Ne nous frappons pas ! Ce n’est point, en effet, de
l’engin de guerre trop connu qu’il s’agit, ni même d’un mode spécial de
braconnage employant cette arme néfaste.
C’est là, tout simplement, un genre particulier de pêche à
la ligne flottante, permis à tous, très productif quand les ablettes sont
nombreuses, que le pêcheur est doué d’un poignet souple et de prompts réflexes.
Qu’est-ce donc qu’une « mitrailleuse » ?
demanderont les débutants.
Eh bien ! voici : c’est une ligne très fine et
très sensible qui comporte une série de quatre, cinq, six hameçons minuscules,
étagés selon la profondeur de l’eau où l’on opère et que nous décrirons en
détail plus loin.
Préalablement, disons quelques mots de l’équipement
nécessaire. Le plus souvent, le pêcheur d’ablettes emploie une canne en roseau
de Fréjus de longueur médiocre et de poids minime pouvant être aisément
manœuvrée sans fatigue d’une seule main. Ces cannes se trouvent partout avec
facilité et, avant la guerre, étaient d’un prix fort modique. À présent, il faut
y mettre un peu plus si on veut autre chose que de la camelote. Cependant, il
n’est pas défendu de leur préférer une canne à mouche artificielle en bambou
refendu, longueur 9 ou 10 pieds et du poids de 180 à 220 grammes. À
mes yeux, ce serait même là l’engin rêvé pour ce genre de pêche. On peut
parfaitement se passer de moulinet, mais je le conseille tout de même, vu les
avantages nombreux qu’il présente. Le corps de ligne peut être quelconque,
pourvu qu’il soit très fin et néanmoins assez solide. Autrefois, de nombreux
pêcheurs utilisaient la soie dite « La Piscivore », fine et
élastique. De nos jours, on emploie volontiers des corps de ligne tout en
« gut » ou en « nylon » de faible grosseur, ce qui est
excellent et guère plus coûteux qu’une soie quelconque. Voici, maintenant, la
partie la plus importante de l’agencement : la « mitrailleuse »
elle-même.
Elle se compose d’un fil central de 2 mètres environ de
longueur, toujours plus ténu que celui du corps de ligne ; il peut être en
gut, en crin japonais, en nylon, peu importe. Néanmoins, je préfère, quant à
moi, la racine anglaise 5 x, qui me paraît idéale pour cette pêche, vu sa
ténuité, sa résistance et sa presque invisibilité.
Sur ce bas de ligne, on monte à l’extrémité inférieure un
petit hameçon dit « de fond » puis, sur des brins très courts de crin
de cheval, choisis un à un, quatre, cinq ou six empiles étagées à 0m,25
l’une de l’autre en remontant vers le flotteur. Ces empiles, porteuses chacune
d’un hameçon « Crystal » blanc, no 15 ou 16, seront
fixées sur le bas de ligne par un double nœud fait à rebours, ce qui les
obligera à se tenir écartées du fil central, le crin de cheval ne se
ramollissant pas dans l’eau.
Nous avons donc construit ainsi une sorte de « pater
noster » d’une grande finesse et à peu près invisible.
La plombée d’un tel dispositif consiste en trois plombs de
chasse no 9 fendus qui seront placés sur le fil central, au
milieu des intervalles séparant les trois empiles supérieures. Son faible
poids, que l’on peut du reste augmenter par l’adjonction d’un quatrième plomb,
doit suffire à stabiliser et sensibiliser la résistance minime à l’entraînement
d’un tout petit flotteur : une plume à antenne de 5 à 6 centimètres
de long.
L’ablette est le plus souvent pêchée du bord, plus rarement
en bateau. Elle se tient dans les courants ralentis et assez uniformes, sans
gros bouillonnements, qui font suite en aval : aux emplacements des
lavoirs, aux gués à voitures et à bestiaux, aux petits barrages d’irrigation,
aux rigoles-déversoirs des moulins ou des abattoirs, etc.
En tous ces lieux, l’ablette pullule, car elle y trouve
ample nourriture, eau agitée et oxygénée. Néanmoins, le pêcheur tâchera de
l’attirer à lui par l’amorçage : quelques boulettes de son mouillé,
pétries et farcies d’asticots ou épine-vinettes fort prisées de ce petit
poisson.
Chaque hameçon de la « mitrailleuse » sera appâté
d’un seul asticot bien vivant et remuant ; toute larve déficiente ne
devant servir qu’à amorcer.
Enfin prêt, le pêcheur projette sa ligne à l’eau, un peu en
amont. Le bas de ligne, immergé jusqu’au flotteur, descend le courant,
légèrement retenu pour que le petit flotteur reste un peu en arrière.
La touche de l’ablette est fort vive et elle entraîne le
flotteur promptement. Ferrer immédiatement d’un léger coup de poignet donné en
remontant : toujours ferrer sur les « relevages », qui sont
assez fréquents.
Il n’est pas rare que plusieurs ablettes s’attaquent
simultanément aux diverses esches étagées. Si le ferrage est bien exécuté,
deux, trois, quatre de ces petits poissons se trouvent accrochés en même
temps ; j’ai vu même des quintuplés avec monture à six hameçons.
Quoi de plus amusant que de voir s’agiter en l’air ces
petits corps argentés et frétillants, que le pêcheur retire d’autorité mais
sans brusquerie, vu la finesse des montures.
Décrocher, au plus tôt, les captives avec précaution et les
mettre au panier garni d’orties fraîches ou de fougère.
Réappâter de suite, lancer de nouveau la ligne accompagnée
d’une pincée d’asticots et de son et ainsi de suite tant que les ablettes
voudront bien mordre. Se déplacer, si la place ne donne plus.
J’ai vu prendre ainsi 250 ablettes en deux heures de
temps par un habile pêcheur lyonnais. J’en ai pris moi-même, plusieurs fois,
une centaine dans l’espace d’une heure, mais il faut être tout à son affaire
pour réussir ainsi.
Vous voyez donc, chers confrères, tout l’agrément de ce mode
de pêche que peut-être vous ignoriez.
Il ne tient qu’à vous d’en essayer, les jours où les
« gros » se feront un peu trop tirer l’oreille.
R. PORTIER.
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