Généralement, quand on parle de pêche au poisson mort, on
évoque un procédé sportif s’adressant au brochet surtout, et nécessitant un
matériel de lancer, léger ou lourd.
Cette pêche n’est pourtant pas aussi exclusive et permet à
quiconque — praticien chevronné ou novice — de capturer :
saumon, brochet, perche, truite, chevesne et black-bass avec cet excellent
appât.
Il remplace avantageusement cuiller et devon, car il a
l’avantage de ne pas rebuter le poisson, qui a mordu sur de la chair et non sur
du métal, ce qui l’incitera à une deuxième attaque, si la première a été
infructueuse.
En outre, la dépense est moindre, ce qui est à considérer
actuellement ; enfin, il permet une récupération ralentie, d’amont en
aval, chose impossible avec un leurre métallique dans un cours d’eau à courant
vif, sa forme étant par elle-même attirante.
La plupart des rivières contenant au moins un des poissons
ci-dessus indiqués, notre méthode peut s’employer partout ou à peu près
partout.
Comment et où l’utiliser ? Il suffit de promener
lentement, d’une façon naturelle, notre poisson mort, soit après sa projection
avec une canne à lancer, soit, plus simplement, avec une longue canne
ordinaire, le long des rives creuses, des berges en blocs de pierre, des
souches, des roseaux, etc.
Tous les carnassiers l’attaqueront sans méfiance, les gros
surtout, et je considère qu’en hiver une promenade au bord de l’eau sera plus
salutaire qu’une station prolongée près d’un remous. Outre que nous
augmenterons les chances de rencontre d’un vorace, nous éviterons un
refroidissement ou quelque chose de pire.
Le poisson mort peut être tué sur place, sur le lieu de
pêche, et accroché à la monture, ou placé à la maison ; ce dernier procédé
est préférable, les montures sont alors préparées avec plus de soin, et cela
évite de transporter avec soi un seau à vifs, toujours encombrant.
Notons, cependant, que les poissons conservés au formol se
gardent fort bien pendant plusieurs mois et peuvent se mettre dans un flacon ou
dans une boîte bien close.
Nous en reparlerons tout à l’heure.
Voyons à placer l’appât sur la monture, sur les montures
devrais-je dire, car il y en a plusieurs sortes, selon qu’elles sont destinées
à tourner ou à onduler.
Montures tournantes.
— Elles se composent d’un pal dentelé en plomb,
portant, en tête, une hélice et un émerillon, et, latéralement, deux grappins,
un long et un court, au bout d’un fil d’acier ou d’un morceau de crin. La
figure 1 sera plus explicite qu’un long texte.
On enfonce le pal dans la bouche de l’appât jusqu’à ce qu’il
disparaisse en entier dans le corps ; on pique le premier grappin derrière
un opercule et le deuxième le plus près possible de la queue. Pour assurer plus
de solidité à celui-ci, on peut le ligaturer sur le corps par deux ou trois
tours de fil de soie grise ou rouge.
Les hélices feront tourner le tout plus ou moins vite, selon
l’allure de la récupération et l’angle des ailettes.
Montures ondulantes.
— Terme impropre, car elles tournent plutôt qu’elles
n’ondulent, plus ou moins régulièrement il est vrai, mais, semble-t-il, avec
beaucoup plus d’efficacité.
Ce sont des montures tournantes sans hélice, pourrions-nous
dire. Le deuxième grappin, celui de queue, est fixé de telle façon que le corps
du petit poisson-appât soit incurvé, ce qui suffira à le faire tourner. Cette
rotation heurtée — ou, si vous préférez, cette ondulation saccadée
— sera d’autant plus vive que la courbure sera plus accentuée (fig. 2).
Les romanichels et la plupart des professionnels emploient
une monture formée d’un grand hameçon simple sur lequel ils empalent l’appât et
d’un plus petit qui l’accroche au museau et l’empêche de glisser sur la
courbure. La forme arquée fait tourner le tout, comme indiqué précédemment
(fig. 3).
Le poisson mort convient non seulement pour le lancer, mais
pour tout autre genre de pêche, pourvu qu’il soit maintenu en mouvement.
