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Grande culture

Appropriation des prairies temporaires

Depuis les notes publiées en décembre, quelques faits nouveaux sont venus à l'appui des thèses exposées en faveur de la prairie temporaire.

Un agriculteur des Vosges me faisait visiter un domaine exploité très rationnellement ; la prairie temporaire a été remplacée par la prairie permanente, que l’on soutient difficilement malgré les scories et qui s'effondre littéralement lorsque les scories font défaut, ainsi que cela est arrivé pendant la guerre. La prairie pourrait durer six ans, ce serait rationnel pour l'équilibre des productions, mais on remarque que les plantes semées disparaissent au bout de trois ans ; il y a fléchissement au cours de la quatrième, puis de la cinquième année ; une reprise se manifesterait à la sixième, les plantes spontanées ont repris leur place, garni les vides, mais ce sont des plantes de seconde qualité et qui, justement, provoquent le défrichement des prairies permanentes. Solution : quelles plantes introduire dans le mélange initial pour prendre notamment la place du ray-grass d'Italie, qui fait merveille les deux premières années, mais disparaît ensuite — cette graminée de première valeur n'est pas vivace au sens « prairie permanente » ? Il n'est pas facile de trouver une plante de soutien ; nous avons pensé à la fétuque hétérophylle, peut-être mieux adaptée que la fétuque des prés. Observation supplémentaire, l'excellent agriculteur auquel je fais allusion a remarqué que les pommes de terre qui succèdent à la prairie rompue se comportent bien mieux après six ans qu’après trois ans : deux causes : l’enrichissement du sol, mais surtout, d'après lui, un meilleur état physique, la fameuse terre soufflée qui est l'une des causes de réussite de la pomme de terre. Coïncidence curieuse, à l'une des dernières séances de l'Académie d'Agriculture, le secrétaire perpétuel M. H. Hitier, analysant un travail publié en Belgique, indiquait que l'auteur mettait à l'actif de la prairie temporaire le bon état physique du sol. Je n'ai pu que confirmer cette interprétation, me souvenant des remarques faites dans les Vosges.

Autre fait : un jeune agriculteur, bon observateur, expose les données du problème agricole, dans une région du Centre-Est : un plateau sain, cultures variées ; une vallée, terres d'alluvions fortes ; solution théorique : la prairie permanente ; application : la prairie ne dure pas, mauvaise flore, tassement excessif des argiles ; solution pratique : alternance de la culture et de la prairie, la première destinée à donner cet état physique que l'on ne peut pas négliger, même pour la prairie. Peut-être des façons profondes au régénérateur seraient-elles à tenter.

On voit, par ces exemples, la souplesse d'adaptation de la prairie temporaire et les services exceptionnels quelle peut rendre. Voulons-nous aller au dehors : le Danemark est remarquable à cet égard. C'est le mélange appelé trèfle et herbes qui est en vigueur, même au sein des statistiques. Certains croiraient volontiers que ce pays, réputé pour son organisation, sa haute production laitière, est couvert de prairies permanentes comme la Normandie. Pas du tout ; la prairie temporaire à haute exploitation est à base de trèfle des près, de trèfle hybride, légumineuses adaptées à ces sols de compacité à peine moyenne, sur le bord de la réaction acide, un peu de trèfle blanc ; graminées : la fléole, même caractère, la fétuque des prés, le dactyle, le fromental, les deux ray-grass, vivace et d'Italie ; la prairie dure deux ans dans les meilleures terres, trois ans dans le Jutland aux sols plus légers ; ici, les graminées exigeantes : fétuque et dactyle, disparaissent devant le ray-grass, dont la proportion augmente, et un peu de lotier vient s'ajouter aux légumineuses.

Les principes dont il convient de s’inspirer sont les suivants : dans les terres cultivables, c'est-à-dire susceptibles d'être cultivées, il s'agit de réaliser le maximum de production par unité de surface. Cette production, on la totalise dans les produits exportés de la ferme, sous quelque forme que ce soit, formes qui trouvent leur valeur pour le cultivateur dans les excédents de recettes par rapport aux dépenses. En général, productions fourragères, d'une part, et productions céréalières et industrielles d'autre part, concourent à cet équilibre difficile à formuler, et qui met à l'épreuve toutes les connaissances du cultivateur.

Parmi les productions fourragères, la place majeure revient aux prairies de toutes catégories. La place respective des prairies permanentes, des prairies temporaires parmi lesquelles figurent les prairies artificielles proprement dites, les plantes racines, dépend d'abord du climat, de la nature et de la configuration des sols. C'est sur les confins de ces productions que s'exercent la science et la sagesse de l’exploitant ; c'est pourquoi il a y tant de solutions difficilement généralisables.

Nous demandons à la terre le maximum de principes nutritifs à l'usage des animaux ; réservant la question de récolte et de consommation, dont l’importance ne saurait être négligée, il faut voir ce que cette terre peut donner par le mode d'exploitation le plus rationnel. En culture intensive, quelles sont les possibilités de la prairie artificielle à base exclusive de légumineuses, de la prairie temporaire à base de mélange varié et adapté, de graminées et de légumineuses, même d’une succession de fourrages annuels auxquels s'annexent les plantes sarclées fourragères, notamment la betterave et le chou suivant les régions, ou même d'autres racines, navets, rutabagas, etc. Tout ce jeu est de peu de durée, la culture arable proprement dite reprend sa place dès que la culture fourragère faiblit, comme c'est le cas des prairies temporaires, ou, tout naturellement, par le moyen de la succession des cultures, si la production sur une terre ne dure qu’un an. Ajoutons que rien ne s’oppose à l'existence de tous les genres de productions ; c'est plus compliqué, mais susceptible d'un rendement total très élevé, avec souplesse remarquable dans l'exécution des travaux. Mais quel art !

Ailleurs, prairie temporaire à ambitions moins grandes ; la prairie artificielle de légumineuses ne tient pas, les racines ne sont qu'un appoint ; on ne peut pas compter sur la régularité des fourrages annuels. Il faut alors trouver les plantes d'une certaine rusticité, résistantes, ne pas avoir ce trou fatal lorsque les plantes semées commencent à disparaître et que leur soutien est difficile. En un mot, ces notes sur les productions fourragères montrent combien il est justifié d'y attacher une attention trop longtemps négligée.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°636 Février 1950 Page 102