De plus en plus, l’industrie chimique cherche à réaliser des
substances alimentaires d’origines diverses.
En 1926 déjà, les Allemands avaient préparé un « beurre
synthétique » en partant de la paraffine, qui aurait été parfaitement
assimilable par l’homme et dont la fabrication n’a été abandonnée qu’à cause de
son prix de revient trop élevé.
Quelques chimistes suisses ont eu la fantaisie de déguster
un repas, à Lausanne, en mai 1943, dont tous les éléments sortaient du
laboratoire ; les entrées et les desserts étaient faits de cellulose
chimiquement traitée et aromatisée avec des parfums tirés du charbon ; le
plat de résistance était une « viande extraite du bois des forêts »,
arrosée d’un jus synthétique.
À titre d’expérience, ce dut être fort curieux, mais il ne
faudrait pas que des essais de ce genre incitassent quelque industriel à mettre
en fabrication des produits de cette nature. Il y aurait un réel danger.
L’honnête huile de fruits, d’olive ou de noix, a disparu ce
nos marchés ou n’est accessible qu’aux bourses opulentes, et il faut se
contenter d’huiles jadis réservées aux usages industriels qu’une épuration
savante a débarrassé de toute saveur ; le café est, en majeure partie,
remplacé par des succédanés, généralement à base de grains torréfiés, plus ou
moins additionnés de chicorée qui donnent des infusions n’ayant du moka que la
couleur ; il est vrai que, n’en ayant pas les inconvénients, elles peuvent
être prises avantageusement par les nerveux ou les cardiaques auxquels le café
reste interdit. Les flocons de levures, qui imitent — de très loin
— la saveur du fromage de Gruyère, ont une légère valeur alimentaire et
n’offrent aucun danger.
Il n’en est plus de même de certaines margarines qui ont la
prétention de remplacer le beurre. Simple émulsion de suifs à l’origine,
obtenue à l’aide de ferments extraits des mamelles de vaches, ce produit a été
notablement perfectionné et renferme aujourd’hui des graisses végétales,
liquides ou rendues concrètes par hydrogénation, des acides gras non saturés de
la série linoléique et même des vitamines de synthèse.
En certains pays on a été plus loin et, toujours « pour
remplacer le beurre », on a cherché à en imiter la coloration et la saveur
à l’aide d’extraits synthétiques, tirés du goudron. Certes, la saveur est
grandement améliorée, mais non sans danger grave pour la santé publique.
En Amérique, où des produits de ce genre jouissent d’une
grande vogue, il a été poussé un cri d’alarme.
Ces colorants, ces arômes artificiels seraient inoffensifs
pour l’homme, selon les fabricants, parce qu’ils ne donnent pas lieu à des
intoxications massives aux doses employées, mais, même à de faibles doses,
constamment répétées, ces substances se fixent sur certaines cellules, sur des
cellules nerveuses en particulier, et, chose plus grave, elles sont
susceptibles de favoriser l’éclosion de cancers.
En effet, ces substances sont les mêmes que celles dont on
se sert dans les laboratoires pour provoquer le cancer chez des souris ou
d’autres animaux.
Le danger est si réel qu’on a soutenu que l’augmentation du
nombre des cancéreux, aux États-Unis, n’avait pas d’autre cause.
C’est donc à juste titre que l’Académie de médecine a
nettement pris parti contre toute coloration et l’emploi de tout arôme
artificiel pour les margarines.
Admirons les progrès de la chimie, mais méfions-nous quand
ils s’adressent à notre estomac !
Dr A. GOTTSCHALK.
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