On croit communément que le « laquage » des dents,
auquel procèdent certaines populations de l'Asie orientale, s'effectue par
l'application de trois couches de miel et de noir de fumée.
En réalité, il n'en est rien ; l'opération est beaucoup
plus compliquée. D'ailleurs le terme « laquage », couramment employé,
est impropre. Il s'agit plus exactement d'un noircissement de la dentition.
Sans vouloir entrer dans le détail du noircissement tel
qu'il est pratiqué en Indochine, nous dirons que cette opération comporte
quatre phases.
La première phase, préparatoire, dure trois jours. Elle
consiste en un curage, un brossage et un nettoyage extrêmement soigneux des
dents. Ce nettoyage est effectué avec des tranches de citron et des gargarismes
au jus de citron ou au vinaigre. Pendant ces trois jours, il est impossible au
patient de prendre la moindre alimentation solide ; sa denture, devenue
extrêmement sensible, ne le supporterait pas.
Après cette phase préliminaire, nous en arrivons à la phase
dite de la teinture en rouge, qui consiste à enduire deux bandelettes découpées
dans une feuille de bananier d'une pâte composée essentiellement de gomme laque
brute et d'appliquer ces bandelettes sur les dents de chacune des mâchoires.
L'application est faite le soir avant de se coucher. Elle est gardée toute la
nuit et dure dix nuits consécutives. Cette teinture rouge constitue un mordant.
À remarquer que la gomme-laque, ou stick-lack, est un produit tout à fait
différent de la laque, produit végétal, provenant de l'arbre à vernis. Pendant
ces dix jours, il faut s'abstenir d'aliments gras et chauds, mais on peut
manger des fruits acides à volonté.
La troisième phase est celle de la teinture en noir. Le
procédé d'application est le même que pour la teinture en rouge, mais trois
nuits sont suffisantes. La pâte employée est composée de sulfate de fer, de
galle de Chine et d'écorce de grenade séchée. Le tout est réduit en poudre et
aromatisé de cannelle, de fleur de badiane et de clous de girofle.
Enfin, pour terminer, la phase de consolidation consiste à
se frotter les dents avec le produit noirâtre et sirupeux obtenu par la
combustion du péricarpe ligneux de la noix de coco.
Il convient de préciser, cependant, que la technique exposée
ci-dessus n'est pas la seule employée et que d'autres populations utilisent des
méthodes plus simples, mais aussi moins efficaces. D'une façon générale, ces
méthodes consistent à fixer sur les dents, au moyen de l'alun, le suc de
certains arbres d'essences dures. Ce suc est obtenu par la combustion partielle
du bois.
Des importants travaux des professeurs Huard et Leriche, il
résulte que le noircissement ne préserve pas les dents de la carie, car ce
noircissement est toujours incomplet, la face triturante n'étant pas colorée.
En Indochine, le noircissement des dents est surtout
pratiqué par les Annamites du Delta tonkinois. Il est devenu rare en
Cochinchine, et il tend à disparaître même au Tonkin, surtout dans les villes.
Les Japonais ne se noircissent plus les dents depuis la fin du siècle dernier.
Cette coutume n'existe pas en Chine, où le Chinois est fier de la blancheur
éclatante de ses dents, mais encore plus fier lorsque ses moyens lui permettent
de les couronner d'or.
J. DE N ...
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