Une lettre
Groupons-nous, c’est l’instant,
Près de la claire flamme ! ...
Dans un récent article de ce journal, F. Joubrel, avec
toute la foi et la poésie des convaincus, nous évoquait la beauté du feu de
camp, « la cérémonie la plus prenante de la vie scoute ».
Vivant dans les Alpes, très près des paysans, je me
permettrai de lui confier, tout amicalement, que, si cette coutume n’est pas
immédiatement tempérée d’un peu de sens commun et de prudence, le scoutisme est
en bonne voie pour se faire exécrer un peu partout. Allumer des feux, c’est
bien si l’on sait les éteindre, si on ne les allume pas en pleine forêt, au
pied d’un grand sapin, dans les feuilles mortes ... Bien des nuits, cette
année, des villages entiers ont dû s’alerter pour aller éteindre les brasiers
allumés dans les endroits les plus invraisemblables par des inconscients.
Il y a mieux : le 21 août, le journal Le Dauphiné
relatait un vol de 300 fagots au préjudice de M. Milleret, facteur
des P. T. T., à Armiaz (Haute-Savoie), brûlés par des scouts pour
faire des feux de joie. En 1945, au Bourget-du-Lac (Savoie), encore plus
fort : c’était une barque débitée à la hachette pour faire un feu, feu qui
a coûté 20.000 francs à ses auteurs.
Un peu de bon sens ... hélas ! c’est la chose du
monde la moins bien partagée.
Et, puisque nous parlons de scoutisme, deux remarques encore
— sans le moindre esprit de dénigrement d’une fort belle institution,
— mais deux remarques qui s’imposent.
« Un scout, c’est un sac sur deux bouts
d’allumettes. » Le chargement d’un gosse de dix à douze ans, comparé à son
propre poids, n’équivaut que trop souvent à mettre 30 à 35 kilogrammes sur
le dos d’un adulte. Pour aller passer un week-end en forêt de Saint-Germain, le
scout emporte un sac plus pesant que celui qui me suffit pour chasser cinq
jours en montagne, vivres, jumelles, corde et cartouches compris. À l’âge de la
formation et du développement physique, tant entravés par les années de
privations, est-ce raisonnable ? Un de mes neveux — onze ans,
— en Alsace, a fait deux fois, cet été, un trajet de 7 kilomètres
avec un sac de 13 kilogrammes. Si l’on n’applique pas dans toute sa
rigueur — par ordre et avec vérifications, puisque la raison ne suffit pas
— une règle inflexible des poids autorisés pour le sac, nous allons finir
par travailler pour les sanatoriums. Le colonel Ronchonot, inspectant les sacs,
faisait ouvrir les trousses à couture et ne tolérait que trois aiguilles. On
jetait les autres. Et il donnait pour raison que, si l’on ne pousse pas le
« règlement » jusqu’à la stupidité, ces clampins-là emporteront un
livre, un accordéon, une salle de bains et un piano à queue ! Sans aller
si loin ...
Enfin, si le chant à petite dose est chose hygiénique,
pourquoi scouts et guides ne peuvent-ils faire douze pas sans chanter — un
octave trop haut — ces petits refrains d’une naïveté artificielle, d’une
pauvreté si décevante, à la manière des S. S. ? L’Allemagne nous
aurait-elle déteint dessus à ce point ? Pourquoi leur casser la voix sans
retour en tolérant ces piailleries dans un registre suraigu ? Pourquoi ne
pas inculquer aux chefs de patrouilles les notions indispensables pour ménager
ces voix en train souvent de muer et de se poser ? et leur apprendre que,
par simple politesse, on se tait en train ou en autocar ? Un parcours en
compagnie d’un braillement perpétuel — et perpétuellement faux — est
un supplice pour les autres voyageurs, qui n’apprécient pas ces façons de se
conduire en pays conquis.
Encore une fois, c’est pour le bien du scoutisme que j’écris
ces lignes, et sans la moindre animosité. Mais il est temps de réfléchir et de
prendre, pour 1947, les mesures nécessaires, dans l’intérêt même du mouvement
scout. Nous espérons qu’il suffira de signaler le mal pour amener les mesures
nécessaires et ramener la sympathie du public, sympathie qui, je le dis très
sincèrement, me semble en nette régression.
