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La lutte contre le paludisme

On rassemble sous le nom d’« insecticides de contact » un certain nombre de corps chimiquement assez différents, mais ayant sur les insectes une même action physiologique. Ces corps sont très solubles dans le revêtement de « chitine » qui forme la carapace des insectes. Il suffit d’un contact, par le bout d’une patte, avec un de ces insecticides pour que celui-ci se répande par diffusion dans tout l’organisme de l’insecte. La mort de ce dernier survient lorsque l’insecticide atteint les centres nerveux.

Les insecticides de contact les plus employés sont le D. D. T. (Dichloro-Diphényl-Trichloréthane) et l’H. C. H. (Hexachloro-Cyclo-Hexane). Ce sont des corps solides, très peu volatils, insolubles dans l’eau. Par suite, correctement appliqués sur une paroi (mur, vêtement), ils y « persistent » très longtemps ; leur effet insecticide va en s’affaiblissant lentement pendant plusieurs jours et, dans des conditions idéales, plusieurs mois.

L’insolubilité dans l’eau des insecticides de contact se traduit par un autre avantage. Ils sont extrêmement peu toxiques pour l’homme et les animaux supérieurs.

Les premiers essais remontent à 1942. En quelques années, l’emploi de ces deux corps s’est rapidement généralisé dans le monde entier. En matière d’hygiène, les succès obtenus dans la lutte contre les poux et les puces ont transformé la prophylaxie du typhus, de la fièvre récurrente et de la peste. Une expérience d’« éradication » du paludisme est actuellement en cours dans l’île de Sardaigne, et les instigateurs de l’expérience en sont à se préoccuper des mesures à prendre pour empêcher la réintroduction du paludisme en Sardaigne, tant ils se sentent sûrs de son éradication.

Les expériences menées au Maroc n’autorisent pas un tel optimisme. Il n’en reste pas moins que le D. D. T. et l’H. C. H., par les possibilités nouvelles qu’ils apportent à la lutte antianophélienne, sont susceptibles de modifier l’orientation de la prophylaxie du paludisme.

D. D. T. et H. C. H. peuvent être utilisés contre les moustiques de deux façons :

    1° Lutte contre les larves (dans ou à la surface de l’eau des gîtes larvaires) ;
    2° Lutte contre les moustiques ailés adultes (sur les parois des habitations).

Dans la lutte contre les larves, on possède déjà des procédés très efficaces : drainage, faucardage, mise à franc-bord, mazoutage, vert de Paris, gambusias, plantation d’arbres, etc. ... C’est aux produits larvicides : mazouts et arséniates, qu’il faut comparer le D. D. T. et l’H. C. H.

On les utilise : 1° D. D. T. en solution dans les huiles minérales (gas oil en particulier) à des taux de 2 à 5 p. 100. Les conditions d’épandage sont celles du mazout. Le gîte est neutralisé pour 30 à 40 jours (au Maroc), soit le double de temps qu’avec un traitement au mazout simple. — 2° D. D. T. ou H. C. H. épandus en poudre à la surface de l’eau. Pour certaines raisons techniques, il est nécessaire de mélanger de 5 à 10 p. 100 de produit actif avec une poudre inerte (talc, farine de pierre, liège, etc.). Il faut étendre environ 2 kilos du produit actif pur à l’hectare. Le gîte sera neutralisé pour 30 à 40 jours ; il ne le serait que pour 8 à 10 jours par les arsénites. — 3° D. D. T. en émulsion semble n’être intéressant que dans les rivières.

Le D. D. T. est le seul moyen de lutte contre les anophèles adultes ; il a d’abord été expérimenté sous forme de solution à 5 p. 100 dans le pétrole. Solution pulvérisée sur les parois des habitations à raison de 0gr,5 à 1 gramme par mètre carré : pendant 12 à 15 jours on constatait l’absence des anophèles.

L’emploi des bouillies donna de meilleurs résultats persistants, jusqu’à 45 jours dans les habitations en dur et pendant 30 jours dans les nouallas. Le prix de revient est moins élevé, et absence d’irritation de la peau et des muqueuses des opérateurs par le pétrole.

Ces expériences faites à Bouznika et Skrirat comportaient une application de Gesarol, produit laissant un dépôt de 1 gramme environ de D. D. T. pur au mètre carré. Elles on fait disparaître les moustiques pendant le temps indiqué ci-dessus.

Deux questions se posent :

La lutte contre les anophèles adultes doit-elle remplacer la lutte antilarvaire ?

La lutte antilarvaire est une méthode qui peut prétendre à une efficacité parfaite. Elle a deux inconvénients :

    1° Elle nécessite l’emploi de spécialistes ;
    2° Elle est onéreuse.

Pour ces deux raisons, son emploi se restreint à la périphérie des grosses agglomérations ou aux zones de peuplement très denses, soit aux zones où il y a disproportion entre les gîtes larvaires anophéliens peu nombreux et les habitations humaines menacées très nombreuses. Dans ces conditions, vouloir abandonner la lutte antilarvaire pour faire de la lutte antiadulte serait abandonner l’objectif limité pour s’attaquer à une tâche diffuse et vaste. Cela semble un non-sens économique et technique.

La lutte contre les anophèles adultes doit-elle remplacer la prophylaxie médicamenteuse ?

En prophylaxie collective, lorsqu’il s’agit de protéger une population rurale contre un paludisme sévissant régulièrement chaque année, les calculs prévoient que la lutte contre les anophèles adultes au printemps et en été peut donner des résultats immédiats égaux au cours de l’année considérée et des résultats éloignés au cours des années à venir meilleurs que la prophylaxie médicamenteuse en été et en automne, cela pour un prix de revient inférieur et une gêne moins grande de la population, à condition que les habitations rurales soient accessibles et groupées.

Four juguler une épidémie menaçante, la lutte contre les anophèles adultes peut venir en sérieux appoint, mais les traitements médicamenteux de masse restent actuellement le seul moyen efficace de lutte contre une épidémie de paludisme.

En prophylaxie individuelle, pour protéger un particulier ou sa famille, la lutte contre l’anophèle peut remplacer la prophylaxie médicamenteuse. Elle est plus chère et demande une discipline plus grande. Mais ses avantages subsidiaires (disparition des mouches, punaises, cafards, etc. ...) compensent le prix de revient plus élevé.

Victor TILLINAC.

Le Chasseur Français N°627 Mai 1949 Page 474