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Le chien contribuable

Est-ce parce qu'il est le meilleur ami de l'homme que le chien est considéré par le législateur comme un contribuable au même titre que son maître ? C'est un honneur dont ce dernier se passerait très volontiers.

En effet, non seulement les chiens sont assujettis à une taxe de capitation, en raison de leur seule existence et de leur classe sociale, ou, si l'on préfère, de leur métier, mais, en outre, ils sont assujettis à des impôts en raison des bénéfices qu'ils procurent à leurs maîtres, et même simplement en raison du chiffre d'affaires que produisent leurs transactions.

Nous dirons seulement un mot aujourd'hui de cette taxe individuelle qui frappe nos bons amis quadrupèdes.

La taxe sur les chiens, comme on le sait, n'est pas une innovation du XXe siècle. Elle a été instituée par la loi du 2 mai 1855.

Or, seul parmi tous les animaux, le chien est assujetti à un impôt de ce genre. Aucun autre animal, sauvage ou domestique, n'a, jusqu'à présent, attiré la sollicitude du législateur fiscal. En effet, si les chevaux et les bovidés sont passibles d'une taxe, c'est seulement au titre des prestations que les communes sont appelées à pourvoir pour l'entretien des chemins vicinaux et ruraux ; cette taxe a alors le caractère de remplacement en argent des journées de travail nécessaires audit entretien, auquel doivent contribuer les habitants de la commune selon et avec tous leurs moyens. D'ailleurs, en certains cas, cette taxation en argent peut être acquittée en nature, en journées de travail.

La taxe sur les chiens procède d'un tout autre principe et l'exposé des motifs de la loi du 2 mai 1855 l'a dit sans ambage, car elle avait en vue : « l'intérêt de la santé publique menacée par l'accroissement du nombre des chiens et des accidents causés par la rage ; l'intérêt de l'alimentation publique, le prix de la nourriture des chiens s'élevant en France à un chiffre de plus en plus considérable ; et aussi l'intérêt financier des communes ».

On pourrait croire que cette dernière considération animait le législateur au premier chef et que, Tartuffe, il n'a mis en avant les premières qu'aux fins de camoufler son véritable but. Il n'en est rien ; car les ressources procurées sont relativement minimes et les mesures de taxation envers les chiens, et eux seuls, tendaient uniquement à réduire leur nombre.

Mesure illusoire, dira-t-on. Sans doute, de nos jours, — encore que, surtout à la campagne, des gens hésitent à conserver plusieurs chiens en raison de la taxe, quand elle est rigoureusement appliquée, — mais il est fort probable qu'au siècle dernier cette considération était plus efficace.

Bien des possesseurs de chiens ignorent peut-être ce véritable but de la taxe en question et s'étonneront des intentions si nettement agressives d'un législateur impitoyablement hostile à ces bons et précieux animaux, accusés de méfaits illusoires. Sans doute n'était-il pas chasseur ou, simplement, n'avait-il jamais su trouver dans le regard d'un chien cette amitié fidèle, et sans contrepartie parfois, qui peut nous consoler souvent de l'ingratitude et de la perfidie des hommes.

Car prétendre que la santé publique est menacée par les chiens est aller un peu loin ; depuis 1855, les progrès de la médecine n'ont mis à jour aucune maladie humaine imputable à la gent canine. Les quelques cas de rage, de plus en plus rares, ne suffisent pas à une telle prétention. L'intérêt de l'alimentation publique considéré en 1855 nous fait sourire, quand on pense que depuis, au cours de trois guerres et notamment de la dernière, où la famine à failli menacer les humains, on n'a pas eu l'idée d'exterminer les chiens. Ils ont prouvé qu'ils pouvaient bien se contenter, en des périodes difficiles, d'aliments déclarés impropres à la consommation humaine.

Cet impôt, qui aura bientôt cent ans, s'avère donc comme vexatoire et injuste vis-à-vis du meilleur lot de l'humanité : celui qui sait aimer et comprendre le chien, gage de sentiments féconds dans les rapports humains. Il n'est d'ailleurs pas la seule manifestation de cet ostracisme officiel envers ce pauvre chien qui devrait mériter tant d'indulgence, en dehors du point de vue sentimental, pour les services qu'il rend (garde des troupeaux, garde des biens, police, sans parler de la chasse) et le commerce qu'il suscite hors de ses propres transactions (accessoires, art et produits vétérinaires, produits alimentaires spéciaux, presse spéciale, compétitions, expositions, etc.).

En effet, le chien n'est-il pas seul parmi les animaux à ne pouvoir accéder à un wagon de chemin de fer sans être pourvu d'un billet (1 fr. 50 du kilomètre, à ce jour), et cela même s'il est chiot et tient dans une boîte ou un petit panier (le fait m'est arrivé) ? Or vous pouvez monter dans le train accompagné d'un chat, d'une autruche, d'un porc ou d'un ours, voire d'un serpent python, sans acquitter la place de votre compagnon, puisqu'il n'est prévu qu'une sorte de billet pour animal voyageant avec soi, et cet animal, c'est le chien. Vous pouvez posséder chez vous toute une ménagerie, des singes tuberculeux, des tigres féroces que vous nourrirez d'un bœuf entier chaque jour, des éléphants qui mangeront la ration de foin de quarante chevaux, vous ne paierez aucune taxe en raison de « l'intérêt de la santé et de l'alimentation publiques ».

Donc, c'est un fait, le chien est un paria et, puisqu'il faut en prendre son parti, voyons succintement quels sont ses droits et ses devoirs vis-à-vis de la taxe en question.

