez le récipient, vous aérez le plus possible vos légumes.
Vous les rangez ensuite dans la salle à provisions, où vous
n’aurez pas la désagréable surprise de les trouver un jour percés par les
charançons, serait-ce au bout de plusieurs années ...
Vous pouvez forcer un peu la dose de sulfure de
carbone : ça n’a aucun inconvénient pour les légumes à consommer ;
pour les graines de semence, il en va autrement : à la dose ci-dessus, le
pouvoir germinatif n’est pas altéré (c’est le procédé couramment employé par
les marchands de graines) ; il risque de l’être par une dose plus élevée.
A. PEYREFITTE.
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