Dans son ouvrage sur les prairies, François Berthault,
exposant les idées claires qui faisaient la richesse de son enseignement à
Grignon, a bien situé la prairie temporaire : un mélange de graminées et
de légumineuses occupant le sol pendant un nombre d’années limité. Il s’agit
donc de s’entendre sur les conditions d’application de ces données générales.
Quelques cas, relevés au hasard de visites agricoles, me
permettront de montrer comment on peut tirer parti de la formule en restant
dans le cas d’une formule agronomique et économique. Ainsi, dans l’Indre,
région de La Châtre, c’est Desages, ancien élève de Grignon, qui introduit
la prairie temporaire durant trois ans dans un assolement de huit ans ; la
succession des cultures est la suivante : plante sarclée, blé, trèfle,
avoine, orge, dans laquelle le mélange est semé. Voici la composition du
mélange par hectare : brome des prés, 3 kg. ; pâturin des prés, 3 kg. ;
ray-grass vivace, 12 kg. ; minette, 10 kg. ; fléole des
prés, 3 kg. ; houque laineuse, 3 kg. ; ray-grass d’Italie,
6 kg. ; total, 40 kilogrammes. L’utilisation était basée sur le
fauchage avec production du foin la première année, le pâturage pendant deux
ans ; tous les champs dans cette région sont entourés de haies, de sorte
que la question de clôture ne se pose pas pour les années de pâturage ;
bovins et moutons utilisaient le fourrage. La ferme de Desages était à citer en
exemple, et le jury spécial attribuait la prime d’honneur à cet agriculteur
doublé d’un moutonnier remarquable.
Quelques années avant de passer à Urciers, nous visitions le
Danemark avec les élèves de Grignon. On connaît la réputation de ce pays pour
une abondante production laitière ; si le climat et une belle sélection
ont amené le troupeau bovin à un rendement élevé, une part notable des
résultats obtenus revient à la production fourragère. Le mélange désigné sous
le nom « trèfle et herbe » couvrait alors 776.000 hectares sur un
ensemble de 1.351.000 hectares consacrés aux cultures fourragères, soit plus de
la moitié, alors qu’en France ce que la statistique désigne sous l’appellation
prairies temporaires (à contrôler) ne représente que 400.000 hectares environ
sur un ensemble voisin de 10 millions d’hectares.
Le mélange trèfle et herbe ne dure que deux ans, on ensemence
des mélanges de plantes de haute qualité, trèfle violet et trèfle hybride,
dactyle, ray-grass vivace, ray-grass d’Italie, fromental, fléole, fétuque des
prés. Les prairies ainsi constituées sont exploitées un quart pour la
production du foin, trois quarts pour le pâturage. Il est curieux de voir
alignées en longues files, pâturant au piquet, les vaches qui tirent un parti
remarquable de ce fourrage abondant ; les engrais liquides, préparés dans
de vastes citernes, servent à arroser fréquemment les prairies, comme
d’ailleurs les terres labourables. Résultats remarquables favorisés, ne
l’oublions pas, par le climat, On est loin des terres médiocres et du climat
assez rude du Sud de l’Indre.
J’emprunterai un autre exemple excessivement intéressant à
un modeste cultivateur des Vosges, M. Antoine. Une de ces vallées
constituées par des terres graveleuses et sableuses, véritables filtres où
l’eau d’irrigation est prodiguée pour essayer d’entretenir la végétation,
exactement comme dans les milieux artificiels sur sable fertilisé. N’est-ce pas
dans cette partie de l’arrondissement de Saint-Dié, où l’eau ruisselle toute
l’année, qu’Hervé Mangon a constaté des débits d’eau annuels de 1 à 4 millions
de mètres cubes par hectare ? La prairie reste souvent médiocre, composée
d’herbes grossières. On cherchait, depuis des temps bien lointains, à maintenir
un peu de qualité par l’emploi des charrées, cendres de bois lessivées ;
une technique remarquable dans la préparation du foin assurait la mise en
réserve d’une herbe restant fine par son manque de vigueur. M. Antoine,
avec une perspicacité admirable qui mériterait de longs commentaires, se rendit
compte qu’il y avait mieux à faire. Après tâtonnements, il est arrivé à la
conception suivante : prairie temporaire constituée par un mélange de
ray-grass d’Italie, de fléole, de trèfle violet ; le semis a lieu dans
l’avoine —, on a semé dans l’orge pendant longtemps — après défrichement
de la pomme de terre, et l’on recommence. Comme engrais simplement des scories
de déphosphoration, très rarement des engrais azotés. Là encore, une technique
intelligente conduit à de magnifiques résultats, et je n’entre pas dans
d’autres détails d’exploitation ; ceux-ci laissent de l’espoir pour les
jours à venir si l’on veut enfin consacrer les moyens d’action nécessaires au
relèvement de l’ensemble de l’agriculture française.
Dernier exemple, en préparation celui-là. Nous sommes réunis
à Reims : des hommes qui ne veulent pas voir diminuer le troupeau ovin.
Celui-ci est menacé par le tracteur : Pourquoi ? Le tracteur peut
reculer les limites des terres cultivées et faire rentrer les savarts dans
l’assolement normal ; plus de parcours, plus de chaumes, parce que les
recommandations relatives au déchaumage — moyen de progrès — vont
être généralisées. Il y a bien le mouton de bergerie, mais il semble qu’il soit
le prolongement possible de la culture intensive dans l’Ouest du
département ; c’est autre chose qu’il faut pour le mouton des terres
médiocres. On veut du mouton, et l’on a raison, tant pour la viande que pour la
laine ; en passant, quelle belle leçon on tire de la visite des locaux où
sont conservés des échantillons de laines conditionnées !
Bref, comment maintenir le mouton ? Tout simplement par
l’introduction de la prairie temporaire spécialement constituée pour le
mouton ; plantes choisies : sainfoin, minette, anthyllide vulnéraire,
trèfle blanc, ray-grass vivace, pâturin des prés, pâturin commun, fétuque ovine
ou analogue ; en marge de l’expérimentation portant sur la valeur des
différentes espèces ; durée à déterminer, de cinq à huit ans, suivant la
qualité des terres et leur distance de la ferme.
Ainsi, la prairie temporaire apparaît avec sa véritable
physionomie ; adaptation à des situations extrêmement variées, là où une
légumineuse seule serait mal venue, où la haute qualité du terrain associée à
des conditions climatiques favorables commande la prairie permanente de choix,
enfin dans les lieux qui, quoique médiocres, n’ont pas lieu d’être abandonnés
au pacage permanent.
L. BRÉTIGNIÈRE,
Ingénieur agricole.
|