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De la poule au pot à l'art de pédaler.

Dans les environs de Pamiers (Ariège), la route venant du petit village de P ... franchit les grottes du Mas d'Arize.

Curieuse chose en vérité. Et, pour avoir beaucoup roulé, je n'avais cependant pas eu l'occasion de le faire dans des grottes.

Comme toujours, le grand ruban qu'entretiennent les Ponts et Chaussées ne fournit point, de lui-même, cet émoi que procure le sentier inférieur.

En la circonstance, il m'eût fallu piétiner la terre meuble, sinon pénétrer dans des eaux ... Car les grottes contiennent des cavernes, de longs couloirs et des enclos que seul le marcheur peut atteindre.

La loi touristique ne saurait être enfreinte. Les grandes beautés se gagnent, comme les fleurs se cueillent ...

Je reviendrai au Mas d'Arize. Ne serait-ce que parce qu'à proximité le village de P ... renferme, dit-on, de curieux vestiges. C'est la rumeur qui m'en a informé, et, pour la rédaction du présent éditorial, je n'ai consulté aucun guide, aucune collection, aucune carte. Autant dire qu'en la minute j'écris, peut-être, la pire bêtise ...

P … donc, est protégé par un château historique — propriété privée ; ce qui interdit d'y pénétrer simplement, — lequel contiendrait aux places mêmes où il les y a laissés nombre d'objets qu'utilisait le bon roi Henri IV.

Je donne l'information pour ce qu'elle vaut ... Des soieries seraient encore dans leur forme, un clavecin n'attendrait que la caresse de mains au sang bleu, que sais-je ? ...

Passe encore pour le clavecin qui, en moins de quatre cents ans, avec les matériaux de l'époque, peut encore résister au temps, et au profit de qui peut jouer la protection de l'encaustique ...

Mais les soieries !

« Elles ne résisteraient pas à l'approche d'un plumeau », m'a-t-on assuré ...

Autant dire que le vol d'une mouche risque de les faire s'effriter ... Alors ?

Alors j'ai remis à septembre ma visite à ce domaine fabuleux, si tant est que l'espérance d'entrer puisse m'habiter ...

J'ai craint, en portant assaut au coteau où s'accroche la demeure ancestrale, de perdre mes illusions. J'ai craint d'apprendre que mes informations étaient fausses et que du roi il ne restait que le souvenir ...

Qui m'eût reçu en haut de ce terre-plein ?

Ou quoi ?

Nul, évidemment, n'eût coulé sur moi du plomb fondu ... mais admettez qu'une radio tonitruante ait salué mon ascension et qu'un valet de pied — modèle 1950 — m'ait réceptionné ...

Quelle déconvenue !

Tandis que mes espoirs sont intacts ... mes illusions dito ... et c'est là toute la vie : Espérer, attendre.

À propos de valet de pied, laissez-moi vous conter une courte histoire.

Avec six compagnons savoyards, nous grimpions à l'Iseran, avant qu'il ne se pare, sur le versant Lanslebourg, d'une route devenue la plus haute d'Europe ... Pour atteindre au col, il nous fallut — vélo sur l'épaule — franchir éboulis et névés durant six kilomètres ...

Quelle équipée ! L'orage avait tonné la nuit et détraqué le temps pour les premières heures ... Des ennuis mécaniques nous avaient retardés ... Aussi, lorsque nous pûmes distinguer une masse supposée être le refuge, avions-nous recouvré un courage nouveau ...

— Pourvu qu'il y ait de quoi manger ... ou seulement nous abriter ...

Nous frappâmes à l'huis sans que le chalet-refuge (appelez-le comme vous l'entendez) nous ait révélé ses formes estompées dans le brouillard ...

Certes, nous n'avions fière allure que dans le sens où l'héroïsme montagnard se substitue au vêtement d'apparat ... Mais à l'altitude ! Comment se vêt-on, sinon de lainages, de souliers, de givre, de barbe mal taillée et d'yeux creux ?

L'huis s'ouvrit ...

Un barman du dernier chic apparut à nos yeux qui n'en croyaient mais : veston blanc, cravate, pantalon dans le pli et gomme sur la chevelure ...

Nous fûmes éblouis et déçus ...

— Cassons la croûte à l'abri du vent, nous proposa l'un d'entre nous, j'ai encore du camembert.

Et voilà comment, à 2.600 mètres (environ), nous croyant dans le monde de l'infini, nous n'étions qu'aux Champs Élysées ... (1).

Nous détonnions ... et n'avions point songé que, par l'autre versant, les cars, déjà, apportaient des mangeurs tout préparés en paquets bien ficelés.

Donc, je n'ai pas grimpé au château de P ... l'autre dimanche ... Voyez-vous que le roi en personne eût été là ... ou Sully ...

D'autant qu'une solide poule au pot m'attendait à l'hôtel du pays, un plat de tripes, aussi, avec, sans doute, des mamelles dedans ...

Comme tout voyage a une suite, je me trouvai, le lendemain, à Toulouse, parmi les 441 cyclistes réunis pour participer à un rallye de la Foire.

Simple formalité sur 60 kilomètres environ ... mais formalité qui s'aggrava du fait que le vent de Narbonne (le vent d'Autan) souffla en tempête durant la moitié du parcours ...

Il est vrai qu'au retour nous profitâmes largement de son aide.

Et je constatai que le vélo, s'il continue d'être de tous les âges, certes, a perdu nombre de vieilles tiges, charmées par l'appoint du moteur auxiliaire ... La jeunesse folle, c'est-à-dire la belle jeunesse, était maîtresse de nos allures encore mesurées du début de saison ... mais on sentait que tout cela piaffait sous la jupe légère, sous le short un peu présomptueux, sous la culotte qu'on trouve par contre démodée.

Mais je constatai, hélas ! que le style manque et que les jeunes n'ont pas les éducateurs qu'il leur faudrait (au moins en nombre). Combien de côtes montées sur des développements trop grands, combien de renoncements dans le vent pour la même raison, combien de positions trop hautes, combien de descentes irréfléchies, combien de bûches cent fois évitables, combien de coups de fringale dus, uniquement, à un manque d'aliment solide ... combien, enfin, d'incidents techniques dus à des montages défectueux ou enfantins ! ...

L'armée des cyclotouristes a besoin d'être instruite comme l'armée des coureurs, car le vélo n'est agréable que s'il se pratique dans la facilité musculaire et la tranquillité cérébrale.

Ah ! la belle balade ! ... Ah ! Pyrénées très bien vues la veille ... entrevues le jour du rallye ! ... Ah ! montagnes ... c'est chez vous qu'on cueille la fleur de vie ... à vos pentes ... à vos sommets !...

Mais de cela je vous en toucherai un mot dans notre prochain numéro ...

Avant de clore, je saluerai cependant Miss Cyclo 1950, élue à Toulouse par un aréopage — en pleine Foire — de doctes personnalités qui mesurèrent d'un œil attentif beaucoup la taille des candidates et un peu le gabarit du vélo ...

René CHESAL.

(l) Je précise qu'on nous reçut fort aimablement.

Le Chasseur Français N°640 Juin 1950 Page 348