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La mode de Paris

Tendances hivernales

Le fourreau s’est imposé, voire même les lignes tonneau et entravées, ceci est indiscutable ; c’est l’époque qui vit la splendeur du grand couturier Paul Poiret, particulièrement celle qui s’étend entre 1912 et 1922, qui inspira tous nos couturiers cette saison, et, bien que cette mode d’automne, et partant d’hiver, soit vraiment très déterminée, cela n’a pas empêché chaque couturier d’y apporter sa note très personnelle : Lucien Lelong, sa distinction, son goût des beaux drapés en écharpes, des dos plongeants ; Maggy Rouff, sa sobriété native qui ne l’empêche nullement d’opposer les couleurs les plus hardies dans les plus riches tissus. Chez Jean Patou, nous retrouvons le même goût des beaux travaux de couture, effets de nervures, de découpes, d’oppositions de soieries mates et brillantes, de boutonnages savants ; chez Jeanne Lanvin, l’équipe formée par la grande patronne disparue la continue magnifiquement, conservant ce goût de la grande couture et des belles broderies, ce style Lanvin, avec toute la jeunesse qu’exige la mode alerte de notre époque.

Marcel Rochas et Robert Piguet nous dotent d’enroulements savants, de volants asymétriques qui s’entre-croisent. Mad Carpentier reste fidèle à son propre style : bustes élargis, hanches enveloppées, lignes loin du corps qui s’appuient seulement à la taille, tandis que Madeleine Vramant conserve, en dépit de tout, sa mouvante et souple ligne de jupe, mais sous des corsages qui finissent au-dessous de la taille, là où les hanches se galbent ; les somptueuses manches aux larges revers au coude requièrent toute son attention et celle de Marcelle Chaumont aussi, qui les cache sous de vastes plis simulant la cape courte ou le carrick.

La splendeur oubliée des capes, nous la retrouvons chez Pierre Balmain, qui parfois nous enserre dans une robe du menton au bout des doigts, prisonnières de manches-gants ; chez Schiaparelli, qui nous veut des bas de jupes irrégulièrement découpées ; chez Marcelle Alix, qui mélange toujours avec le même bonheur les incrustations de tricot au lainage d’exquises petites robes.

Les paletots courts nous les trouvons follement amples chez Paquin, et droits chez Jacques Fath, sa ligne « éventail » mettant l’ampleur autour des épaules, du buste ; chez Mme Grès, reine des admirables drapés dont la beauté dépasse la mode, nous aimons les empiècements bas modelant l’épaule, les immenses cols-collerettes, les merveilleuses harmonies des nuances en triples tons sombres et doux sur une même robe ; les triples ou doubles mélanges de tons, nous les voyons encore chez Germaine Lecomte, chez Jacques Heim, où la ligne droite est pure, chez Jacques Griffe, jeune et brillante élève de Vionnet, et chez Lucile Manguin, dont la collection est si délicatement parisienne.

Les tailleurs font plus que jamais ensembles sous les manteaux amples ou droits, réchauffés encore de gilets amovibles comme chez Worth, chez Nina Ricci, chez O’Rossen. Les tailleurs et deux-pièces noirs d’après-midi sont innombrables, très classiques de forme, mais ornés, aux bustes, aux épaules, aux poches, de broderies de soutaches, soulignant des incrustations de velours ou de fourrure.

Sous les jaquettes noires, se cachent de ravissantes blouses de crêpe ou de satin blanc ou très clair, blouses parfois largement décolletées, tenant lieu, pour le théâtre ou pour le dîner, de robes du soir ; mais, parfois aussi, c’est une robe tout entière que dissimule la jaquette. Ainsi vêtue, une femme peut sortir de chez elle à trois heures pour faire une visite et finir la soirée sans changer de robe, bien entendu pour une soirée intime seulement.

Les chapeaux prennent une grande importance dans les collections de cette saison ; ceci est heureux, une femme élégante n’étant jamais parfaitement élégante sans chapeau. Ils sont petits, mais très coiffants ; ce sont des béguins, des toques, des boléros, des drapés, des bérets, des relevés de face ou de profil, en feutre, en taupe, en mélusine, en velours ; les formes sont étudiées ; les travaux d’ateliers : coulissés, pailletages, broderies de soutaches et de passementeries, sont subtils. Seuls sont souvent noirs les chapeaux d’après-midi et du soir, les autres jamais ; ils sont gris, beiges, violets ou mauves ; vert « mousse » ou « tilleul », tabac blond, ocre, écaille, garnis de fleurs de velours ou de nœuds de rubans, mais surtout de plumes et de couteaux, de minoches, de tous les volatiles du monde, d’aigrettes et de paradis.

G.-P. DE ROUVILLE.

Le Chasseur Français N°611 Décembre 1946 Page 356