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Du nez

Ce semble vérité de La Palice que de dire d’un chien de chasse qu’il doit avoir bon nez et même le meilleur nez possible. C’est en vain qu’on objectera l’intrépide briquet aux pouvoirs olfactifs seulement honnêtes, cependant capable de faire des étincelles. Par bonne terre et bon vent et aussi per fas et nefas, pareil personnage fera tuer du gibier et même prendre un lièvre. Mais les jours où la voie sera médiocre, ou vieille ou foulée, il n’y a plus personne. Pas de rapproché donc en aucun cas et, le chien n’étant pas droit dans la voie, il la suit en hâte, la coupant et recoupant, sachant bien que sa vitesse doit venir au secours de la médiocrité de son nez. Ceci revient à dire qu’un chien courant vite, très chasseur et sans scrupules, peut, en certains cas, rendre service. Le fusillot ne voit que le rendement et s’inquiète peu de classicisme ; pareil auxiliaire lui paraît excellent parce qu’il ignore le chien droit dans la voie, ajusté et bien allant à la fois, le seul capable, en toutes circonstances, de donner le meilleur rendement possible. Se fiant à son nez qu’il a bon, voire excellent, chez lui les pattes n’en sont que les servantes. Il tombera lui-même en faute s’il lui advient de mépriser l’aide des allures et s’il prétend résoudre toutes les difficultés par le moyen de l’olfaction seule. Le « tout par la voie » est une chimère. Puisqu’elle peut présenter et présente souvent des solutions de continuité, il faut, pour en raccorder les bouts, faire montre d’entreprise en allant chercher plus loin le « scent » évaporé. Parlant du chien courant, on peut en dire qu’avec bon nez sans plus, esprit d’initiative et comportement correct dans la suite, il ne laisse pas à désirer. Celui de nez même prodigieux manquant de décision et de perçant ne le vaut pas. En effet, si le briquet emballeur n’est pas équilibré, son contraire ne l’est pas plus. On peut même douter de l’intelligence du mangeur de voies incapable d’aboutir en dépit de la finesse de son nez.

C’est pourquoi il a fallu modifier par des croisements le physique et le moral des races lourdes, afin de leur insuffler l’allant qui leur faisait défaut, tout en maintenant au mieux de convenables moyens olfactifs. Les anglo-français bien équilibrés obtenus prouvent par leurs succès la valeur de la doctrine à laquelle ils doivent l’existence.

Pour le chien d’arrêt, la question se présente sous un autre jour. Fait pour déceler la présence du gibier sur émanation directe, il sera donc d’autant plus meurtrier qu’il saura l’éventer de loin. Remarquons, en passant, que, si le chien pisteur lourd et lent est parmi les mieux doués du point de vue que nous étudions, il en va tout autrement du chien éventant. La nature s’est montrée généreuse pour le premier en lui accordant le moyen de parer aux forlongers provoqués par la médiocrité de son train. Elle n’a pas été aussi favorable au second. On observera que les chiens d’arrêt volumineux et lents ne se distinguent pas dans l’art de découvrir leur proie à grande portée. En fait, on peut dire du plus grand nombre qu’il y a équilibre entre leurs moyens physiques et les autres. Ils peuvent convenir là où le gibier est extrêmement abondant et même y sont-ils bien à leur place, d’autant qu’à leur calme ils doivent se faire de bons retrievers. Mais le milieu qui leur est favorable se fait rare, tant et si bien qu’ils disparaissent de plus en plus. Se seraient-ils maintenus si doués de moyens olfactifs égaux à ceux des grands ténors ? Sans doute, mais moyennant une refonte de leur extérieur. La question s’est posée au moins une fois. Le chien ibérique, véritable substrat de la race de culture qu’est le pointer, est de haut nez et pour cause, d’un modèle étoffé aussi et trotteur seulement, mais toutefois agile. Il ne présente pas, il est vrai, le relâchement des tissus caractérisant les défunts gros braques. Mais enfin, c’est un modèle plutôt lourd, pourvu de finesse de nez et de l’art de s’en servir, qualités qui n’échappèrent point aux grands voyageurs et éleveurs avisés que sont les Anglais.

Ils sortirent donc le pointer de l’« old spanish pointer », comme ils l’appellent. Par quels moyens ? On ne peut rien dire de précis ; mais, étant donné que le prototype décrit ressemble, sous forme seulement allégée, à celui de la race mère, on peut penser qu’une habile sélection surtout a réalisé le chef-d’œuvre. C’est pourquoi le nez est demeuré, et le port de tête, et le goût de l’émanation directe, et l’arrêt inébranlable, et que ce chien peut passer pour le prototype du chien d’arrêt. Le monde l’a proclamé, la question est jugée. L’excellence du nez est donc la première qualité du chien d’arrêt, car qui situe du plus loin le gibier sera toujours le plus meurtrier. L’activité un peu brouillonne du briquet, qui peut faire illusion au chasseur au courant, n’est plus de mise ici. Quoi qu’on puisse dire, un chien d’arrêt comptant plus sur sa vitesse que sur son nez n’est pas fait pour réaliser l’arrêt utile. Il arrêtera souvent de près et inévitablement se tapera aussi et fera voler à contre-temps. Son activité ne saurait suppléer au grain d’équilibre nerveux et de capacité olfactive qui fait défaut.

On ne répétera jamais assez que la puissance du nez est la première qualité du chien d’arrêt. Les Anglo-Saxons ne s’y sont pas trompés. Il suffit de constater le prodigieux succès rencontré en Amérique par le pointer et le setter anglais, suivis à quelques longueurs par deux races continentales européennes réputées pour leurs succès aux épreuves et près des chasseurs. Tous chiens bien doués sous ce rapport et dans la mesure aussi de leurs moyens physiques : c’est-à-dire équilibrés.

Quant à la théorie de la vitesse génératrice à elle seule de toutes les autres vertus, elle appartient au roman. Une vertu ne se maintient et ne s’exalte, si possible, qu’à la faveur d’une attentive sélection. Certes, le physique doit être l’objet de tous les soins, mais on ne dira jamais que le système nerveux puisse impunément dominer le cerveau. La sélection ne saurait donner un caractère inexistant dans l’hérédité. Durant deux siècles au moins, l’ancienne vénerie s’est bercée de l’espoir de réaliser des lévriers chassant autrement qu’à vue. On sait le résultat. Les essais d’alliance entre lévriers et chiens d’arrêt ont abouti à des créations éphémères, parce que les réussites comptaient autant que les échecs. En tout cas, rien n’en est sorti pouvant s’estimer comme amélioration insigne du quid proprium du chien d’arrêt.

Seules survivront les races les mieux pourvues de nez, suivies par des moyens physiques permettant les allures vives et soutenues. On peut, d’autre part, prévoir la disparition des tailles excédant sensiblement 0m,60. Comme l’ont si bien compris les responsables du griffon d’arrêt, un chien de 0m,60 est à la fois assez fort et important pour répondre à tout ce qui en est exigé et d’un volume nullement encombrant dans les déplacements.

Par ailleurs, on ne voit pas l’intérêt qu’il y aurait à créer des variétés nouvelles, baptisées races bien à tort. Telles qui existent encore menacent ruine. Seules se tiennent et dominent et seules subsisteront celles qu’on maintiendra en bon équilibre, nez dominant. Car en dehors du nez il n’y a pas de salut.

R. DE KERMADEC.

 

Le Chasseur Français N°633 Novembre 1949 Page 733