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Grande culture

La pluie et le beau temps …

Éternel sujet de conversation, mode facile d'entrée en matière lorsque quelque sujet important ne hâte pas l'entretien, motif des préoccupations des agriculteurs, qui ne trouvent que des moyens bien imparfaits de se soustraire aux influences qui dominent leurs travaux.

Les semaines d'hiver passent ; le bulletin météorologique, trois fois par jour, nous annonce la marche des perturbations atmosphériques, la température en quelques points du territoire, et s'efforce de nous faire comprendre le sens probable de l'évolution du temps dans les heures à venir. Les semaines passent et quelles impressions font-elles sur les hommes des champs ? Ont-ils le droit d'aller plus loin que les prévisions et de tirer quelque enseignement des faits quotidiens ? Enregistrer et réfléchir, tel est notre lot.

Un fait : sur beaucoup de points du territoire, il ne pleut pas, car je n'appelle pas pluie une sorte de bruine qui mouille la surface du sol sans la pénétrer. Des chiffres sont éloquents : nous faisons partir à la ferme extérieure de Grignon nos observations du 1er novembre, la date qui correspond à la moyenne des semis convenables de blés ; le 8 janvier, le pluviomètre n'avait encore recueilli que 71 millimètres d'eau, alors que des observations anciennes sur vingt ans donnaient 50 millimètres par mois. Le déficit est marqué, et l'impression fâcheuse que laissent les années écoulées de sécheresse ne se dissipe pas. D'ailleurs, il suffit de noter l'état des sources peur en être convaincu.

Immédiatement, que se passe-t-il ? Les céréales en terre se développent régulièrement, les derniers blés semés ont levé avec un peu de lenteur d'abord, mais ils progressent ; cela ne veut pas dire qu'ils soient hors de danger, car février nous guette peut-être ; les blés plus anciens se fortifient, leurs racines se fixent au sol et, en cas d'accident, les dégâts seraient atténués. En parcourant ces blés, on trouve la terre en bon état physique superficiel ; pas de tassement, la structure est bonne. Faut-il s'inquiéter des mauvaises herbes qui, évidemment, aiment ces conditions atmosphériques, caractérisées, d'autre part, par une température très douce ? Il ne semble pas qu'il y ait un danger sérieux, les traitements chimiques y pourvoiraient en temps opportun. Jusqu'à présent, nous nous trouverions dans la situation favorable à une bonne récolte. Hâtons-nous de dire « jusqu'à présent », car la situation peut évoluer en sens absolument contraire.

Ailleurs, les oléagineux ont bonne allure ; on a noté des différences dans les jours passés, d'après l'époque des semis, et l'on serait tenté, en raison de ces circonstances, d'être moins enclin à semer très tôt ; moins que pour le blé, il ne faudrait se hâter de conclure d'après les faits actuels.

Ce qui réjouit, c'est la pousse de l'herbe ; on a rarement vu le bétail dehors aussi longtemps, trouvant de l'herbe tendre à sa disposition ; fait heureux devant la faiblesse des réserves comme conséquence de la sécheresse prolongée de 1949.

Passons aux travaux en cours ; les transports de fumier ne connaissent pas les jours faciles où les véhicules circulent sur la terre gelée, car non seulement il ne pleut pas, mais il ne gèle pas. Il ne faut trop tarder, sous peine de faire de mauvais enfouissements par des labours mal réglés. Il faut aussi songer aux bons résultats que donnent les transports de l'engrais de ferme entre moissons et semailles sur terre saine, en jours longs ; c'est toute une technique différente à acquérir, en ne songeant pas indéfiniment aux jours occupés par des transports en hiver alors que l'on n'a rien à faire ; que d'erreurs ! Nous y reviendrons.

Les labours se poursuivent ; ces légères précipitations qui ne mouillent pas à fond rendent la terre humide en surface ; les tracteurs, qui manquent d'adhérence, n'avancent pas toujours comme il conviendrait ; les chevaux et les bœufs s'agitent à une allure plus lente, mais ils progressent sûrement. N'empêche que la terre, retournée dans l'un et l'autre cas, se divise, sauf en terres calcaires argileuses à éléments fins qui roulent sur le versoir. Il sera sage de diminuer bientôt la profondeur de la bande retournée, car, s'il ne gèle pas et s'il ne pleut pas, les mottes ne se diviseront plus dans l'épaisseur de la couche arable, et il faudra user d'instruments de division, dont le rôle devrait diminuer dans un travail du sol raisonné.

Encore une fois, il ne s'agit pas de partir de ces prémices pour imaginer ce que sera la moisson dans six mois, ni préjuger de l'allure de la saison agricole. Toutefois, il est permis de construire des hypothèses, quitte à les modifier à mesure des événements. S'il devait faire sec encore, dès les premiers beaux jours il importerait de mettre en terre, à la condition qu'elle soit saine, les semences de céréales de printemps, de commencer de bonne heure la plantation des pommes de terre, de semer les betteraves en prenant de l'avance, de songer à une rotation étudiée pour les fourrages de printemps. Il serait également recommandable d'aider dès que possible les céréales d'hiver, même vigoureuses, par des apports d'engrais azotés appropriés. Ailleurs, il ne serait pas utile de recommander de sortir, dès que la terre aurait pris suffisamment de résistance en surface, le bétail, dont l'hiver aurait mal assuré l'entretien.

Il ne faudrait pas attendre trop tard pour constituer les réserves de désherbants, se documenter sur le mode d'emploi de chacun, car il règne encore quelques incertitudes à ce sujet. Peut-être rien de tout cela ne sera valable ; raison de plus pour établir avec précision un plan à allure tout à fait différente. Parce qu'il fait doux, d'anciens dictons tendraient à nous faire penser à des Pâques froides. Singulier métier qui oblige à marcher à tâtons, mais qui rend indispensables les mesures de sécurité.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°637 Mars 1950 Page 166