Les « working terriers », suivant l’expression de
nos voisins, tiennent dans leurs revues cynégétiques comme dans les nôtres une
place assez modeste. Ce sont pourtant d’aussi précieux auxiliaires que les
autres chiens de chasse. Ils possèdent même un ensemble de talents dont ils
sont seuls à être pourvus, puisqu’ils peuvent prétendre à servir sur et sous
terre et même à l’eau comme retrievers.
Mais, comme on ne les voit pas sur les bancs, le grand
public les ignore, ne connaissant que les chiens dont la plupart sont réservés
aux compétitions du ring.
Avant la dernière guerre, on trouvait de temps en
temps dans le Field la photographie de l’un ou l’autre terrier de
travail ayant conquis notoriété par ses exploits. Il me souvient en particulier
de cette paire appartenant à un officier anglais de la grande guerre, dont il
contait les hauts faits sur le front français. Ces deux mâles, de même portée,
présentaient la physionomie des fox-terriers d’il y a cinquante ans, plus cobs
que hunters, crâne plus épanoui, face de même longueur que le crâne, moins
distingués mais plus compacts que ceux d’à présent.
J’ai sous les yeux l’image d’un champion d’autrefois tout à
fait de ce modèle « Commander of Notts ». Les goûts changeants ont
relégué dans l’ombre les chiens de ce gabarit qu’on ne voit plus qu’entre les
mains des chasseurs. Ils se font très rares, ce dont il n’y a pas à se
féliciter. Dernièrement, je voyais chez un lieutenant de louveterie une lice de
ce type dont il me vantait l’intelligence, peinte d’ailleurs sur la
physionomie, et les nombreuses aptitudes. Le mâle, d’aspect graioïdé qu’il
possédait d’autre part, il me le disait très mordant, mais brutal et borné, ce
dont je ne fus pas autrement surpris.
Les personnes dénuées d’expérience comme déterreurs parlent
volontiers avec enthousiasme des chiens mordants sur lesquels ils s’extasient.
Ceci prouve qu’ils n’y entendent rien. Sous terre, un chien doit faire montre
de ténacité indéfectible, tenir le ferme indéfiniment et savoir ne pas se
laisser accrocher. Ne riez pas, confrères de la jeune génération. De ces
chiens, il y en a et je crois pouvoir dire que surtout il y en a eu. Je parle
par expérience. Le chien moderne a évolué vers le bagarreur bon tueur de
renards (comme il y en avait aussi jadis), mais sujet à être détérioré par le
blaireau contre lequel il ne peut rien. Les tueurs de renards sont eux-mêmes
indésirables s’ils n’ont pas l’habitude de sortir leurs victimes.
De toute façon, on ne doit pas viser à produire de ces
grands baroudeurs, d’autant que leur taille est presque toujours incompatible
avec une circulation aisée dans les couloirs souterrains.
Quant aux plaisantins qui disent avoir vu des chiens
terriers véritables tuer sous terre un blaireau adulte, dont le poids atteint
15 kilos ou les dépasse largement, inutile de perdre son temps avec ces
fantaisistes.
En somme, il s’agit de produire un chien de taille et volume
tels qu’il puisse circuler aisément dans les demeures de notre plantigrade, et
de parer ainsi aux accrochages qui sont toujours sérieux et parfois mortels.
L’expérience m’a enseigné que la taille de 0m,35 à 0m,36
ne gagnait pas à être dépassée et que les poids de 16 à 19 livres étaient
ceux d’un sujet convenablement doublé, suivant le sexe et l’âge. J’ai vu bien
des chiens plus petits et moins étoffés faire merveille, mais la faiblesse de
l’organe vocal de nombre d’entre eux n’était pas sans inconvénient. D’autre
part, j’ai vu tel ou tel trop important mâle (catégorie où se recrutent
généralement les tueurs de renards) se comporter héroïquement sur le blaireau,
mais postuler après chaque rencontre trois semaines de soins. Vraiment, mieux
vaut éviter ces aventures.
La chasse au blaireau est, de toute façon, la plus difficile
parce que l’animal est chez lui, qu’il sait jouer de toutes les ruses, dont la
plus malaisée à vaincre est le contre-terré. C’est pourquoi il faut des chiens
qui y soient habitués et, par conséquent, fins de nez. C’est là la grande
supériorité du fox-terrier et de ses proches cousins sur le bull-terrier
français d’autrefois, très obstiné sans doute, mais manquant de nez.
Certaines gens vous parlent aussi avec assurance du contre-terré
du renard. Ceci est une bonne histoire. Le renard attaqué au terrier (sauf la
femelle qui défend avec acharnement ses petits en bas-âge) n’a qu’une idée,
c’est de vider vivement les lieux. Lorsqu’on a pris la précaution élémentaire
de boucher les gueules, il se résout à se coincer dans un accul quitte à se
laisser dévorer l’arrière-train, ou à le préserver si par chance le canal est trop
étroit. De toute façon, son sort est réglé. La chasse des jeunes demande du
temps et de la patience, car si petit soit un chien il ne peut les suivre que
de loin. Il doit avoir aussi bon nez. Mais qu’est-ce cela comparé à la chasse
souterraine du blaireau en terre meuble et surtout sablonneuse.
