Accueil  > Années 1942 à 1947  > N°611 Décembre 1946  > Page 333 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

Pour nos races nationales

À l’heure où j’écris ces lignes, la saison des expositions, virtuellement terminée, permet de mesurer la grande faveur dont jouissent chez nous les races de chiens de chasse étrangères, en particulier anglaises.

Il semble donc indiqué d’attirer l’attention de notre amateurisme sur celles de nos races nationales dont les effectifs encore assez denses permettent d’espérer pour elles un avenir.

Ce serait, je le vois maintenant, perdre un temps précieux que de tenter le sauvetage de variétés, ou même de races indiscutables, victimes des circonstances ou d’une orientation défectueuse. La disparition de certaines de ces dernières, honorées d’un long passé, est sans doute déplorable. La perte à peu près consommée du chien d’Artois et la situation compromise du Braque français ne causeront jamais assez de regrets. Mais ceux-ci sont impuissants à ressusciter les morts. Parlons donc de quelques vivants dont la conservation est impérieuse et encore aisée.

Un chien courant essentiellement de chasse à tir (ce qu’on a oublié à tort), c’est le Basset Griffon vendéen à jambes droites que je veux dire, serait irremplaçable si, d’aventure, l’élevage en étant négligé et ses représentants sur les bancs allant encore diminuant, on l’y voyait à l’état de rareté. Sauf à Nantes, où le nombre en était convenable, sans plus, ailleurs il était faible, dans des régions pourtant bien pourvues de ces chasseurs modestes ne se servant que d’un ou deux courants. De train moyen, mais assez leste pour passer partout, ce Basset, bon lanceur, tenace dans les défauts, prenant sur toutes les voies, est le compagnon idéal de l’amateur de coups de fusil de moyens modestes.

On a voulu le transformer en chien de vénerie, et cela lui a fait tort, parce qu’il n’est pas moralement conçu pour cela et qu’on en a renforcé le modèle, en taille et même en volume. Tel qu’il est, dans le modèle classique de 0m,38 à 0m,40 (même au-dessous de 0m,38), ni épais ni trop long, tel qu’il devrait toujours être, on ne peut trouver mieux pour l’usage auquel il est destiné. À l’heure où l’on économise sur toutes choses, inutile de chercher un alter ego capable de rendre, seul ou en paire, les divers services dont il est coutumier.

Sans doute, son cousin le Briquet vendéen est aussi un excellent chien de chasse à tir et même un preneur de lièvres, mais son train supérieur, qui le rend propre à routailler le sanglier, n’est pas nécessaire lorsqu’il s’agit de tirer les autres gibiers. Celui du Basset est absolument suffisant, même dans les régions accidentées, voire escarpées. Dans les bois de peu d’étendue, plats et dépourvus de couverts denses, d’aucuns peuvent même l’estimer quelque peu vif. Mais nous n’avons plus aucun Basset plus lent susceptible d’exécuter le même travail en petite compagnie. Il faut donc se servir de celui-ci et se dire que, par pays et dans les étendues boisées de quelque importance, il a tout à fait l’allure convenable.

J’ai recommandé cet auxiliaire aux nombreux chasseurs de campagne de ma région, plus intéressés par la chasse au chien courant que fervents du chien d’arrêt. Depuis l’entre-deux-guerres, tous ont été satisfaits de leurs acquisitions, faites dans les bons élevages de Vendée, les préférant aux Briquets du pays, bien que parmi ceux-ci se présentent souvent de bons chiens. Le train des derniers étant sujet à emmener un lièvre à toute vitesse, notre Basset devait inévitablement leur être préféré.

Voyant moins d’entre eux aux expositions, je me suis donc ému d’une situation qu’on aurait bien tort de traiter à la légère. Qui ne progresse a peine à seulement maintenir ses positions. Je sais bien les objections qu’on présente généralement contre notre objet. Sa grande activité, son amour passionné de la chasse en font un personnage peu confirmé dans le change. Mais que désire le chasseur au fusil ? Tuer du gibier. C’est pourquoi il lui faut un chien bon lanceur et remueur de gibier. Que ferait-il d’un chien froid et de grande sagesse, aimant la compagnie par surcroît, s’il ne lui est pas permis d’avoir nombreux équipage ? S’il peut se payer seulement la demi-douzaine de compagnons, il trouvera fortune ailleurs chez d’autres races que je sais bien, soit de même train, soit plus lentes, plus maniables et s’ameutant plus aisément. Mais ceci est un autre problème.

En résumé, mes bons confrères en saint Hubert, ceux d’entre vous désireux de conserver un compagnon de fusillot, à tout faire, sans s’embarrasser du nombre, devront penser au Basset vendéen et soutenir les efforts de ses éleveurs.

Je veux espérer que les chasseurs du Midi sont en train de veiller attentivement au maintien de leurs irremplaçables chiens à lièvre, pas assez connus en dehors de leur patrie.

Et je passe aux chiens d’arrêt continentaux, ou, pour mieux dire, français. Le Griffon d’arrêt est, en quelque sorte, un peu de divers pays, et c’est pourquoi j’ai dit « continentaux » ; mais il est aussi largement de chez nous.