Pierre MÉLON.
Réponse de M. Joubrel
Nous remercions M. Mélon de nous signaler, dans un
esprit amical et sans acrimonie, les griefs et critiques formulés à l’encontre
du mouvement scout. Il est bon cependant de reprendre ceux-ci et de les
discuter.
M. Mélon dit que : bien des nuits, cette année,
des villages entiers ont dû s’alerter pour aller éteindre les brasiers allumés
dans les endroits les plus invraisemblables par les scouts. Il ne faut pas
oublier que la vogue du grand air — fort heureusement d’ailleurs
— s’est considérablement répandue depuis ces dernières années. Des
colonies de vacances, des groupes d’enfants, des mouvements de jeunesse de
toutes sortes, des membres des auberges de jeunesse campent et allument des
feux de camps. La population désigne souvent tous ces jeunes sous le nom de
scouts, et, dans de nombreux cas, après contrôle, les responsables du scoutisme
se sont aperçus que les coupables n’appartenaient nullement à leur association.
Il ne faut pas oublier que les groupes scouts sont encadrés par des chefs
souvent jeunes, certes, mais choisis avec soin. C’est même là, à notre avis,
que les parents trouvent le plus de garanties. Les revues scoutes publient
continuellement des articles sur les dangers d’incendie de forêts, et nous
avons vu plus souvent des scouts éteindre de ces incendies qu’en allumer.
Admettant cependant que des fautes de ce genre aient pu être
commises par des éclaireurs ou des routiers, nous transmettons à la Direction
du Scoutisme la lettre de M. Mélon pour que des faits semblables ne se
renouvellent pas.
Au sujet du vol de 300 fagots, ou d’une barque débitée
à la hachette pour faire un feu de joie, nous présentons la même remarque que
plus haut, avec encore plus de réserves sur la qualité de scouts des auteurs de
ces délits. Tout est possible cependant, mais il ne saurait s’agir pourtant que
d’une exception rarissime au milieu des quelque 200.000 scouts qui campent
chaque été en France ... Bien placé pour voir se grouper de pareilles
reproches, nous n’en avons pas encore noté de semblables.
En ce qui concerne les chants d’une naïveté artificielle,
d’une pauvreté si décevante à la manière des S. S. ( !) que les
scouts chanteraient en marchant, il faut dire que c’est du scoutisme, tout au
contraire, qu’est parti, depuis plusieurs années, un mouvement très vigoureux
en faveur du chant de qualité. Des auteurs comme William Lemit ou César Geoffray
appartiennent au mouvement scout. Ils créent chaque année de nombreux chants
qui, lancés dans les stages du scoutisme, des centres d’entraînement aux
méthodes d’éducation active, de l’Union française des colonies de vacances, de
l’Union des Jeunesses républicaines de France, parviennent rapidement dans tous
les groupes d’enfants de notre pays. Ils organisent même régulièrement des
stages dits « de meneurs de chants », formant des spécialistes, qui
contribuent fortement à faire mieux chanter les petits Français. On a même
adressé à ces spécialistes le reproche de faire trop respecter le chant et de
briser l’élan joyeux des garçons et filles que leur nature enthousiaste porte à
« brailler » sans mesure.
Nous nous montrons plus d’accord avec M. Mélon
lorsqu’il déplore le poids trop lourd du sac d’un jeune scout. Il est certain
que les enfants robustes peuvent acquérir de la résistance à porter des charges
importantes, mais les enfants sous-alimentés ou d’une santé délicate pâtiront
toujours, d’une façon ou d’une autre, du surmenage physique. Bien que tous les
membres du scoutisme participant à un camp doivent être, au préalable, examinés
par un médecin, nous pensons qu’une charrette de troupe ou des charrettes de
patrouilles devraient accompagner tous les déplacements et que les sacs des
petits devraient toujours y être déposés. Nous avons d’ailleurs personnellement
adressé une remarque dans ce sens à la Direction du Scoutisme français.
En résumé, nous remercions M. Mélon pour sa lettre,
qui, nous l’espérons, empêchera les jeunes scouts de commettre quelques
erreurs.
F. JOUBREL.
|