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La pêche au ver rouge

Quand le torrent est en crue, tous les pêcheurs savent ça, il n’y a que le ver pour la truite. Embroché tout de son long sur un hameçon de grande taille, le pauvre ver n’en mène pas large, si j’ose dire. Il est mort, tout ce qu’il y a de plus mort, et, en temps normal, dans les eaux claires, une truite digne de ce nom ne se dérangerait pas pour un ver de si pauvre apparence.

Mais, avec les hautes eaux, il passe beaucoup de vers qui n’en valent pas mieux, venus de dix, vingt, parfois cent mètres plus haut, arrachés à la terre des berges et roulés contre les cailloux, coincés un quart d’heure dans une fente de rocher d’où le courant finit par les arracher, et, quand ils passent devant la truite, ils ne se différencient en rien de leur frère tassé sur la courbe de l’hameçon.

Dans les eaux claires, contrairement à ce que croient beaucoup de pêcheurs, le ver rend également fort bien. Mais il exige une présentation plus soignée. La Stewart et les montures qui en dérivent permettent de lui garder sa forme allongée, sans courbe, et de le laisser glisser naturellement le long des courants, sur les fonds de sable ou de petites pierres, et, arrivant de la sorte avec une allure naturelle, il ne manque pas de faire sortir la truite de son poste d’affût le long des rochers.

Restent les trous profonds, les « gouffres » où il y a trois ou quatre mètres d’eau claire comme du cristal, et où se cachent d’ordinaire les plus belles pièces. Avec la vogue actuelle du lancer léger, huit jours après l’ouverture les grosses truites ont compris, et plus rien ne bouge pour la saison. Mais, même si les touches sur les triples des cuillers n’ont pas découragé le poisson, il reste la difficulté d’attaquer dans ces sortes de puits étroits, sombres, où l’on devine parfois, tout au fond, des bêtes de belle taille.

On les prend assez facilement avec de gros vers rouges, au vif. La monture que j’emploie pour cela est la simplicité même : un hameçon simple, fin et fort — le Cristal doré fait parfaitement l’affaire, — un plomb de chasse taille 6 à 50 centimètres environ de l’hameçon et une toute petite plume pour soutenir le plomb. Les « gouffres » sont la plupart du temps en eau morte, et il convient de laisser au ver le maximum de liberté. Hameçon de la taille 8, bien que je sois allé jusqu’au 4 pour de très gros vers.

Il est indispensable de sonder. Ensuite, il y a deux façons de faire.

On peut pêcher près du fond, à 10 ou 15 centimètres environ, si le fond est de rochers ou de grosses pierres entre lesquelles le ver se cacherait. Le ver doit remuer au maximum, et pour cela il suffit de passer l’hameçon transversalement une seule fois, au tiers avant de sa longueur. L’hameçon, c’est parfaitement exact, reste presque entièrement visible, mais le ver, qui va rester vivant des heures, va se charger de se tortiller et de le cacher presque entièrement (figure 1). Du reste, pour cette pêche au vif comme pour celle au poisson vivant où des hameçons doubles ou triples s’ajoutent à la silhouette du vif, cet appendice ne décourage nullement les carnassiers : l’essentiel, c’est le mouvement. Tant que le ver bouge, il est attirant, le reste n’existe pas.

Par contre, lorsque le fond est de sable uni ou de petit gravier, le ver s’enfile à peu près à sa moitié, en passant délicatement l’hameçon sous la peau pour faire ressortir la pointe, à peu près à la façon dont on monte un poisson vif sur un hameçon simple piqué près de la nageoire dorsale (fig. 2). Dans ce cas, le plomb doit venir à une dizaine de centimètres du fond, ce qui laisse au ver un cercle d’environ 40 centimètres de rayon pour se promener. Et il ne s’en fait pas faute. C’est le mode de pêche à adopter avec les très gros vers, qui promènent leur hameçon sur le fond sans avoir l’air de s’en apercevoir. S’il y a une grosse truite dans les environs, elle ne sera pas longue à venir interrompre leurs voyages.

Le reste ... c’est affaire de poignet et d’épuisette. Mais cette façon de présenter le ver en eau calme m’a paru valoir la peine d’être signalée.

Pierre MÉLON.

Le Chasseur Français N°608 Août 1948 Page 161