Eh bien non ! Dussé-je en découdre, au nom de la
peau de chamois qui orne le fond de ma culotte cycliste, contre une quelconque
botte éperonnée, je bouscule — et bascule à là fois — le papier que
j'avais préparé destiné à vanter les mérites de certains touristes-cavaliers.
Qu'avais-je donc écrit ? Ceci :
« Enfin des purs ... des vrais ...
» Ils s'en sont allés de Paris à Namur en touristes
raffinés, marquant leur randonnée d'un pittoresque achevé, trouvant les
meilleurs prétextes à rencontrer l'aventure : pont articulé, naufrage dans
des champs de colza, barbelés des guerres maudites, prairies vallonnées,
bas-côtés forestiers, sentiers scabreux dans les Ardennes, passages à gué, que
sais-je ?
» La route ? Ils n'en eurent cure ... »
Quels merveilleux touristes ! Quels aventureux sportifs ! Quels « types » !
» Et parmi eux, d'ailleurs, plusieurs femmes ... ce
qui n'enlève rien au qualificatif employé ... Car ce sont tous des « types » ...
des types comme nous voudrions en rencontrer beaucoup au hasard de nos voyages,
de nos excursions.
» De mémoire, je n'ai jamais été autant captivé, non
pas par le récit lui-même du voyage conté dans une revue touristique, mais par
ce que ce résumé, bien trop sommaire, a engendré dans mon esprit.
» Mon imagination s'est exaltée aux caprices de ces
curieux touristes ... à la fois touristes curieux ... Aller de Paris
à Namur par les bords de rivières ou de canaux, par les prés, les taillis,
les-forêts ... Honnir les routes. »
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
C'était tellement monumental que je me pris à relire, mot à
mot, la préface du récit.
Dès lors, ça n'allait plus. Je m'aperçus que c'étaient les chevaux
qui avaient assuré physiquement les frais de l'entreprise, les cavaliers s'étant
relayés, par quatre fois, en route ...
Rien de changé ;
C'est le cheval qui fait du sport ...
Aucune comparaison à tirer avec la pratique cycliste.
Dommage !
Bravo donc aux « dadas », des barbes (du modèle
arabe) ... capables d'escalader des talus abrupts et de se rire des lits
de torrents ...
D'ailleurs, mes héros n'en sont plus, qui n'allèrent point
jusqu'à ignorer le temps et, avec lui, l'heure ... mais qui s’étaient encombrés
de postes de radio émetteurs-récepteurs, comme si le cheval se réclamait du
progrès.
Moi, benêt, qui me demandais si des cyclotouristes
pourraient établir un parallèle sur une identique randonnée, du fait de la
réciprocité homme-machine dans le portage, alors que le carcan, lui, ne cède
jamais son tour.
Au reste, ces cavaliers, honnissant la route, visitaient
cependant villes et musées et sacrifiaient à un civisme allant jusqu'à se faire
réceptionner aux châteaux ... Grand bien leur fasse, cette tradition chez
la gent cavalière serait mal supportée par une caravane de cyclotouristes, pour
autant qu'on trouverait une noblesse disposée à les accueillir.
Vous me voyez coi, lecteurs, devant mon papier devenu
horriblement faux et inutile :
« Entre Paris et Namur, écrivais-je, doublerions-nous
La Ferté-Milon par les prés et franchirions-nous dans le chaos le Roc Latour
dans les Ardennes ? »
Car je croyais bien que le cavalier du départ était celui de
l'arrivée et celui du retour.
Mais non ! Ils furent quatre par animal.
Ce concours de chevaux, décidément, avait été mal présenté
dans son titre. Au lieu de : « À cheval de Paris à Namur et retour »,
les auteurs se devaient d'écrire : « Le beau raid de chevaux
entraînés. »
Au temps où la trop fameuse noble conquête de l'homme
permettait, seule, d'aller au plus vite d'une ville à l'autre, il y avait des
relais ... mais c'étaient des relais de chevaux ...
Une furieuse tempête habite mon crâne ...
Quoi faire, avec une simple bicyclette, qui corrigerait
l'outrance d'un Brans, parti seul pour Saïgon ; amenderait le raid
hippique, épique et par équipes de Paris à Namur, et échapperait à la monotonie
kilométrique des randonneurs de longs chemins ? Nos grands pédaleurs, qui,
tout de même, ne regardent pas assez le paysage qu'ils déchirent, sont des
costauds.
Ils fournissent un exempte autrement convaincant que ces
doctes cavaliers à raison de quatre par bête (je l'ai déjà dit).
Ce n'est pas que je cherche noise aux cavaliers, gens respectables
au même titre que d'autres. Toutefois j'ai encore le souvenir de celui qui,
penaud, au Bois de Boulogne, recherchait à pied son cheval qui l'avait déposé « quelque
part dans un fourré » ...
J'avais pu, à bicyclette, rattraper la bête, comme elle
rentrait docilement — et seule — à l'écurie. Et je revenais
renseigner ce cavalier démonté et tourmenté.
Comme je m'approchais de lui, il détourna la tête avec un tel
mépris que je cours encore ...
* * *
De toute façon, laissez-moi, sinon rattraper l'idée maîtresse
de mon papier, au moins étaler la conclusion que je voulais en tirer, à savoir :
Qu'il serait peut-être agréable, étant donné un parcours — Paris-Namur,
par exemple, — de tirer une ligne droite sur la carte et d'essayer de la
suivre, au plus près, en n'utilisant que les routes secondaires, les chemins
forestiers, les sentiers parfois.
Quelles découvertes ne ferions-nous pas !
Je pense qu'au soir nous aurions suffisamment roulé — et
marché un peu — pour éprouver le salutaire vertige d'être parti.
Cette manière de procéder était exploitée par un petit
groupe que je croisai, il y a deux ans, au sommet d'un col muletier dans les
Alpes.
Ayant questionné l'un d'eux, celui-ci me répondit :
— Nous sommes venus par la route de Paris à Annecy et
Talloires. À présent, nous gagnons la Suisse pour y entrer par Vallorcine et La
Forclaz. Nous allons suivre à peu près la ligne droite, en passant par-dessus les
montagnes : les cols muletiers des Nantets, de la Croix Fry, des Confins,
d'Anterne, etc.
Ceux-là étaient des purs, des vrais ... comme il en est
à profusion dans le milieu cyclotouriste ... C'est tellement vrai que les
montagnards, perchés là haut dans leurs fermes-chalets, ne s'affolent plus au
passage d'un quelconque cyclo muletier , autrement dit un cycliste
conjuguant les verbes rouler, marcher et porter à la fois.
— Bonjour … dépêchez-vous …Il y a deux jeunes
filles à un quart d’heure devant vous … avec leur vélo sur l’épaule. Vous
pourriez peut-être les aider … Il y a aussi un petit groupe, mais
loin … Voulez-vous un coup de lait ?
René CHESAL.
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