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La modernisation

des entreprises agricoles coloniales.

Les services de l’Agriculture coloniale du ministère de la France d’Outre-Mer ont diffusé récemment un très important travail de documentation sur la modernisation des entreprises agricoles de la France d’outre-mer. Nous avons jugé intéressant de le condenser à l’intention des lecteurs du Chasseur Français.

En Afrique noire française, les cultures indigènes faites en vue de l’exportation ont été très localisées : arachide au Sénégal, coton en Oubangui et au Tchad (café, cacao, banane sont à considérer à part) ; le reste de l’activité agricole indigène porte sur les cultures vivrières. Les plantations européennes, peu nombreuses, se limitent à des plantations de bananes, d’agrumes, de café, de cacao et de sisal.

La mise en valeur agricole est encore à faire. C’est, pour nous, une obligation morale, sociale et économique pour améliorer l’alimentation et les conditions de vie des populations, ainsi que l’augmentation des exportations.

Sauf à Madagascar où les bœufs sont employés aux labours, et au Sénégal où l’arachide est en partie cultivée avec des hiloires et semoirs, l’agriculture africaine n’utilise que la « daba », sorte de houe permettant juste de gratter le sol. Le bœuf africain n’est pas un animal de trait, il ne peut fournir d’effort ni puissant ni prolongé, il ne vit pas partout. Ce qui importe le plus est de passer de la culture extensive à la culture intensive, ce qui implique l’utilisation d’engrais verts et, si possible, de fumier naturel ou artificiel. Or l’enfouissement d’engrais verts, atteignant souvent un mètre de hauteur, n’est pas possible à la main ou avec des instruments attelés, mais tout juste à l’aide de charrues assez lourdes derrière tracteurs.

Comme au Maroc, on peut conclure que le développement de l’agriculture en Afrique noire est lié à la modernisation, et qu’il convient de passer directement du stade de la « daba » à celui du tracteur.

Selon les régions et les cultures, cette transformation sera soit totale et immédiate, soit progressive. Dans les parties peu peuplées de l’A. O. F., où, par exemple, la culture industrielle du riz est envisagée, il y aura lieu de mécaniser complètement, dès le début, la culture, la récolte, le battage et les transports. Par contre, dans les zones plus peuplées de l’Oubangui et du Tchad, où on pense développer la culture du coton en assolement avec le mil ou l’arachide, il sera possible d’agir plus progressivement.

Dans une première phase, les agriculteurs seront groupés en coopératives, dont les tracteurs assureront les labours et le transport ; par la suite, lorsque les machines seront au point, et lorsque l’évolution sociale de l’indigène le permettra, on aboutira à une mécanisation totale. Il s’agit d’une véritable révolution dans les méthodes de culture et dans le mode de vie du monde rural noir, déjà esquissée avec la création et le fonctionnement dans la plupart des cercles des sociétés de prévoyance.

Les possibilités d’investissements en matériels, celles d’aménagement des terres, d’encadrement en techniciens, de formation du personnel qualifié freineront, surtout au début, l’extension de la mécanisation.

Le but étant ainsi défini, quel sera le matériel à mettre en œuvre ? Quel est celui que l’industrie française est susceptible de produire ?

Jusqu’à présent, notre industrie ne s’est guère intéressée à ces questions. Par contre, les étrangers, surtout les Américains, présentent une gamme complète d’appareils construits spécialement pour ces cultures.

Certaines cultures peu étendues chez nous ne présentent pas un débouché suffisant pour une fabrication en France.

Par contre, pour les autres productions, un gros effort a été demandé aux constructeurs français en liaison avec les services techniques et les usagers. Il importe d’aboutir avant que le marché colonial ne soit pris par les marques étrangères.

La Commission du machinisme agricole du Commissariat général au Plan a déterminé le nombre d’appareils à construire, les prototypes ont été examinés par la Commission d’homologation des tracteurs agricoles, qui a arrêté la liste de ceux dont la construction en série pouvait être autorisée. Le choix a été fixé après des essais qui ont porté sur trois cents heures d’utilisation normale. La liste comprend douze modèles tant à chenilles qu’à roues de petite et moyenne puissance. Afin de déterminer les modèles convenant le mieux aux territoires d’outre-mer, les Services techniques de l’agriculture aux colonies ont entrepris des essais contrôlés pendant mille heures de travail normal.

Outre-mer, l’emploi des charrues et des déchaumeuses à disques sera la règle. La fabrication des disques est un problème délicat maintenant solutionné. Des charrues à disques vont être envoyées pour essais en A. O. F.

Les moteurs devront être des cycles diesel ou semi-diesel, susceptibles d’utiliser les huiles végétales produites sur place. Par endroits, il faudra prévoir des moteurs à alcool.

Il faudra également fournir tout le reste du matériel spécial pour les cultures coloniales, mais d’ores et déjà on peut être assuré de trouver dans la construction française des modèles correspondant aux besoins des cultures tropicales, sauf en ce qui concerne le matériel de mise en état de culture des terres (tracteurs lourds et appareils de génie civil) et quelques instruments comme moissonneuses-batteuses automotrices à arachide ou à riz.

Au moment où une véritable révolution des méthodes culturales va être entreprise pour permettre l’élévation du niveau de vie des populations rurales de nos territoires africains, un gros effort est nécessaire à l’industrie française pour combler son retard dans la construction de machines de motoculture tropicale.

Victor TILLINAC.

Le Chasseur Français N°618 Février 1948 Page 44