Ces chiens terrant ont, autant dire toujours, nombre
d’autres talents. Ils savent mener à voix les nuisibles, le sanglier et même
les gibiers tels que chevreuil, lièvre, lapin. Les chasseurs de sangliers
pratiquant avec eux la chasse dite aux roquets constatent qu’ils parviennent
parfois à se comporter en véritables chiens courants, tenant indéfiniment la
voie, contrairement aux règles de ce sport spécial. On en sait qui chassent la
plume à la manière des spaniels, jouant aussi le rôle de retrievers même en eau
profonde, même en mer, comme je l’ai vu.
Il ne faut pas en être surpris. Les matinoïdes, dont le
fox-terrier est un des représentants les plus répandus, ceux de taille réduite
surtout, sont demeurés près de la nature, par conséquent aptes à se débrouiller
partout, susceptibles de survivre à l’humanité au cas où celle-ci disparaîtrait
soudain. Bien peu de nos races domestiques, hyperspécialisées pour la plupart,
seraient capables de supporter cette épreuve, parce que dans l’impossibilité de
se réadapter à la vie sauvage.
Dans la revue anglaise plus haut citée, il a été parfois
fait mention du retour à cette existence, dans l’Inde, en particulier, de
courants de taille réduite et de terriers ayant pris la jungle et y ayant vécu
plusieurs années, ne faisant que de fugitifs retours au bercail.
Les lupoïdes de petite taille ont également donné des
terriers terrant dont il semble bien que le dernier représentant en activité
soit le Cairn, primitivement destiné à Suivre la loutre dans les
rochers, les « cairns » précisément suivant le nom du dialecte local.
Ce petit poilu, à l’aspect futé, est bâti suivant les lois de l’harmonicité. Il
est sans doute à courte-pattes, mais n’a pas l’aspect rampant. Lui aussi est
assez agile pour se débrouiller seul et gagner sa vie, laissé à ses moyens
physiques et autres. On se demande seulement pourquoi on l’a affublé d’une
toison qu’une robe dense avec bourre et jarre fermé eût avantageusement
remplacée. Le nettoyage de pareille parure après une séance de déterrage est
travail de longue haleine et fort fastidieux.
Reste, pour l’amateur de déterrage et de diverses autres
chasses, ce chien dont on ne sait trop s’il le faut classer courant ou terrier,
et pour ce motif constituant à lui seul un groupe aux expositions. Le Teckel
de travail, qu’on trouve chez les forestiers et les chasseurs de l’est, en
vérité un peu autre que celui figurant sur les bancs, est bien le prototype du
chien qu’on peut mettre à toutes les sauces. La faveur qu’il rencontre comme
chien à tout faire dans une grande partie de l’Europe témoigne de ses qualités.
La sagesse commande de s’incliner devant les faits. Bien que ne l’ayant que
rarement vu au terrier, il m’a semblé y exceller. Sa conformation, sa taille
réduite sont faites pour lui faciliter grandement les ébats souterrains. Sa
méthode diffère singulièrement de l’impétuosité des matinoïdes. Volontiers, je
dirais qu’il tient le ferme à la manière des chiens courants ; plus de
musique que d’agressions, ce en quoi il n’a pas tort. Il a compris qu’il faut
tenir sans se faire pincer. En somme, c’est la bonne méthode, surtout pour un
chien de si petite taille : abrutir l’adversaire de bruit sans se laisser
aborder.
C’est affaire de fox-terrier que d’occire renards et mustélidés,
exercice comportant certaines taille et force, tout au moins lorsqu’il s’agit
des vulpins. À ce propos, j’ai bien ri en feuilletant de lointaines années de
cette revue en y découvrant le récit d’un combat singulier entre meute de
renards et meute de chiens, tous les protagonistes demeurant morts sur le
terrain. J’aurais voulu voir un renard faisant tête, soit au clair, soit au
couvert, à l’un de mes artésiens ou fox-terriers ! L’imagination joue de
ces tours pendables. C’est à elle aussi qu’on est redevable de la découverte du
renard de 15 kilos ! Il faut de ces plaisanteries pour égayer le
paysage.
En terminant, quelques mots sur une variation des instincts
du blaireau notée dans l’Ouest dès entre les deux guerres. On ne compte plus
depuis une vingtaine d’années les intrusions de ce plantigrade dans les
poulaillers des campagnes, soit par forcement du grillage, soit par travail
souterrain. La découverte fréquente du coupable parmi les volatiles occis sans
méthode renseigna promptement sur son identité. Voilà donc maître tesson
faisant concurrence à maître goupil, lui auquel on ne reprochait que le meurtre
de quelques lapereaux et la destruction des œufs de perdrix, excès déjà assez
répréhensibles pour mériter la peine capitale.
Je l’ai chassé à l’affût et au chien courant dans nos grands
ajoncs, mais c’est au terrier que je l’ai surtout détruit, la nature du sol
dans ma région facilitant le déterrage. Si les conditions se trouvent les
mêmes, qu’on cultive donc le terrier travail avec ses nombreux talents et qu’on
n’hésite pas à réduire les bataillons vite accrus du blaireau dès qu’on le
laisse en paix. Lorsque je commençai à le chasser, personne ne troublait sa
quiétude depuis une dizaine d’années, ce qui me valut la première saison la
capture de trois ou quatre très vieux édentés qui n’en étaient pas moins gros
et gras. Le blaireau ne vit pas de l’air du temps et, tout en reconnaissant ses
services comme destructeur de larves indésirables, on ne saurait en tolérer la
pullulation, car le gibier et les jardins ont à souffrir d’un appétit qui n’est
pas mince.
R. DE KERMADEC.
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