Les circonstances m’ayant appelé à tenir en cette revue la
rubrique du chien d’arrêt, je ne saurais mieux débuter qu’en entretenant les
lecteurs du buveur d’air par excellence qu’est le pointer.
À tout seigneur tout honneur, dit-on ; mais, en outre,
je lui dois une dette de reconnaissance, l’ayant exclusivement utilisé durant
treize années, en plaine, bois et marais.
Contrairement aux idées d’une certaine littérature, le
pointer n’est ni l’être si malaisé à manier qu’il faille soi-même posséder,
pour le conduire, des aptitudes spéciales, ni, comme on le dit, le chien
convenant à la seule plaine à céréales.
On oublie que les plus célèbres familles ont été
sélectionnées sur les moors et autres terrains aussi différents que possible de
nos plaines de Beauce ou de Brie.
On oublie encore l’existence des nombreuses variétés
de pointers, dont chacune répond à une indication et s’accorde aux goûts et
moyens d’un chacun. Il y a le sublongiligne, au galop souple, étendu, rapide,
paraissant produit sans effort, prototype du trialer à grande quête et
cependant remarquable chien de chasse. Sa fréquente utilisation en paire
comporte un dressage minutieux. La vitesse déployée, enfin, ne se peut
maintenir que durant quelques heures. Aussi ce modèle se voit-il rarement parmi
les chasseurs du continent.
Après lui, vient un autre, très répandu, le plus connu sur
nos chasses, bâti en hunter de sang, donc médioligne, dont on se fera une idée
en examinant telle image illustrant cet article. Tout chasseur sachant conduire
un chien d’arrêt peut user de pareil auxiliaire. Sans avoir absolument la même
vitesse que le trialer à grands moyens, il est beaucoup plus rapide que les
chiens continentaux et galopera en soutenant longtemps son train. Le hunter
répond en effet à la formule du quadrupède aux allures vives et soutenues.
Comme puissance olfactive, qualité, style d’arrêt, pareil
collaborateur ne se peut comparer à aucun autre chien de chasse pratique, sauf
au setter.
Vient, en dernier lieu, le pointer archi typé en tête, au
fouet dit « idéalement court », refoulé dans ses lignes, à
l’angulation trop ouverte, sujet à présenter, de ce chef, un prognathisme
inférieur plus ou moins accentué. Les allures en sont inévitablement courtes,
le galop est piqué et le train diminué. C’est un modèle qu’on voyait surtout
autrefois, et à rejeter complètement.
La race est très répandue en France, représentée par le
modèle préconisé par le club français du pointer et judicieusement choisi. Elle
procure leurs auxiliaires aux chasseurs les plus fortunés, comme à ceux de
situation modeste. Il n’est meilleure preuve que le pointer peut donc, suivant
une expression un peu vulgaire, mais expressive, être mis « à toutes les
sauces ». Par expérience, je le puis assurer.
Il se dresse parfaitement au rapport à l’eau, comme à terre.
Or on sait que cet exercice lui est interdit en sa patrie, où le véritable
chien d’arrêt ne se doit soucier que de l’émanation directe et, par conséquent,
mépriser les pistes. L’expérience prouve qu’il peut être miss au rapport des « runners »
sans inconvénient pour la fermeté ou le style de l’arrêt. Peut-être nos chiens,
pisteurs héréditaires, sont-ils cependant plus à leur aise derrière un perdreau
désailé fuyant à grande allure.
On a quelquefois dit que le pointer était aux braques ce que
le pur sang est aux autres chevaux. Chez nous, les braquemen, à part les
amateurs du braque Saint-Germain, sont adversaires de l’alliance avec le
pointer. En d’autres pays, notamment en Allemagne, elle a fortement contribué à
donner au néobraque la physionomie distinguée que n’avait pas son ancêtre. Ce mégabraque
volumineux et manquant d’allure n’avait pas la clientèle étendue de son
descendant, preuve de la bienfaisance de la retrempe effectuée. La technique ne
semble pas en avoir été bien connue chez nous, et c’est pourquoi elle est trop
mésestimée. Mieux vaut, cependant, le souvenir d’un ancêtre pointer que d’avoir
à liquider celui de quelque aïeul au faciès corniaudé.
