En ces contrées à la fois si lointaines de nous et si
proches géographiquement de l’expansion occidentale du XIXe siècle,
il nous reste quelques importantes participations, lesquelles, à l’heure
actuelle, constituent l’un de nos derniers actifs étrangers de qualité :
Suez, Crédit foncier égyptien, etc., sans parler des nombreux emprunts d’État.
Quelles en sont les perspectives pour l’épargnant français ?
Les événements récents ont appris aux moins informés que
toutes les nations arabes rejettent peu à peu l’impérialisme européen. Elles
cherchent aussi à se libérer non seulement du soldat ou du fonctionnaire
étrangers, mais aussi du capitaliste et du rentier, sans trop tenir compte ni
des engagements, ni du droit de propriété. En quoi elles ne font d’ailleurs
qu’imiter nombre de gouvernements européens d’aujourd’hui qui seraient bien en
peine de réclamer pour leurs nationaux un traitement plus favorable que celui
qu’ils leur ont eux-mêmes infligé. La leçon des nationalisations européennes
n’a pas été perdue, on peut en être certain. Que l’évolution des capitaux
étrangers — et leur spoliation plus ou moins camouflée — soit
effectuée pour des motifs politiques, comme en Turquie, bolchévisants, comme
dans les Balkans, davantage religieux ailleurs, pour l’épargnant le résultat
est toujours le même. Il aurait tort de se bercer d’illusions. Il n’est
d’ailleurs, comme récente preuve, qu’à observer l’attitude intransigeante de
l’Égypte à l’égard des dettes gouvernementales de la Grande-Bretagne. Les
intérêts privés en Égypte, britanniques, français ou autres, semblent bien
devoir faire les frais de l’accord ... comme ailleurs ! Les porteurs
de Suez et d’autres valeurs égyptiennes dorées sur tranches feraient peut-être
bien de se méfier. Le réveil virulent des nationalismes orientaux,
l’effervescence nationale, religieuse ou para-communiste, en aucun cas ne
peuvent être favorables aux intérêts capitalistes étrangers, et en particulier
à ceux de notre épargne, encore fortement engagée en ce coin du monde.
L’épargne serait d’autant plus mal fondée de s’endormir dans
une douce quiétude en ce qui concerne le Proche-Orient qu’à ce qui précède il
faut joindre les risques d’une guerre possible. L’antagonisme U. R. S. S.-bloc
anglo-saxon se développe chaque jour davantage, et nul ne peut prévoir comment
cela se terminera. Il semble malheureusement que, dans ce domaine, les espoirs
nazis veuillent se réaliser, trop tard pour sauver l’Allemagne, mais peut-être
assez tôt pour permettre de singuliers rétablissements, non seulement allemands,
mais aussi japonais et autres. Certes la guerre n’est pas déclarée, et elle ne
le sera peut-être jamais. Mais la situation grecque depuis plusieurs mois
rappelle étrangement celle de l’Espagne de la guerre civile, et aux préparatifs
américains dans tous les domaines correspondent des précautions identiques de
la part de l’U. R. S. S. Et si la guerre doit avoir lieu,
personne ne peut en fixer la date, encore que les spécialistes font remarquer
que l’écart des forces en faveur des U. S. A. ira en s’accentuant
pendant six ans environ, pour se réduire peu à peu ensuite. Mais, si les
experts ne peuvent rien affirmer de ce qui précède, par contre ils sont tous
d’accord pour faire du Proche-Orient le centre de la prochaine explication,
ceci pour des raisons stratégiques et politiques faciles à comprendre. Deux
expériences fameuses, Napoléon et Hitler, ont prouvé que la Russie était quasi
invulnérable à une attaque venant de l’ouest. Il en est certainement de même
pour une poussée venant de l’est asiatique, les difficultés d’ordre
géographique étant encore pis. Mais il en serait tout autrement pour une
offensive débouchant du sud, directement en Ukraine, à la fois grenier et
arsenal important de l’U. R. S. S. L’on a pu dire avec juste
raison que la Turquie était le point faible de la Russie. En fait, elle est la
clé de la situation, avec ses deux flanquements naturels : la Grèce et
l’Iran. L’on comprend pourquoi, depuis quelques mois, ces trois pays ont une
histoire si agitée !
Ces données stratégico-politiques semblent fort éloignées de
la finance. En réalité, elles nous y ramènent en plein. Car l’épargne a appris
à ses dépens que la guerre n’était jamais une bonne affaire pour elle, mais
bien souvent une catastrophe. Aussi, à notre avis, doit-elle surveiller de très
près tout ce vaste secteur, dont on a un peu trop tendance actuellement à faire
un havre de grâce pour capitaux à la recherche d’un lieu sûr. Les perspectives
aussi bien internes qu’internationales ne manquent pas de risques graves.
Peut-être que ce serait faire preuve de prudence que de profiter d’une des
prochaines et inévitables dents de scie des valeurs à changes pour tout au
moins s’alléger en partie et sortir en beauté.
Marcel LAMBERT.
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