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La situation outre-mer

Une vue d’ensemble sur la situation coloniale du monde est nécessaire pour se rendre compte de la position de l’Union française.

Les États-Unis, aux îles Philippines, avaient eu de longs ennuis avec la population. Ils s’en étaient tirés en leur accordant l’autonomie, puis une indépendance presque complète, ne maintenant qu’un léger protectorat diplomatique et l’occupation militaire des bases navales. Le Japon détruisit tout, substitua une organisation à sa mode. La victoire américaine a rétabli la situation et concédé une liberté encore plus grande, tenant le pays ruiné et dévasté par sa considérable puissance financière.

L’Empire britannique, le Commonwealth, a soutenu sa métropole pendant la guerre, malgré des difficultés considérables de divers ordres. Le Canada, qui n’a plus que le fragile lien de la suzeraineté britannique, est plus américain qu’anglais. Il possède sa représentation diplomatique, son armée, son dollar, mais est parfaitement loyal.

On peut en dire autant de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, qui ont de plus des relations surtout économiques avec les U. S. A. et le reste de l’Amérique.

Quant à l’Union sud-africaine, elle semble bien prête à rompre le dernier lien de suzeraineté impériale. Le récent voyage de la famille royale anglaise semble n’avoir eu d’autre but que de le maintenir. La population blanche, composée en majorité d’Afrikanders (descendants des colons hollandais, huguenots français et boers), est très imbue de sa suprématie sur les gens de couleur, qu’elle entend maintenir dans un véritable servage par des moyens comme : la « barre de couleur », refusant par principe toute amélioration sociale ou économique aux noirs, métis et aux 500.000 Hindous employés dans les mines d’or et de diamant. L’O. N. U. a dû rejeter plusieurs demandes du gouvernement sud-africain.

L’Afrique-Orientale britannique, l’Ouganda, le Kenya et le Tanganyika sont aussi en fermentation.

Quant à l’Empire des Indes, la position des Britanniques est bien aventurée. La libération de l’Inde est décidée à bref délai, mais il n’a pas encore été possible d’aboutir à une organisation pratique, ni même à la division en deux États, l’Hindoustan et le Pakistan.

Toutes ces nations font bien sentir à leur métropole qu’elles ont porté une grande partie du fardeau de la guerre, tant en deniers qu’en sang, et elles entendent tirer le parti le plus avantageux de leurs sacrifices.

Pour l’Union française, nous avons commencé par perdre la guerre ; cela a ébranlé notre position partout et, en Asie, nous avons complètement perdu la face. Nos ennemis intérieurs et extérieurs en ont largement profité. En Indochine, les Japonais, appliquant un plan de destruction de notre œuvre, remarquablement préparé et étudié de très longue date, ont lâché tous les condamnés des prisons provinciales et du bagne, leur donnant des armes. Le vieux fond xénophobe qui existe dans toute âme asiatique s’est réveillé, oubliant nos résultats (population triplée en cinquante ans, extension des cultures vivrières, particulièrement du riz, disparition des famines, les disettes de plus en plus rares, organisation des digues et canaux, chemins de fer, routes, organisation de l’instruction moderne, des services de santé et d’hygiène, de la poste rurale, etc.).

Certains vieux notables annamites prirent la défense de notre œuvre, comme le Tong-Doc, Hoang-Trang-Phu : ils furent exécutés. Quant aux jeunes, l’un des meilleurs a répondu devant moi : « On reconnaît ce que vous avez fait, on ne vous aime pas, on vous supporte, mais les Américains pourraient prendre votre place et ils ont beaucoup plus d’argent que vous. »

Nous avons laissé sans emplois ou avec des situations insuffisantes bon nombre des jeunes formés dans nos écoles. Ils se sont tournés contre nous. Ajoutez quelques erreurs administratives ou fiscales.

En juin 1947, nous tenons à peu près tranquillement le Laos et le Cambodge. Nous avons des forces en Cochinchine et dans le Sud-Annam. Nous sommes à Hué, Vinh en Annam, au Tonkin à Nam-Dinh, Hanoi et sa région, Haïphong, la côte jusqu’à Monkay et la frontière de Chine de ce dernier point à Lang-Son.

La vie économique n’est pas encore bien reprise au Tonkin et dans le Nord-Annam.

À Madagascar, malgré certains tiraillements, la vie était normale quand éclata la révolte de mars, suscitée par des éléments directeurs Hovas qui espéraient se débarrasser de nous et prendre les pouvoirs absolus autrefois exercés pendant une centaine d’années sur toute l’île par les Hovas. Ils ont entraîné une peuplade fournissant des travailleurs et autrefois des bandits, les Anteimours. Cette révolte est l’aboutissement de l’action de sociétés secrètes qui, avant l’autre guerre, étaient en contact avec les Allemands par une pseudo-mission protestante, puis ensuite avec d’autres étrangers, par certains acheteurs de graphite et produits miniers, également admirateurs de la superbe baie de Diégo-Suarez ; enfin, avec quelques têtes chaudes de l’Union sud-africaine.

Là aussi, notre œuvre est belle à tous points de vue, particulièrement en ce qui concerne l’enseignement, la santé, l’organisation sociale et les communications. La situation se rétablira, les déclarations du ministre de la France d’outremer sont nettes.

En Afrique noire, où l’évolution des populations est à tous les stades, l’effervescence est grande, mais des mesures de divers ordres prises à temps peuvent empêcher tout accident grave. L’organisation d’un enseignement adapté aux mœurs et usages des populations, une abondance relative de vivres et produits manufacturés survenant après la pénurie commerciale actuelle aideront au rétablissement de la vie normale.

Une entente anglo-franco-belge étudie et prépare la réalisation de mesures communes pour faciliter le développement de ces actions. Quand le noir pourra utiliser ses billets, acheter des vivres et des tissus, il reviendra travailler chez ceux qui savent le comprendre et le conduire.

L’élite africaine, en particulier les représentants élus de l’Afrique noire, parmi lesquels se trouvent des titulaires de nos plus hauts grades universitaires, saura résoudre avec l’administration coloniale ces questions. Il faut faire évoluer les gens et les conduire selon leur degré d’évolution. La brusque émancipation de 1848, aux Antilles, aurait dû servir de leçon.

Aujourd’hui, les Antilles et la Réunion sont des départements très patriotes, et leur état général est équivalent à celui de bien d’autres.

De même pour la Nouvelle-Calédonie et les établissements français de l’Océanie, les îles Saint-Pierre et Miquelon.

Pour l’ensemble de l’Union française, sachons attendre, soyons larges, et tous viendront se serrer à nouveau sous notre drapeau.

Victor TILLINAC.

Le Chasseur Français N°615 Août 1947 Page 555