Il me semble en bonne voie. J’ai eu à juger un nombre suffisant d’entre eux, d’assez belle venue et en majorité homogènes, pour être rassuré sur leur compte. On en voit de modèle très heureux et bien dans le goût du jour, qui me font augurer favorablement de l’avenir.

J’en dirai autant de l’Épagneul français. Sans doute il y a encore quelques lourds personnages, dont il faudra bien ne plus s’encombrer, car personne n’en veut plus. À côté de ces indésirables, bien des chiens d’aspect sportif, corsetés, osseux et musclés cependant, du meilleur type, pas plus volumineux qu’un Setter anglais convenablement étoffé, et c’est tout à fait ce qu’il faut. Ceci ne veut pas du tout dire que le train en soit le même. Il ne faut pas effaroucher les amateurs d’allures continentales.

Rien à dire de l’Épagneul breton, dont les effectifs nombreux sont reconnus unanimement doués de qualité. On voudrait aussi voir tous ses éleveurs en soigner le physique, L’avenir lui appartient et lui appartiendra tant que parmi eux il y aura quelques fervents de la beauté indispensable, quoi que l’on en puisse penser.

Le Braque qui tient la corde est assurément le Braque d’Auvergne. C’est le seul présentant un nombre rassurant d’unités dans le type et du modèle en dehors duquel il n’y a désormais plus de salut. L’homogénéité du cheptel est évidente. Nombre des chiens le composant ne sont pas plus corpulents que le Braque en usage en Alsace, tout en demeurant dans le meilleur type, avec l’ensemble céphalique et la croupe caractéristiques. En son berceau, d’où il ne sort pas assez, l’unanimité de ses utilisateurs proclament sa qualité. Pour réussir dans sa petite patrie aux températures extrêmes et au sol dur, ce doit être en effet un bon chien, méritant d’être plus connu. Il suffit d’en voir l’attitude aux expositions et la vivacité, pour se rendre compte de ses allures, allures bien dans la note du jour. Pourquoi donc chercherait-on en dehors des frontières ce que nous avons sous la main ?

Il y a quelques bien élégants Saint-Germain, c’est entendu ; mais y en a-t-il tant que cela ? Enfin, en vertu de sa formule, est-ce une race aisée à maintenir ?

J’ai été désolé d’apprendre la raréfaction du prototype de nos Braques, le Braque français, le plus répandu de nos chiens d’arrêt il y a un siècle, réfugié maintenant dans les Pyrénées. Pourquoi cet inconcevable abandon ? La mode y est pour beaucoup, et celle-ci a des raisons inaccessibles à la raison. Je ne puis accepter l’idée que cette race puisse disparaître et veux croire encore au miracle, à l’événement imprévisible qui lui rendra les bataillons nombreux, seuls garants de la durée. Elle le mérite pour son intelligence, son aptitude innée au dressage, toutes ses qualités, les souvenirs de son passé.

On ne dissimulera pas l’importance de l’invasion étrangère dont fait foi le spectacle des expositions. Si ce qui peut encore se maintenir de nos chiens nationaux affermit un jour ses positions, il faudrait pour cela bien se rendre compte des causes ayant provoqué la faveur des chiens anglais, en tout point méritée. Le premier obstacle à une stabilisation est le gros chien pâteux, porteur de poids mort, catastrophique, si historique soit-il. Le succès de l’Épagneul breton montre assez la voie à suivre, comme celle du Beagle de petite taille, concurrent redoutable du Basset. Il faudrait que la doctrine rationnelle pratiquée par la majorité des dirigeants de clubs soit entendue et suivie. De cela nous sommes malheureusement assez loin.

Nos chiens d’arrêt continentaux, moins spécialisés que leurs concurrents, mieux doués comme chiens à tout faire, n’attendent pour la plupart que d’être pourvus d’un physique mieux adapté à une époque où la densité du gibier n’est plus celle d’autrefois. Y a-t-on assez songé ?

Enfin, quand une saine doctrine sera instaurée de ce point de vue, il faudra produire plus qu’on ne fait ; produire et sortir, tant sur les bancs qu’aux épreuves, le plus souvent possible, les élèves seuls dignes d’être montrés en public. Éviter d’exhiber les médiocrités qu’on voit trop souvent encore et même ce qui n’est plus à la page, si bonne en soit la structure.

Enfin, il paraît recommandable de se consacrer à un nombre réduit de races à l’exemple de nos voisins. La création de familles éphémères, baptisées races, a fait perdre un temps précieux et enlevé aux races dignes de ce nom des effectifs qui ne l’étaient pas moins.

Cet examen de conscience, fait avec le ferme propos de renoncer à des habitudes qu’aucune expérience ne justifie et que l’étude attentive des réalités condamne, portera certainement ses fruits. Mais il faut passer à l’exécution, et je vous assure qu’il en est temps, si l’on veut sauver ce qui nous reste, digne en tout point de notre sollicitude et de nos soins.

R. DE KERMADEC.

Le Chasseur Français N°611 Décembre 1946 Page 333