Tous les chiens sont soumis à la taxe, la loi ne faisant aucune distinction entre ceux que leur propriétaire entend conserver et ceux qu'il destine au commerce ou à la vente.

Toutefois, paraissant regretter aussitôt le brutal exposé de sa loi, par un décret du 4 mai 1855 qui en contredit l'esprit, le législateur dispense de la taxe le chien encore nourri par la mère au 1er janvier de l'année de l'imposition, « pour ne pas provoquer de destruction inintelligente » et (sans doute surtout) « parce qu'on ne sait encore dans quelle catégorie le classer ». Mais l'impôt est dû dès l'instant que l'animal n'est plus allaité par la mère (arrêt du Conseil d'État du 22 décembre 1911). L'allaitement artificiel n'est pas prévu.

Tenant compte de leur destination et du degré d'utilité qu'ils présentent pour leurs possesseurs, la loi du 2 mai 1855 classait les chiens en deux catégories : la première comprenait les chiens d'agrément et ceux servant à la chasse ; dans la deuxième étaient compris les chiens servant à guider les aveugles, à garder les troupeaux, les immeubles, etc. Ceux qui ne pouvaient être rangés dans l'une ou l'autre de ces catégories étaient classés dans la première (prescription toujours en vigueur).

La loi du 31 juillet 1920 a laissé aux communes la faculté d'un classement en trois catégories : 1° agrément, ou sans utilité spéciale ; 2° chasse ; 3° garde. Les chiens servant à conduire les aveugles et ceux appartenant à des mutilés de guerre, anciens militaires ou marins, ayant au moins 80 p. 100 d'invalidité, sont exempts de taxe, quelle que soit leur destination.

Enfin, la loi du 13 janvier 1941, encore en vigueur, à rétabli le classement en deux seules catégories de 1855 en maintenant les exonérations de 1920.

Ce qu'il faut savoir, c'est que le classement dans l'une ou l'autre catégorie est déterminé non par la race ou les aptitudes, mais uniquement par l'utilisation qui en est faite. En conséquence, est classé dans la première catégorie : tout chien qui, non préposé spécialement à la garde, est laissé en liberté, admis dans les appartements et accompagne son maître dans ses sorties et promenades, un tel chien étant réputé d'agrément. Un ancien chien de garde, empêché de remplir sa destination primitive par la vieillesse ou l'infirmité, est considéré comme un objet de luxe inutile et classé d'agrément. En outre, est aussi classé en première catégorie le chien préposé à la chasse, quelle que soit sa race ou son origine. Un chien de berger, par exemple, utilisé pour la chasse est classé tel même si, par ailleurs, il garde les troupeaux. Inversement, un chien de race de chasse, utilisé exclusivement pour la garde, est classé en deuxième catégorie.

Celle-ci est réservée aux chiens qui rendent des services, autres que la chasse, de nature à faire considérer leur disparition plutôt comme me perte que comme un bienfait, estime l'Administration. Comme si la perte d'un chien de chasse ou de compagnie devait systématiquement être considérée comme un bienfait ! Sont donc classés comme tels les chiens spécifiquement de garde, même s'ils ne sont pas toujours tenus attachés, les chiens de police et les chiens sauveteurs, les chiens utilisés pour la recherche des truffes (le législateur est gourmand, mais n'aime pas le gibier), ceux affectés à la destruction des rats, taupes, hérissons et autres animaux nuisibles. Toutefois, les chiens des lieutenants de louveterie doivent, lorsqu'ils servent à la chasse, même du loup et du sanglier, être rangés comme chiens de chasse, c'est-à-dire, actuellement, en première catégorie (arrêt du Conseil d'État du 7 juillet 1927). Ainsi donc, la chasse du hérisson, dont le caractère nuisible est contestable, est vue par le législateur avec plus de faveur que la chasse du loup et du sanglier.

Le nombre de chiens possédés est sans incidence sur le classement et c'est par simple tolérance, en contradiction avec la toi, que, dans certaines communes rurales, lorsqu'un contribuable possède plusieurs chiens servant à la chasse, on en classe seulement un ou quelques-uns dans la première catégorie.

Précisons enfin qu'aucun texte n'exonère de la taxe les indigents.

La taxe est due non pas forcément par le propriétaire, mais par le possesseur de fait du chien. Mais possession suppose continuité du fait ; on ne saurait donc considérer comme possesseur, donc imposable, celui à qui est confié le soin de nourrir et garder un chien que son maître utilise quand il lui plaît (cas des dresseurs et teneurs de pension pour chiens). C'est la possession de fait au 1er janvier qui justifie l'imposition.

Signalons également qu'un propriétaire foncier n'est pas responsable de la taxe dûment établie au nom de son fermier en raison d'un chien possédé et utilisé par celui-ci, même s'il appartient au propriétaire du fonds.

La taxe est essentiellement communale et son produit entre exclusivement dans le budget de la commune où elle a été établie.

Elle est établie dans la commune de la résidence habituelle du redevable, ou dans celle où les éléments imposables se trouvent régulièrement au 1er janvier. Le redevable est tenu de déclarer, en principe, spontanément ses chiens à la mairie du lieu de l'imposition, sous peine d'une majoration des droits. La loi du 31 décembre 1942, modifiant les tarifs de celle de 1941, les a fixés comme suit :

Catégories Communes
De moins de 50.000 habitants De 50.000 à 250.000 habitants De plus de 250.000 habitants
Première
Deuxième
150
30
225
75
300
100

Nous verrons prochainement quels sont les autres impôts qui frappent la cynophilie ou peuvent la frapper à l'occasion des transactions.

Jean CASTAING.

Le Chasseur Français N°636 Février 1950 Page 81