Il y a intérêt pour l’avenir du yachting léger français à ne
pas augmenter inconsidérément le nombre des séries existantes. Le sport de
compétition doit être mis à la portée des jeunes, et il faut leur permettre de
participer le plus souvent possible à la course ; mais, pour organiser des
régates dans de bonnes conditions, il faut que le nombre des participants soit
assez important pour chaque série. Il est évident que plus il y aura de séries
dans la région, moins il y aura de partants à chaque course.
Nombreux sont les monotypes créés dans un but
égoïstement publicitaire et qui, après une vogue passagère et souvent
étroitement localisée, disparaissent en ne laissant qu’un vague souvenir.
Prisonniers des caractéristiques rigides et immuables d’un prototype, ces
bateaux ne peuvent se transformer et se moderniser. Dans les séries dites à
restrictions, on impose non la reproduction intégrale d’un prototype, mais
seulement des maxima et des minima dans le cadre desquels les goûts
individualistes des plaisanciers peuvent être satisfaits. L’amateur peut
choisir son architecte, modifier plus ou moins les formes et les cotes selon
ses conceptions personnelles et avoir un bateau bien à lui, pourvu qu’il reste
dans le cadre des restrictions imposées par l’association, c’est-à-dire qu’il
observe les maxima et les minima, ainsi que diverses caractéristiques
limitatives.
En 1931, les plaisanciers de la Seine maritime demandèrent à
un architecte naval les plans d’un petit dériveur permettant de naviguer en mer
comme en rivière, en solitaire ou à deux équipiers. Ainsi naquit une série qui
devait devenir très populaire et qui est numériquement la plus importante du
yachting léger français : la série des canetons. Elle compte actuellement
un millier d’unités environ réparties dans plus de quarante flottes. On en
trouve un peu partout, aussi bien sur le littoral que dans les eaux
intérieures, dans la métropole comme dans nos colonies. En 1947, le championnat
de France des canetons connut aux régates de La Baule le chiffre record
des partants avec trente-deux canetons. Ce chiffre indique suffisamment le
succès de cette série, succès qui ne fait que croître, puisque la plupart des
chantiers reçoivent des commandes de plus en plus nombreuses.
Nous avons vu que le moth (1) convenait comme bateau
minimum pour l’initiation du débutant. Le grondin (2) et le bélouga (3)
sont des séries à succès qui donnent les yachts de croisière habitables les
plus économiques et pouvant être construits par des amateurs. Mais, entre ces
types de bateaux correspondant à des nécessités bien déterminées, il fallait
une série répondant aux conditions suivantes : être un bateau complet
permettant la régate aussi bien que la promenade, en mer comme en rivière, en
solitaire ou à deux équipiers ; être rapide, sûr, maniable, et permettre
aux jeunes régatiers de s’initier aux manœuvres des deux voiles (rappelons que
le moth n’a qu’une voile) ; être d’une construction simple pour pouvoir
être réalisé par un amateur ; permettre par son poids et ses dimensions d’être
remorqué derrière une voiture ; être enfin le meilleur marché possible,
cela va sans dire. Ces exigences ne sont pas, hélas ! toutes compatibles,
et si le caneton répond à la plupart d’entre elles mieux que ses concurrents
des séries similaires, son prix s’établit entre 100 et 120.000 francs.
J’ai cependant trouvé des canetons d’une finition impeccable, dans des petits
chantiers à exploitation artisanale, autour de 85.000 francs.
L’As-Pro-Ca (4) est la plus active des associations de
propriétaires. Elle est la seule à éditer un organe de liaison entre ses
adhérents. Elle s’occupe exclusivement de la réglementation, du contrôle des
mesures des bateaux et de l’organisation sportive ; mais, en aucun cas,
elle ne peut aider les constructeurs amateurs ou non.
Celui qui pourra construire lui-même son caneton réalisera
une économie de 50 p. 100 environ. La construction est un peu plus
délicate que celle du moth et elle exige quatre ou cinq fois plus de temps.
Mais elle ne présente pas de difficultés majeures et ne dépasse pas les
possibilités de l’amateurisme. Pour le montage du caneton, les avis sont
partagés. Certains procèdent la quille en l’air ; d’autres préfèrent
construire la quille en bas. Les uns montent le puits de dérive sur la quille
avant la mise en chantier, d’autres le font après. L’essentiel est une étude
préalable approfondie et complète des plans et notices de construction, qui,
d’ailleurs, sont suffisamment explicites pour être compris et traduits même par
un profane. Voici un processus qui me semble particulièrement pratique et qui a
été adopté par plusieurs amateurs : a, traçage ; b,
confection des couples ; c, usinage de la quille ; d,
assemblage du puits de dérive ; e, montage du puits de dérive sur
la quille ; f, mise sur chantier ; g, bordage ; h,
finition.
L’amateur peut choisir entre diverses formes de canetons,
plusieurs architectes ayant dessiné des études dans le cadre des restrictions
statutaires. La Fédération, renonçant à ses prototypes, a adopté le caneton
comme dériveur officiel pour le championnat de France à deux équipiers et elle
a fixé les caractéristiques suivantes valables jusqu’en 1951 :
Longueur maximum : 5m,05 ; largeur
minimum : 1m,40 ; creux minimum : 0m,32;
poids nu minimum ; 135 kilogrammes ; tirant d’eau maximum dérive
basse : 1 mètre ; surface de voilure maximum : 10 mètres
carrés.
J’ai eu récemment l’occasion de barrer un caneton dans des
conditions peu favorables (rivière très encaissée) et j’ai été enthousiasmé par
les qualités évolutives de ce petit voilier. En mer, des plaisanciers ont
effectué, l’année dernière, le parcours La Rochelle-île de Ré par forte
brise à une vitesse moyenne de 9 nœuds, soit plus de 16km,600 à
l’heure. On pourrait citer bien d’autres performances, car le palmarès du
caneton est déjà riche de succès.
Je n’ose écrire pour conclure que ce petit dériveur est le
parfait bateau de régate — le bateau parfait n’existe que dans notre
imagination, et fort heureusement d’ailleurs, — mais si, parmi les yachts
compris entre 4 et 6 mètres, il m’était donné de choisir et de primer la
meilleure série, c’est au caneton que, sans hésiter, je donnerais la
palme ... s’il n’était superflu de palmer un caneton.
A. PIERRE.
(1) Voir Le Chasseur Français d’août-septembre 1946.
(2) Voir Le Chasseur Français de février-mars 1947.
(3) Voir Le Chasseur Français d’avril-mai 1947.
(4) Association des propriétaires de canetons.
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