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Maison d'artiste en Périgord

Parmi les nombreuses habitations que j'ai édifiées dans diverses régions de France, aucune n'est placée dans un site aussi magnifique que le Moulin du Roy, perché fièrement sur la colline historique de Domme, en Sarladais, à 200 mètres au-dessus de la Dordogne. De l'étroit plateau sur lequel il se dresse, et mieux encore de l'atelier du deuxième étage, on jouit d'une vue admirable.

J'ai construit le Moulin du Roy pour un camarade d'enfance, Maurice Pugnère, artiste peintre. Grièvement blessé pendant la guerre 1914-1918, Pugnère est mort en 1940. Les guerres ne lui ont pas été favorables.

Voici en quels termes s'exprimait Maurice Pugnère parlant du paysage splendide devant lequel il dressait son nid :

« À nos pieds, la Dordogne paresseuse serpente en méandres infinis. Les lointains bleus, doucement vallonnés, s'estompent et vibrent et se confondent dans l'horizon gris. Les routes, en longs rubans pâles, escaladent les collines où s'étagent les masses de chênes verts et de châtaigniers. Comme un immense damier multicolore, la plaine juxtapose les terres rouges et les vastes prairies. Et le noyer, roi, moutonne la vallée de ses frondaisons régulières. Au centre de ce cirque de 40 kilomètres, altière sur son rocher abrupt, Domme, la perle du Périgord noir. »

Silhouette générale.

— Le Moulin du Roy est essentiellement une tour ronde de deux étages en pierre dure assisée, surmontée d'un vaste encorbellement en ciment armé vitré de toutes parts, coiffé en poivrière. Il rappelle dans son ensemble les tours et les donjons du vieux Périgord, mais sans copie mesquine dans le détail, sans essai d'anachronisme. L'interprétation est restée libre, découlant seulement de l'emploi des matériaux.

Distribution.

— Nous accédons au Moulin du Roy par un perron en pierre brute encadré par deux murs bahuts sur lesquels prennent place deux jarres à huile de noix. Nous entrons dans la salle commune du rez-de-chaussée, à la fois cuisine et salle à manger, d'où l'on a vue sur quatre points de l'horizon. Entre deux fenêtres, se trouve la grande cheminée rustique en grosse pierre brute apparente, dont les jambages sont arrondis en demi-cylindre et dans laquelle se trouvent les traditionnels « bancs de cantou » en chêne sur soubassement en pierre. Les « bancs de cantou », étant à couvercle abattant, peuvent servir de coffre à bois. Près de la salle commune, se trouve le lavabo, d'où l'on passe au w.-c.

L'escalier est apparent dans la salle commune. Le départ est encadré par une balustrade pleine à redans, avec tablettes portant jardinières. Cet escalier, qui longe la paroi de la tour, conduit sur le palier du premier étage, devant la porte d'une chambre. Face à cette porte se trouve le lit, adossé à une paroi à fond plat, entre les deux fenêtres ; dans le coin droit, se trouvent un lavabo d'angle et une penderie sous l'escalier ; dans le coin gauche, se trouve un placard. Sur les deux parois rondes, à droite et à gauche de la porte, s'adossent deux meubles à fond convexe.

L'escalier nous conduit ensuite au deuxième étage, sur un palier où nous trouvons les portes de l'atelier, de la salle de bains et d'un escalier en colimaçon qui monte au troisième étage, dans la toiture conique.

L'atelier, qui fait face à la vallée par ses huit grandes fenêtres, se développe en vaste demi-cercle de 9m,50 de diamètre. La forme originale est encore accusée par les détails constructifs. Sur la paroi diamétrale, le mur montant de la tour laisse percer deux têtes en demi-cylindre, au-dessus desquelles passe la maîtresse poutre en ciment armé du plancher supérieur. Cette poutre présente en son milieu, au-dessus du rond-point demi-circulaire de rentrée d'atelier, un culot massif rond en ciment armé, d'où partent les poutres rayonnantes qui rejoignent les meneaux. Ainsi, en entrant dans l'atelier, on aperçoit au plafond un éventail. Les meneaux de l'atelier ayant une forte épaisseur, il a été fait seulement un remplissage en brique mince à double paroi sur la face extérieure. Une tablette en ciment armé arase le dessous des fenêtres. Ainsi, sous ces fenêtres se trouvent huit placards bas de 25 centimètres de profondeur. À l'une des extrémités de l'atelier, une porte donne accès à une penderie. À l'autre extrémité, on sort sur une loggia qui comprend quatre intervalles entre meneaux. Dans la salle de bains, se trouvent lavabo, bidet et baignoire en mosaïque.