Il y a pointers non seulement de divers formats, mais de
diverses robes. Autrefois majorité de blanc marron, maintenant beaucoup de
blanc noir plus ou moins mouchetés, quelques blanc orange enfin. Les noirs ont
été longtemps nombreux. Il y a des marron zain et même des orange ou rouges plus
ou moins clairs. Toutes ces robes sont orthodoxes, et cependant, sous ces
diverses vêtures, le pointer d’origine pure se reconnaît toujours. Les éleveurs
ont compris que la couleur n’est que le décor de la forme. Ils n’ont pas
pratiqué la désastreuse sélection sur un caractère secondaire, opération
consistant à subordonner le principal à l’accessoire.
Il y a bien aussi des pointers tricolores, assez rares il
est vrai. Le grand pointerman Arkwright ne veut pas en entendre parler,
imputant la présence des trois couleurs à une ascendance indésirable. C’est le
chien courant qu’il veut dire. Je suis assez de son avis, ayant eu des démêlés
avec un et même deux sujets tricolores blanc marron et feu, physiquement et
moralement voisins du foxhound.
Mes relations avec un personnage rappelant assez le bloodhound
par la physionomie ont achevé de me dégoûter à jamais du pointer sortant du
type de la race.
Quelles qu’aient été les menues erreurs et les idées de
certains fantaisistes, les Anglais ont réalisé un chien d’arrêt unique au
monde, lorsqu’il est réussi. Il l’est souvent, sa diffusion dans l’univers
prouve, mieux que toute littérature, l’excellence du résultat.
On sait la part qu’il se taille aux trials de grande quête
et à ceux de quête de chasse, preuve de ses facultés d’adaptation et de la
diversité de ses moyens. N’écoutons donc pas, nous les chasseurs, les
théoriciens qui le desservent en prétendant le magnifier : le pointer peut
triompher au couvert et au marais, sans cesser d’être le roi de la plaine.
C’est un bécassier de premier ordre, éventant l’oiseau à
d’étonnantes portées. Lui comme le setter n’aiment guère à pratiquer la mise
sur l’aile, il est vrai. Remarquons l’hérésie de cet acte demandé aux
chercheurs d’émanation directe. L’usage d’un chien second, spaniel ou autre,
est assez recommandable lorsqu’on chasse les couverts sous lesquels on ne peut
pénétrer. Mais c’est le pointer qui fera toujours tous les arrêts.
Il n’y a pas meilleur pour la bécassine. Éventée à des
distances considérables, le tireur est alerté longtemps à l’avance. Enfin, la
fermeté de l’arrêt de votre compagnon ne vous inspirant aucune inquiétude,
votre tir s’en trouve mieux assuré. Se rappeler que le marais à bécassines ne
comporte pas de bains complets pour le chien. Celui à poil ras peut donc
parfaitement, et sans dommage pour lui, pratiquer ce sport hivernal.
Dirai-je enfin l’aptitude du pointer à arrêter le lièvre
gîté à des distances insoupçonnées ? Il n’est plus décisive preuve de la
puissance de son nez, quoique en pensent certains théoriciens, car aucun autre
chien ne peut prétendre faire mieux, ni même l’égaler.
Essayez donc le pointer et choisissez-le dans les familles
ayant fait leurs preuves. Vous ne serez pas embarrassé, car toutes peuvent
manifester de cette prétention. Mais ne cherchez pas systématiquement celui dont
on vous vantera les allures fantastiques, vous souvenant de l’adage : In
medio stat virtus. Du train, c’est entendu. Pas trop n’en faut. Mais de
l’équilibre, du nez, de l’intelligence, jamais trop.
R. de KERMADEC.
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