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Vacances cyclistes

Petites causes … Grands effets

C’est une miche de pain, posée sur un mur par le boulanger, à l’intention d’un de ses clients, qui m’incita à descendre par la pédale en Châtillon-en-Diois. Et c’est un écriteau, découvert peu après : « Col de Menée. Fermé ! » qui me fit décider d’y grimper le lendemain. Un cycliste passe partout ... Également des tandémistes !

Si, de surcroît, la neige avait dû nous empêcher, ma femme et moi, de franchir le tunnel, je songeai, tout aussitôt, qu’on ne nous prendrait pas plus notre machine qu’on n’avait chipé le pain du mitron. Petites causes, grands effets.

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Le lendemain, donc, nous atteignîmes au sommet du dit col, après une montée enivrante. La neige ne fut pas méchante et ne nous empêcha nullement de rouler en bordure du chemin qui, dans les deux derniers kilomètres, succède à la route.

Bien sûr qu’il était fermé le col ! Traduisez que le tunnel était infranchissable autrement qu’à pied. Dussions-nous y laisser la peau du dos sous les stalactites ou les moellons et celle des genoux sur les stalagmites ou les glaçons, que nous nous trouvâmes, bientôt, sur le versant nord de la montagne ouvrant sur le Vercors :

— Vous avez eu tort, nous diront, plus tard, des cantonniers attelés à la délicate besogne de déblayer la route, car des blocs de pierre et de glace se détachent et tombent. Nous ne pénétrerons pas avant une quinzaine de jours dans le tunnel.

Br ... ! !

Car nous étions en avril. Encore que le temps ait été réellement beau, un froid de canard régnait là-haut, à 1.500 mètres d’altitude. La descente n’ajouta rien à ce qui nous restait de chaleur animale, et lorsque après 15 kilomètres de roue libre, nous nous trouvâmes, au village de Menée, à quelque 600 mètres au-dessus du niveau de la mer lointaine, nous crûmes utile de remonter en direction, cette fois, du Cirque d’Archiane pour nous réchauffer.

Nous arrivâmes à 5 heures. Au village, un brave homme nous avertit :

— « Il n’y a plus de route, montez à pied. À 7h.30, vous serez revenus, mais vous n’aurez que 13 kilomètres à couvrir pour regagner Châtillon, même si la nuit est venue, ce n’est pas loin. »

Par un chemin en surplomb d’un ravin, lequel contient un torrent, on ne dégringole pas impunément, de nuit, à tandem.

Ce sage ne s’arrêtait point à ce détail.

Petites causes, grands effets.

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À Moustiers-Sainte-Marie, où s’amorce — s’il ne s’y termine — le circuit des Gorges du Verdon, le passant qui ne monte pas à la Chapelle de Beauvoir commet une erreur. Mais là, encore, il convient de laisser son vélo au village. Tant pis. On ne résiste d’autant moins à l’invite qu’il faut demander la clef au curé.

— Venez, c’est drôle.

C’est surtout drôle parce que le curé, avisé, a fait forger une cinquantaine de clefs et qu’une fois là-haut un scout, un peu garnement, vous glisse à l’oreille :

— Ne fermez pas la porte, m’sieur, poussez-la seulement.

Alors vous vous apercevez qu’au ciel pend une étoile ! Même en plein jour ! Il ne vous reste plus qu’à entreprendre l’ascension de l’un des deux rochers d’où part une chaîne quasi invisible, mais légendaire, dont on ne sait qui la fixa à ces sommets, garnie, en son milieu, de la fameuse étoile.

Petites causes, grands effets !

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Parti, enfin, pour les Gorges du Verdon, si vous avez choisi la route du Nord pour gagner le Point Sublime, la fringale vous prendra vers La Palud, car vous aurez pédalé, en montée, pendant près de 20 kilomètres. Comme le quart d’heure qui précède le coup de pompe est toujours attendrissant, vous serez plein de commisération pour ce brave chien qui occupera la route.

— Alors, vieux toutou, veux-tu donc te faire écraser !

Et le toutou de gambader à vos chevilles, puis d’aboyer, peu après, à hauteur d’un porche ombragé où vous lirez : « Casse-croûte à toute heure ».

La patronne vous attendra. Le chien aura fait son boulot et repartira chercher le client suivant à l’entrée du village.

Petites causes, grands effets.

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C’est cela le cyclotourisme, ce tourisme un peu risqué, de temps à autre, pour accentuer votre souvenir ; suffisamment rapide pour ne pas être monotone, assez ralenti pour vous permettre de voir, entendre, recueillir et ne pas vous enlever l’envie d’arrêter.

C’est une parade, une revue indiscontinue de la vérité, tant abîmée de nos jours.

C’est ce piano dont on capte les accords, derrière des persiennes closes et dont la voix du clavier, claire, pure, vous surprend, tant elle différencie de celle que trop de radios nous dispensent. C’est cette noce qui, à Menthon-Saint-Bernard, un bourg de Savoie en bordure du lac d’Annecy, entre au bistrot avec la même solennité qu’elle est sortie de l’église, cependant que les cloches battent un joyeux carillon.

— Vaut mieux, dira un vieux, accroché au labeur, sur les pentes, sonner pour la Christiane que d’appeler les gars pour les moissons rouges.

Petites causes, grands effets.

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Parlons avec l’habitant, même s’il conclut, pensant à ses cultures, sans rapport avec vos vacances :

— Il ne pleuvra donc pas !

Parlons avec l’hôtelier, avant de déboucler les sacoches, tel celui de Saint-Rémy-de-Provence dont l’établissement s’orne d’une plaque de marbre : « Dans cet hôtel, Gounod composa Mireille. »

— Avez-vous une chambre ?

— Eh oui. Une bonne, dites ! Avincez.

— Celle de Gounod ?

— Bien sûr, té ! Il les occupa toutes.

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Parlons, rêvons.

Mais pédalons.

C’est la meilleure pâture pour des vacances, où que vous vous trouviez.

Et si j’ai glané pour vous quelques menus souvenirs de mes vacances pascales 1949, c’est dans l’espoir qu’ils vous inciteront, en ce mois de juillet, à découvrir, vous aussi, ce petit rien qui existe à vos côtés, en Sologne, en Artois, en Bretagne, en Béarn, ici, là-bas, ailleurs, partout, et qui grandira si vous ne répugnez pas à pédaler quelque peu, ce dont votre santé vous dira merci.

Petites causes, grands effets.

René CHESAL.

Le Chasseur Français N°629 Juillet 1949 Page 547