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Grande culture

Une nouvelle campagne agricole

Enchaînement des saisons, enchaînement des travaux : pas d’arrêt, la terre est toujours présente ; elle n’est pas toujours contente lorsque le temps la maltraite, ou lorsque les hommes ne la travaillent pas bien ; mais, bonne nourricière, elle donne l’exemple de la continuité, de la persévérance, et, dans sa sagesse, elle nous appelle à l’effort si nous voulons que la disette s’écarte de nous. Peut-être un jour, à l’exemple des cultures « sans sol », trouvera-t-on d’autres méthodes de pourvoir à la subsistance des êtres humains, peut-être les sylves d’autrefois auront-elles reconquis les terres défrichées au cours des siècles ; pour le moment, il convient tout simplement de songer à la campagne qui commence.

Et, pour débuter, il faut semer du blé. Il serait puéril de se lamenter indéfiniment ; mais, malgré le magnifique effort paysan du printemps 1947, il sera nécessaire de se livrer aux combinaisons les plus diverses pour atteindre la moisson de 1948 ; il sera utile de faire appel à la prévoyance des uns, au civisme des autres, pour joindre les deux bouts ; aujourd’hui, il est urgent d’éviter des soucis aussi graves jusqu’en juillet 1949. Il faut semer du blé, formule de slogan, mais qui est une réalité, car il est nécessaire, plus que jamais, de revenir aux réalités dans un monde désabusé et profondément égocentrique, malgré les déclarations de solidarité et d’altruisme.

Semer du blé correspond à un article de foi dans les destinées françaises, car c’est assurer au départ un élément important de l’alimentation publique, c’est éviter d’acheter au dehors une partie de nos besoins, c’est conserver pour des achats indispensables ce que l’on ne peut pas se procurer dans les limites du territoire. Il est normal, cependant, que les cultivateurs, qui sont les artisans de l’œuvre dont les répercussions sont d’une telle envergure, trouvent dans la culture du blé la récompense de leurs efforts ; sinon, on se leurrerait sur l’amplitude et sur la répétition du geste. Cet aspect du drame du blé a déjà été évoqué ; on s’en est ému — à retardement — dans les milieux gouvernementaux, et un effort a été consenti en même temps que l’on espérait ainsi redresser ce côté de la politique agricole du pays.

On peut donc espérer que non seulement les surfaces ensemencées seront un peu plus importantes, mais encore que l’on consentira un plus grand effort pour accroître les rendements. Il s’agit de mieux préparer la terre, de faire usage de substances fertilisantes plus abondantes, de choisir des semences, de réaliser de meilleures semailles et de songer tout de suite à l’entretien des cultures.

Est-ce suffisant ? Non. D’autres céréales sont à ensemencer : du seigle, la plante des terres pauvres, qui vaut infiniment mieux qu’un mauvais blé ; de l’escourgeon ou orge d’hiver, qui facilite la soudure pour les animaux, tout en provoquant l’entrée en action au début de la campagne suivante, puisqu’il est récolté de bonne heure ; de l’avoine d’hiver, qui, dans les climats où le froid n’est pas rigoureux, couvre la terre, la défend contre les mauvaises herbes et prépare également la soudure à la ferme.

Un chapitre n’est pas terminé, celui du ravitaillement en huile ; colza et navette doivent garnir des surfaces développées ; un intérêt direct s’attache à ces cultures qui constituent une base indispensable pour parer à l’insuffisance de la production des pays qui nous ravitaillaient naguère.

La production fourragère, point de départ des denrées d’origine animale, ne peut pas être négligée. Il ne s’agit pas d’abandonner à la prairie des terres consacrées aux productions annuelles, mais d’organiser les fourrages annuels pour faciliter l’alimentation des animaux au début de la saison : trèfle incarnat, vesces et pois d’hiver, seigle sur de petites étendues, colza et navette ; on réalise ainsi, dans certains secteurs, une succession de récoltes fourragères : c’est du lait, c’est de la viande, produits dont le besoin se fait également sentir.

Tous ces ensemencements sont accomplis de septembre à novembre, et, parallèlement, les mieux outillés, les mieux organisés préparent la campagne de printemps. Les labours sont commencés quand les charrues sont puissamment traînées, les fumiers sont conduits pour qu’un enfouissement exécuté de bonne heure hâte la décomposition de l’engrais et améliore les conditions de l’incorporation. Faut-il aussi parler de la préparation des plants de pommes de terre, de leur conservation ?

Ainsi l’effort paysan se poursuit sans trêve, l’organisation du travail se complique du fait que la permanence des travailleurs devient la règle et que le nombre des saisonniers faiblit chaque année. Il faut penser, il faut réfléchir, il faut se préparer à une besogne plus âpre, et l’on voudrait souhaiter qu’une sage harmonie soit établie entre les prix pour qu’il n’y ait pas de défaillance, et qu’au contraire une foi réfléchie guide ceux qui labourent et sur lesquels, pour l’instant, repose certainement un espoir très sérieux de relèvement du pays.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°616 Octobre 1947 Page 589