Le président du comité de l’Art des jardins de la Société
nationale d’Horticulture de France avait prévu l’indispensable évolution
actuelle du caractère du jardin (cela dès 1940) dans le sens utilitaire, dont
nous vous avons entretenu (1), aussi bien pour les jardins importants que
pour ceux de petites dimensions, dès que la question ravitaillement se posa et
devait, hélas ! se poser pour longtemps.
Au même titre qu’il avait montré, dès 1919, la nécessité de
multiplier jardins fruitiers et vergers, de les rendre attrayants, en imprimant
un aspect agréable à ceux qui accompagnent l’habitation, il prévoyait que le
jardin d’agrément devait désormais comporter des végétaux utiles. Aussi,
lorsque la société d’horticulture pratique de Nice lui demanda de faire une
conférence sur l’architecture des jardins, le sujet fut vite trouvé, tant il
s’imposait à ses yeux.
Déjà, la Côte d’Azur, région de tourisme, de villégiature et
de production florale, devait être approvisionnée à peu près totalement par les
départements agricoles et d’élevage proches. On pouvait déjà prévoir qu’avec la
guerre des difficultés allaient surgir, et elles furent massives. Cette
conférence eut lieu avec un plein succès et une totale efficacité, en janvier
1941, dans la Salle du cinéma Édouard-VII, à Nice.
Le conférencier était en plein dans son sujet. Il avait
présidé, au début de juin, le jury du concours des cultures professionnelles
fruitières et maraîchères de la vallée du Var et de quelques centres
producteurs des régions au delà de Cannes jusqu’à Beaulieu ; et un autre
de visites de propriétés particulières, dont on commençait à affecter
partiellement parties gazonnées et parterres en plantations de pommes de terre
et légumières. Il administrait bénévolement un groupe naissant de plusieurs milliers
de jardins familiaux. Aussi choisit-il comme sujet : Les Jardins
méditerranéens d’aujourd’hui et de demain dans la France revivifiée.
Directives, conseils, suggestions devaient être mis en pratique jusqu’en 1946,
en ce qui concerne les productions des légumes et des pommes de terre.
Le conférencier exposa donc, pour l’immédiat : 1°
comment aménager les pelouses des jardins d’agrément pour produire des pommes
de terre et des légumes ; 2° comment, dans de nombreux cas, obtenir une
ornementation avec des sortes de légumes, de plantes condimentaires, au lieu et
place de fleurs. Exemples en passant : l’agencement des pieds de tomates
sur légère armature pyramidale ; les aubergines, piments doux et forts,
source abondante de vitamines et de condiments, qui allaient remplacer le
poivre ; les associations de laitues pourprées avec des vertes ou des
blondes ou des chicorées frisées ; les choux rouges encadrant des
plates-bandes de poirées blondes ou vertes aux larges cardes nacrées,
etc. ; le remplacement des plantes grimpantes par les splendides haricots
d’Espagne à fleurs rouges et panachées, ou de la variété Saint-Fiacre beurre,
aux superbes gousses d’or pâle.
Cette forme d’utilisation des espaces multiples était, en
effet, la plus instantanément réalisable pour les approvisionnements
saisonniers de chaque famille, ce qui soulageait d’autant le ravitaillement
général. Rien n’est périmé de tout cela, comme est à considérer, dans bien des
cas, le remplacement des plantes de parterre coûteuses par celles mellifères,
médicinales, à infusions, etc.
Puis, et cela est important, parce que fondamental, et, en
quelque sorte, à titre définitif, il expliqua comment maintes essences
fruitières doivent être substituées aux essences purement ornementales pour des
résultats décoratifs aussi attrayants généralement plus durables, au cours des
mois et des années, car les fruits qui succèdent aux fleurs présentent un
double intérêt : visuel sur l’arbre, et gustatif à la récolte. Par
conséquent, si l’utilisation de telles parties du jardin d’agrément en
dispositions légumières l’était à titre provisoire (un provisoire qui
s’échelonna six années de suite et que, dans bien des cas, vous avez intérêt à
maintenir et à poursuivre), mille raisons militent en faveur de la mise en
œuvre fondamentale et durable des essences fruitières : abricotiers,
amandiers, cerisiers, cognassiers, néfliers, pêchers, pruniers, pommiers,
poiriers, etc., au lieu des sortes purement ornementales de la plupart de ces
espèces. Ce sont, enfin, des splendeurs d’hiver, puis si intéressants
lorsqu’ils sont couverts de fruits, espoirs de desserts abondants, et si
agréables à suivre et à contempler aux différents stades évolutifs de ces
fruits !
Puis, plus exclusivement pour la zone Sud, toutes les
agrumes : citronniers, clémentiniers, mandariniers, orangers, grappe-fruits,
etc., oliviers, figuiers, bibaciers (néfliers du Japon), plaqueminiers (kakis),
etc. Ces directives et conseils ont été aussitôt mis en œuvre et continuent à
l’être par des propriétaires qui s’assurent ainsi des récoltes et des profits
auxquels ils ne pensaient pas. La valeur ou les recettes paient et souvent
surpaient, aux prix atteints par les fruits, les frais d’entretien, tout en
amortissant graduellement les dépenses d’achats et de plantation. Ce qui est
réalisé et en cours de réalisation dans les propriétés des régions
méditerranéennes (métropole et Afrique du Nord) est transposable, avec les
mêmes essences et quantité d’autres, dans toute la France, avec un plein succès
et des avantages de premier plan.
Si graduellement les approvisionnements de légumes
permettent de libérer des parties de jardin qui leur furent consacrées, pensez
aux profits que vous vous assurerez en mettant en œuvre les arbres fruitiers,
que les fruits soient destinés à votre table ou les surplus à la vente. Le
capital que vous engagerez sera bien et sûrement placé. Vous le ferez
fructifier, c’est le cas de le dire !
Mais il vous faut agir sans emballement, prudemment, comme
pour toute chose, s’il s’agit de plantations fruitières importantes. Ne les
effectuez que dans un milieu bien préparé, afin d’assurer la reprise intégrale
des arbres et une végétation parfaite ; surtout une production abondante
de qualité de beaux fruits sains d’une grande valeur d’approvisionnement et marchande.
Or, avec les années difficiles que nous vivons, bien des
jardins ont été dévastés, d’autres abandonnés et négligés. Ils sont envahis par
toute une indésirable végétation parasitaire qui les épuise, abritant, par
surcroît, et non moins indésirables, bestioles et insectes nuisibles. Un tel
état de choses implique une remise en état et une fertilisation du sol avant
d’aménager des jardins d’après le profitable goût nouveau. Il faut mieux bien
façonner le sol au cours d’une année qu’effectuer immédiatement des plantations
dans une terre sale. Vous avez tout à y gagner.
Vous serez aidé avantageusement pour cette remise en
état : par des cultures sarclées (pommes de terre, gros légumes) ;
par des plantes étouffantes fourragères, qui vous approvisionneront de fourrage
pour vos bêtes, ou fertilisantes, à en faire comme engrais verts. Tous les
conseils utiles et profitables de réalisation vous seront donnés à cet effet.
LE JARDINISTE.
(1) Voir Le Chasseur français, no 611, p. 345.
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