C’est une miche de pain, posée sur un mur par le
boulanger, à l’intention d’un de ses clients, qui m’incita à descendre par la
pédale en Châtillon-en-Diois. Et c’est un écriteau, découvert peu après :
« Col de Menée. Fermé ! » qui me fit décider d’y grimper le
lendemain. Un cycliste passe partout ... Également des tandémistes !
Si, de surcroît, la neige avait dû nous empêcher, ma femme
et moi, de franchir le tunnel, je songeai, tout aussitôt, qu’on ne nous
prendrait pas plus notre machine qu’on n’avait chipé le pain du mitron. Petites
causes, grands effets.
* * *
Le lendemain, donc, nous atteignîmes au sommet du dit col,
après une montée enivrante. La neige ne fut pas méchante et ne nous empêcha
nullement de rouler en bordure du chemin qui, dans les deux derniers
kilomètres, succède à la route.
Bien sûr qu’il était fermé le col ! Traduisez que le
tunnel était infranchissable autrement qu’à pied. Dussions-nous y laisser la
peau du dos sous les stalactites ou les moellons et celle des genoux sur les
stalagmites ou les glaçons, que nous nous trouvâmes, bientôt, sur le versant
nord de la montagne ouvrant sur le Vercors :
— Vous avez eu tort, nous diront, plus tard, des
cantonniers attelés à la délicate besogne de déblayer la route, car des blocs
de pierre et de glace se détachent et tombent. Nous ne pénétrerons pas avant
une quinzaine de jours dans le tunnel.
Br ... ! !
Car nous étions en avril. Encore que le temps ait été
réellement beau, un froid de canard régnait là-haut, à 1.500 mètres d’altitude.
La descente n’ajouta rien à ce qui nous restait de chaleur animale, et lorsque
après 15 kilomètres de roue libre, nous nous trouvâmes, au village de
Menée, à quelque 600 mètres au-dessus du niveau de la mer lointaine, nous
crûmes utile de remonter en direction, cette fois, du Cirque d’Archiane pour
nous réchauffer.
Nous arrivâmes à 5 heures. Au village, un brave homme
nous avertit :
— « Il n’y a plus de route, montez à pied. À
7h.30, vous serez revenus, mais vous n’aurez que 13 kilomètres à couvrir
pour regagner Châtillon, même si la nuit est venue, ce n’est pas loin. »
Par un chemin en surplomb d’un ravin, lequel contient un
torrent, on ne dégringole pas impunément, de nuit, à tandem.
Ce sage ne s’arrêtait point à ce détail.
Petites causes, grands effets.
* * *
À Moustiers-Sainte-Marie, où s’amorce — s’il ne s’y
termine — le circuit des Gorges du Verdon, le passant qui ne monte pas à
la Chapelle de Beauvoir commet une erreur. Mais là, encore, il convient de
laisser son vélo au village. Tant pis. On ne résiste d’autant moins à l’invite
qu’il faut demander la clef au curé.
— Venez, c’est drôle.
C’est surtout drôle parce que le curé, avisé, a fait forger
une cinquantaine de clefs et qu’une fois là-haut un scout, un peu garnement,
vous glisse à l’oreille :
— Ne fermez pas la porte, m’sieur, poussez-la
seulement.
Alors vous vous apercevez qu’au ciel pend une étoile !
Même en plein jour ! Il ne vous reste plus qu’à entreprendre l’ascension
de l’un des deux rochers d’où part une chaîne quasi invisible, mais légendaire,
dont on ne sait qui la fixa à ces sommets, garnie, en son milieu, de la fameuse
étoile.
Petites causes, grands effets !
* * *
Parti, enfin, pour les Gorges du Verdon, si vous avez choisi
la route du Nord pour gagner le Point Sublime, la fringale vous prendra vers La Palud,
car vous aurez pédalé, en montée, pendant près de 20 kilomètres. Comme le
quart d’heure qui précède le coup de pompe est toujours attendrissant, vous
serez plein de commisération pour ce brave chien qui occupera la route.
— Alors, vieux toutou, veux-tu donc te faire
écraser !
Et le toutou de gambader à vos chevilles, puis d’aboyer, peu
après, à hauteur d’un porche ombragé où vous lirez : « Casse-croûte à
toute heure ».
La patronne vous attendra. Le chien aura fait son boulot et
repartira chercher le client suivant à l’entrée du village.
Petites causes, grands effets.
* * *
C’est cela le cyclotourisme, ce tourisme un peu risqué, de
temps à autre, pour accentuer votre souvenir ; suffisamment rapide pour ne
pas être monotone, assez ralenti pour vous permettre de voir, entendre,
recueillir et ne pas vous enlever l’envie d’arrêter.
C’est une parade, une revue indiscontinue de la vérité, tant
abîmée de nos jours.
C’est ce piano dont on capte les accords, derrière des
persiennes closes et dont la voix du clavier, claire, pure, vous surprend, tant
elle différencie de celle que trop de radios nous dispensent. C’est cette noce
qui, à Menthon-Saint-Bernard, un bourg de Savoie en bordure du lac d’Annecy,
entre au bistrot avec la même solennité qu’elle est sortie de l’église,
cependant que les cloches battent un joyeux carillon.
— Vaut mieux, dira un vieux, accroché au labeur, sur
les pentes, sonner pour la Christiane que d’appeler les gars pour les moissons
rouges.
Petites causes, grands effets.
* * *
Parlons avec l’habitant, même s’il conclut, pensant à ses
cultures, sans rapport avec vos vacances :
— Il ne pleuvra donc pas !
Parlons avec l’hôtelier, avant de déboucler les sacoches,
tel celui de Saint-Rémy-de-Provence dont l’établissement s’orne d’une plaque de
marbre : « Dans cet hôtel, Gounod composa Mireille. »
— Avez-vous une chambre ?
— Eh oui. Une bonne, dites ! Avincez.
— Celle de Gounod ?
— Bien sûr, té ! Il les occupa toutes.
* * *
Parlons, rêvons.
Mais pédalons.
C’est la meilleure pâture pour des vacances, où que vous
vous trouviez.
Et si j’ai glané pour vous quelques menus souvenirs de mes
vacances pascales 1949, c’est dans l’espoir qu’ils vous inciteront, en ce mois
de juillet, à découvrir, vous aussi, ce petit rien qui existe à vos côtés, en
Sologne, en Artois, en Bretagne, en Béarn, ici, là-bas, ailleurs, partout, et
qui grandira si vous ne répugnez pas à pédaler quelque peu, ce dont votre santé
vous dira merci.
Petites causes, grands effets.
René CHESAL.
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