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Grande culture

Les prairies

Nous avons indiqué précédemment que les prairies naturelles devraient souvent recevoir des engrais azotés, contrairement à certaines données admises. Une campagne se dessine actuellement en ce qui concerne l’application aux prairies pâturées.

La question est d’ailleurs un peu complexe, car le point de départ réside dans une exploitation plus rationnelle des prairies en question. Quand on parcourt les pays d’herbages, on est frappé par l’inégalité de dimensions des enclos, et les exploitants donnent des explications diverses à ce sujet : le relief du sol, qui entraîne des modifications dans la nature du terrain et la végétation, l’observation des habitudes des animaux, la présence ou l’absence de plantations fruitières, le genre de clôtures employées, les vents plus ou moins importants, etc. Bref, on s’en tient à des habitudes locales, et l’herbe est exploitée sans précautions particulières. Toutefois, on charge plus ou moins, suivant la valeur du fond, et le talent de l’herbager est de chercher à faire consommer de l’herbe de qualité, en évitant que le bétail ne se laisse gagner par l’herbe ou qu’il souffre d’une insuffisance de nourriture. Évidemment, les conditions météorologiques de l’année interviennent et l’on voudrait pouvoir, suivant les cas, mettre en réserve, par l’ensilage, les excédents saisonniers, alors que, justement, les produits ensilés serviraient de réserves dans les circonstances inverses.

Voilà pour la majeure partie des cas contre lesquels une réaction est tentée. On part de l’observation suivante : la valeur nutritive de l’herbe est d’autant plus grande que l’herbe est plus jeune, l’analyse le montre aisément. À la ferme des Ménils (Moselle), la teneur en matières azotées sur.des parcelles témoins tombe de 22,28 à 9,59 p. 100 de mai à juillet. Par conséquent, l’animal profite mieux de l’herbe jeune. Parallèlement, la prairie a été traitée aux engrais, notamment aux engrais azotés, au départ, teneur de 26,04, pour ne descendre qu’à 18,72 dans la période de baisse.

Si l’on combine ces données, on est conduit à ne présenter aux animaux que de l’herbe jeune et à employer des engrais azotés qui améliorent la qualité. Cette orientation a donné lieu en Allemagne, en 1917, à la mise en pratique du système recommandé par Warmbold et connu aussi bien maintenant sous le nom de système de pâturage intensif de Hohenheim. L’École d’agriculture de Hohenheim est située dans le Wurtemberg, à peu de distance de Stuttgart ; elle est un peu antérieure à Grignon, et les créateurs de Grignon, en 1826, Belle et Poloncerau, s’inspirèrent à l’époque des principes de Hohenheim.

C’est à l’inspecteur général de l’Agriculture Félix Laurent, initiateur des Centres nationaux d’expérimentation, que l’on doit d’avoir mis à l’épreuve, au Centre de Courcelles-Chaussy, situé sur la ferme des Ménils, le système Warmbold, et son disciple, l’inspecteur M. Der Khatchadourian, après avoir réalisé, fait connaître les résultats acquis et montré la voie à suivre. Que devons-nous en retenir aujourd’hui ? Pour obtenir de l’herbe abondante et nutritive, on est conduit au compartimentage des herbages. Avant toute chose, évidemment, procéder aux travaux d’assainissement, de chaulage, d’apport d’engrais phosphatés et potassiques qui sont à la base même de toute exploitation rationnelle et, sur ce terrain préparé, user des engrais azotés.

À Courcelles-Chaussy, la fumure de base étant constituée par 500 kilos de scories et 150 à 200 kilos de chlorure de potassium par an, on a ajouté 150 à 200 kilos de sulfate d’ammoniaque et 50 à 100 kilos de nitrate de soude ou de chaux, scories et chlorure étant répandus en décembre-janvier ; un mois après, la moitié du sulfate d’ammoniaque, l’autre moitié étant apportée en mars, quelques semaines avant la mise à l’herbe.

Dans le système très intensif, la quantité d’engrais azotés a été portée à 120 kilos d’azote pur, mais, ainsi que le fait remarquer M. Der Khatchadourian, d’une part, cet azote est fractionné et précède le passage des animaux sur chacun des compartiments successifs ; d’autre part, les conditions climatiques doivent intervenir fortement, ce qui restreint ou modifie sensiblement le champ d’exploitation de la méthode suivant les régions.

Les résultats sont très probants : à Courcelles-Chaussy, on a noté, de 1930 à 1936, que le poids du bétail entretenu a augmenté de 85 p. 100 sur l’ensemble de l’exploitation, de 50 p. 100 sur les herbages ; la production laitière s’est accrue de 130 p. 100. En Belgique, partant de 700 à 1.000 kilos de scories et de 300 à 400 kilos de chlorure de potassium, avec 120 kilos d’azote pur correspondant à 600 kilos de sulfate d’ammoniaque, on a enregistré des résultats très remarquables, soutenus il est vrai, dans une exploitation fortement poussée, par des aliments complémentaires produits sur l’exploitation. Le système Warmbold se répand de plus en plus.

L’objection vient immédiatement à l’esprit au sujet du compartimentage : on recommande des parcelles de deux hectares en moyenne. L’emploi des clôtures électriques doit assurer une économie sensible sur les clôtures traditionnelles. Il faut aussi assurer aux animaux de l’eau dans chacune des parcelles, à moins d’abreuvoirs communs ; ménager des moyens de communication pour éviter des pertes de temps, puisque l’on peut prévoir des changements de clos tous les six à dix jours au maximum. Mais, d’après les protagonistes du système, les frais d’amortissement des aménagements sont rapidement compensés.

Pour terminer, ajoutons que l’application des engrais azotés à haute dose, avec récolte d’une herbe jeune, est compatible avec la mise en réserve de l’herbe par ensilage ; nous avons vu un exemple de ce genre en Bavière ; on était très satisfait de la méthode ; la dose de 100 kilos d’azote pur par hectare était facilement atteinte ; il est vrai que la pluviométrie le permet.

On peut songer à adopter le système pour des prairies de fauche soumises à l’irrigation systématique. Le point important est de maintenir l’équilibre des éléments phosphatés, potassiques et azotés, de manière à ne pas modifier la flore de la prairie qui s’orienterait vers une prédominance de graminées. Des essais sont en cours dans diverses régions de France qui assureront à la production animale un succès meilleur.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°627 Mai 1949 Page 460