Promené au bout d’une longue canne dans un cours d’eau peuplé de carnassiers,
il fera son office et permettra de belles captures, surtout au crépuscule ou
par temps sombre, en ce qui concerne les belles pièces.
Explorez les abords de tous les obstacles, ainsi que je
l’écrivais plus haut, et préparez votre épuisette : elle vous servira.
Il n’est pas toujours commode de se procurer des poissons
morts, en hiver, à moins d’avoir un bassin bien à l’abri, où nous aurons logé
des pensionnaires à la belle saison.
Aussi devrons-nous avoir des poissons morts conservés.
Voici comment on peut se constituer des réserves de
tous poissons-appâts, depuis le vairon, destiné à la truite et à la perche,
jusqu’au gardon d’un quart ou la grosse ablette, pour le brochet.
Vous préparerez une solution d’eau formolisée à 10
p. 100, que vous mettrez dans un récipient à large goulot, tel, par
exemple, un bocal pour conserver les fruits par stérilisation. Vous
l’emporterez avec vous à la rivière et vous prendrez, selon votre goût :
vairons, goujons ou ablettes, etc., que vous plongerez vivants dans la
solution. Ils mourront au bout d’une fraction de seconde, après s’être
violemment débattus : ils seront alors imprégnés de formol, extérieurement
et intérieurement, ayant avalé du liquide pendant leur courte agonie.
Vous les laisserez une journée entière dans le bocal, puis
vous les retirerez, les laverez à grande eau et vous les placerez la tête en
bas dans un autre flacon à large col, contenant de l’eau formolisée à 2
p. 100, où ils resteront jusqu’à leur utilisation, dans un mois ...
ou dans un an.
Ils auront conservé leurs couleurs naturelles, seront fermes
et résistants, mais, hélas, ils seront plutôt malodorants. Cette odeur de
formol rebute certaines truites qui suivent l’appât assez longtemps avant de
l’attaquer, mais j’ajoute que, la plupart du temps, le carnassier ne s’en
soucie guère quand il a faim. En tout cas, le brochet ne s’en inquiète jamais.
Pour pallier cet inconvénient, vous pourrez remplacer la
deuxième solution par une autre ainsi composée : trois quarts d’eau
sucrée, un quart de glycérine.
L’odeur du formol aura disparu. Si vous ne voulez pas
préparer vos montures amorcées à la maison, emportez quelques poissons dans une
boîte garnie de sciure de bois très salée. Le soir, vous remettrez en place les
rescapés dans leur logement habituel, bien qu’il soit recommandable de leur
réserver un flacon spécial, afin de ne pas détériorer ceux du flacon réserve.
Pour le brochet, vous pourrez faire sécher au grand soleil
de belles ablettes, en les retournant de temps en temps ; puis vous les
peindrez au ripolin ; en bleu sur le dos, en blanc sur les côtés et sur le
ventre. C’est un bon appât qui est très attirant, surtout sur une monture
tournant lentement, car leur forme aplatie freine la rotation.
Je disais tout à l’heure qu’il suffisait de promener le
poisson mort le long des obstacles pour espérer des captures de belles pièces,
mais le procédé dit « à lover » est encore meilleur.
La canne quelconque sera pourvue d’un moulinet. Déroulant
une certaine quantité de soie que vous maintiendrez dans votre main gauche, sur
les doigts, vous projetez d’un mouvement ample, mais souple, votre appât devant
vous, en laissant échapper la soie tenue en réserve, et le ramènerez en
« moulinant » irrégulièrement, par saccades. Il paraîtra tel un
poisson vivant qui est malade ou blessé et cherche à rétablir un équilibre sans
cesse rompu.
Le carnassier à l’affût se jettera brutalement sur cette
proie facile. À vous de faire le reste.
Je redis donc : tous les pêcheurs, quels qu’ils soient,
ont intérêt à pratiquer cette pêche au poisson mort : elle leur procurera
plaisir et ... profit, ce qui ne gâte rien.
Marcel LAPOURRÉ.
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