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Les figures de la lune

Tout le monde connaît cette vague ressemblance avec une figure humaine ronde et épanouie que possède la pleine lune, mais ... chacun voit avec ses lunettes, et, comme en toute chose, l’accord n’est pas unanime ; en 1900, un référendum mondial, par l’entremise de la Société Astronomique de France, permit de juger de la diversité des opinions à ce sujet ;

Depuis le « baiser dans la lune » — profil féminin avec gorge éclatante et partie de visage masculin située en arrière — jusqu’aux insectes à grandes mandibules, des observateurs voient dans la pleine lune :

— une figure humaine à l’œil gauche nettement dessiné, au profil tourmenté, avec une paupière inférieure soulevée comme dans le rire, une prunelle foncée, le nez étant empâté ;

— ou bien une forme humaine avec deux jambes, corps très foncé, un bras étendu tenant un genre d’arrosoir ; la tête est couverte d’une luxuriante chevelure livrée au vent ;

— soit une forme assise, drapée, avec un relief puissant aux genoux et tenant à la main un drapeau aux pointes flottant au vent ; soit une portion de cavale étrange, à l’oreille dressée, à la gueule garnie de grands becs, et portant une ombre de cavalier ...

Un astronome voit dans la lune un bonhomme décapité ; une dame, un héron sur ses pattes, au cou démesuré et picorant ; pour un autre, le héron devient ptérodactyle, oiseau à tête énorme, ou un grand chat, haut sur pattes, buvant la tache de lait que forme le cirque lunaire bien connu de Tycho ; ou encore une tête de femme échevelée et triste, un kangourou, ou un gamin de Paris faisant un geste de gavroche, un pied de nez !

Plutarque écrivit jadis un livre entier sur ce que l’on voit sur la face lunaire, et lui aussi parle de la figure humaine.

En Ardenne, la lune illustre la vieille légende de Caïn qui va s’y cacher, son crime accompli, et le bras étendu obstrue à l’aide d’un buisson d’épines l’ouverture qui lui donna passage. Ce loup-garou lunaire, cet homme au fagot, faisait tenir sages les enfants, à l’époque de la pleine lune ...

Les Russes y voient aussi Caïn, mais Abel remplace le fagot : Caïn porte Abel mort sur une fourche. Abel a la tête en bas, les jambes en l’air ...

Notons que déjà, dans son Enfer, Dante nous parle de Caïn avec son fagot d’épines, et, dans son Paradis, nous lisons :

« Mais dites-moi quelles sont les taches noires
» De ce corps qui là-bas sur la terre
» Font inventer aux hommes des fables sur Caïn. »

Ainsi cette figure de Caïn a traversé les siècles ; parfois Judas le traître remplace Caïn.

Les Aryas y voyaient sans doute, d’après Flammarion, un chevreuil ou un lièvre, les noms de la lune étant, traduits du sanscrit, « porteuse de chevreuil », « porteuse du lièvre ». Les Chinois représentent, sur les broderies des anciens costumes, la lune avec un lièvre dans son disque ; ils l’appellent Yue-Lao (le vieil homme dans la lune, qui préside aux mariages ... Serait-ce l’origine de la lune de miel ! ...). C’est le lièvre qui est le plus connu en Asie, et un auteur anglais assure à ce sujet que les habitants de Ceylan, les Tartares, Mongols et Hottentots, d’autres peuplades encore, associent le lièvre à la lune, à la nuit, au sommeil, et qu’ils ont remarqué que la durée de la gestation de cet animal est égale à celle du mois lunaire ...

Que voit-on encore dans la lune, à l’œil nu ?

Un scarabée aux grandes antennes, et une vieille femme étendant les bras pour donner quelque croûte à un barbet assis en face d’elle (Suède) ; mais, pour un Argentin, cette dame lit un livre, ayant sur la tête un chapeau un peu de travers ...

Un Bulgare n’y décèle qu’un immense drapeau déployé, un Italien le dragon chinois sortant des flammes, etc.

Ainsi, chacun a sa manière de juger et de voir, influencés parfois par le souvenir de légendes, ou par des traditions qui se perpétuent.

De toutes ces représentations que nous avons énumérées, aucune ne représente la réalité ; tout est illusion, interprétation différente, suivant les personnes, de l’assemblage de tons, de taches visibles sur le disque lunaire et qui marquent les cirques, les plaines et les montagnes de ce petit monde mort et glacé ...

R. MIETTE.

Le Chasseur Français N°616 Octobre 1947 Page 608