L'escalier en colimaçon nous conduit au troisième étage dans la chambre en bois. Ici, en effet, finit le règne du ciment armé. Dans la belle flèche conique en charpente se trouve une superbe chambre-bibliothèque ronde de 5m,50 de diamètre. Sept lucarnes en enfoncement lui donnent lumière et vue sur le paysage.

Chaque enfoncement a 1m,80 de large, de sorte qu'on peut placer un divan sous chaque lucarne. La huitième lucarne n'existe pas : sa place est occupée par la cheminée. Sur cette face borgne est prévue la paroi de fond pour un grand lit. Entre les sept lucarnes. Se trouvent des placards profonds qui, garnis d'étagères, peuvent recevoir des milliers de livres. Toutes ces parois de lucarnes et de placards sont en frises de pin rouge. Au plafond, les poutres apparentes rayonnent autour du gros poinçon de la charpente. Entre les poutres rayonnantes, d'autres petites poutres dessinent des polygones concentriques. Le dessin des frises en pin rouge, au-dessus des poutres, finit d'accuser la forme géométrique de cette chambre dans laquelle j'eus, en m'éveillant, un matin de novembre 1937, l'impression de me trouver dans un décor de féerie semblable à ceux de Blanche-Neige.

Au plafond de la chambre en bois, un panneau est mobile, et l'on peut ainsi accéder à la partie haute de la charpente.

Construction.

— Le sous-sol du Moulin du Roy a été creusé dans le rocher, qu'on a dû faire sauter à la mine. Ainsi la tour se trouve profondément et solidement encastrée de manière à résister aux plus violentes tempêtes. Cette tour, de 60 centimètres d'épaisseur, a été construite en blocs de démolition des anciens remparts de Domme, édifiés sous Philippe Auguste, démantelés sous Louis XIV. Le mortier est en ciment Portland naturel de Domine et sable de Dordogne.

Les planchers et l'escalier sont en ciment armé. Pour le plancher du deuxième étage, qui se prolonge en encorbellement et subit des efforts importants, le Portland artificiel a remplacé le ciment de Domine. Au-dessus des fenêtres du premier étage, règne sur la maçonnerie une forte ceinture en ciment armé de 60 centimètres d'épaisseur et de 90 centimètres de hauteur. Cette ceinture est encore raidie par les deux poutres en croix et la dalle du plancher du deuxième étage. Sur cette ceinture viennent s'accrocher seize consoles travaillant à arrachement et portant chacune un meneau. La charge totale portée par les consoles, y compris les surcharges de planchers, de toiture, la pression du vent, a été évaluée approximativement à 110 tonnes. La section statique des consoles a été déterminée par le calcul, et sur le profil statique est venu saillir légèrement un profil décoratif.

Sur les seize consoles s'élèvent seize meneaux en ciment armé, qui séparent les fenêtres de l'atelier, de la salle de bains, les baies de la loggia. Ces meneaux sont reliés à leur partie supérieure par une légère ceinture en ciment armé formant linteau circulaire. Une grosse poutre maîtresse traverse diamétralement le plancher haut de l'atelier, reliant deux meneaux extrêmes et s'appuyant au passage sur le demi-cylindre montant du mur de la tour. Du centre de cette poutre, partent vers les meneaux des nervures rayonnantes réunies par une dalle de 7 centimètres d'épaisseur.

Sur cette plate-forme en ciment armé, qui se trouve à la base de la flèche, repose la charpente. Le parquet de la chambre en bois a pu être posé directement sur la dalle en ciment, car c'est elle qui supplée à tout. Chaque arbalétrier repose à sa base sur une semelle courte dirigée vers le centre. De l'arrêt de cette semelle montent des potelets moisés qui servent aussi de montants pour les placards de la chambre en bois. Les semelles sont accrochées par des boulons scellés a la dalle en ciment armé, qui joue ainsi le rôle d'entrait général. Les arbalétriers sont reliés entre eux par des pannes droites formant ceinture polygonale, mais ces pannes sont débardées suivant le cône ; cela reste logique, puisqu'elles se rapprochent du ventre de poisson, plus étroites aux extrémités qu'au milieu, où le moment fléchissant est maximum. Ces pannes, dont la section est de plus en plus réduite au fur et à mesure qu'on approche du sommet, sont assez rapprochées pour qu'on ait pu supprimer les chevrons. Sur les pannes repose directement un voligeage jointif, sur lequel a été clouée la tuile plate gironnée de Roumazières.

Nous trouvons au sous-sol caves, buanderie, chaufferie avec chaudière de chauffage central et dépôt de charbon. L'eau de Domme arrive au Moulin par canalisation, et un réservoir de secours a été installé au comble. Un paratonnerre, bien nécessaire en ce point culminant, protège les habitants de la foudre.

Le Moulin du Roy avait coûté 150.000 francs, toutes installations comprises.

Gérard TISSOIRE,

Architecte.

Le Chasseur Français N°637 Mars 1950 Page 174