Dans une précédente causerie, nous avons exposé la forme
vertigineuse de la « maladie nerveuse des chiens ». Voici l'exposé
que nous fait Me L ..., de la forme ambulatoire.
« Je chasse avec un ami qui possède 3 chiens : un
Setter Gordon âgé de dix ans, un Setter, sept ans, et une chienne courante de
sept ans. Je possède moi-même une Setter Gordon de quatre ans. Nos chiens
d'arrêt sont très bons. Au mois de janvier, je chassais, avec cet ami et son
Setter Gordon, à la bécasse au bois. Trois quarts d'heure environ après
l'entrée en chasse, son chien s'arrête brusquement, comme raidi ; il
titube, l'arrière-train manque, il tombe assis sur le côté, mais les deux
pattes de devant restent debout, de sorte que seul l'arrière touche terre.
L'avant vacille comme si le chien était ivre, puis il tombe sur le côté, les
pattes raides, atteintes d'un tremblement nerveux, les dents claquent
fortement, bouche baveuse, yeux dilatés, vitreux. Cela dure quatre ou cinq
minutes, puis le chien se redresse sur ses pattes de devant, l'arrière toujours
à terre sur le côté ; il jappe, puis se met à aboyer d'une voix à moitié
éteinte. Il continue à japper et paraît vouloir s'élancer sur son maître. Cela
dure une demi-heure. On arrive à passer une corde au cou de l'animal, on le
tire à nous de loin, il marche. On le rentre à la ferme et, au bout d'une
heure, il allait très bien, comme auparavant. Il revient au chenil, où il mange
très bien, est gai, joue, etc.
» Un mois après, nouvelle chasse à la bécasse : il
arrête un gibier, va chercher la pièce tuée et la rapporte. Il reprend la
chasse quand, subitement, il titube, l'arrière lui manque, l'avant restant
debout, puis il tombe sur le côté, jambes raides, claque des dents, bave. Cela
dure cinq minutes ; il se relève et se met à fuir. On a dû passer un
après-midi à le joindre dans le bois. Dès qu'on l'approchait, il s'enfuyait.
Bref, le soir, il s'est laissé très docilement prendre par la fille du garde
qui l'avait rencontré. Rien ne paraissait plus en rentrant au chenil ; il
mange bien, est très gai, très souple et joyeux.
» Entre temps, on avait pris le Setter de sept ans, vivant
dans le même chenil que le chien malade. On entre en chasse, le chien
arrête, reprend la chasse, puis subitement est pris d'une crise semblable à
celle de l'autre chien : même attaque absolument avec toujours l’idée
de fuir.
» Le troisième chien, chienne courante âgée de sept
ans, aurait eu, d'après la domestique, une crise semblable dans le chenil.
» De quoi cela peut-il provenir ? De quelle
maladie s'agit-il ? Jamais ces chiens n'avaient donné signe de maladie
quelconque. J'ajoute enfin que, lors de l'attaque du premier chien, nous avons
consulté le vétérinaire, qui nous a dit que, d'après les symptômes indiqués, il
pouvait s'agir de la gale auriculaire. On a lavé les oreilles au savon, puis
mis des gouttes de créosote, benzine, etc., un mélange indiqué, je crois, par
Moussu. Malgré cela, le chien a été repris de sa crise, comme je vous le dis
ci-dessus, crise moins intense que la première en tant que manifestations
épileptiformes, mais plus longue en ce qui concerne l'idée de fugue.
Quel est ce mal qui paraît contagieux, et qu'aurais-je à
faire pour en prémunir ma chienne ?»
Ce qui frappe tout d'abord, à la lecture des descriptions
des cas observés, c'est l'apparition soudaine pendant l'exercice, chez des
chiens qui n'avaient jusque-là jamais présenté de signes de maladies, de crises
nerveuses plus ou moins violentes et dramatiques après lesquelles la tendance à
la fugue domine. Chose bizarre, un auteur anglais a décrit des attaques
simultanées, collectives, sur trois ou quatre chiens ; au moment précis où
une crise se déclare sur un chien, ses compagnons, dont certains n'avaient
jamais été malades auparavant, montrent soudain des signes d'excitation, se
mettent à aboyer à l'unisson, accomplissent presque les mêmes gestes, tournent
en rond, s'enfuient ou tombent atteints d'une crise épileptique, etc.
Après toute crise, ainsi que l'indique mon correspondant, le
retour à la santé est, en général, rapide ; tout au plus peut-il persister
des tremblements ou de l'hébétude qui disparaissent par la suite. Dans un même
chenil, tous les sujets peuvent être atteints, les attaques apparaissant le
même jour ou se manifestant successivement sur chaque chien et au bout d'un
intervalle variable.
Dans une commune ou une région, tous les cas se déclarent,
généralement, en quelques jours. Si la maladie affecte le type mental,
le plus grave, au cours duquel on remarque une tendance nette à mordre, la
perte absolue de la sensibilité et du contrôle des actes, le chien ne
reconnaissant plus son maître, celui n'hésite parfois pas à l'abattre, le
croyant atteint de la rage.
Malgré le caractère parfois très grave des attaques, la
guérison de la plupart des chiens atteints, en France, est généralement la
règle. Dans la région observée par notre confrère Rossi (Saône-et-Loire, Rhône
et Ain), la mortalité n'a pas dépassé 2,4 p. 100 ; mais nombreux
furent, au début, les malades abattus par leurs propriétaires affolés. Quelle
est la nature de la maladie de la peur ? En l'état actuel de nos
connaissances, il est bien difficile de répondre d'une façon précise à cette
question.
Les études et recherches françaises ainsi que les relations
d'autopsies faites à l'étranger ont successivement éliminé les lésions
encéphaliques, cardiaques ou pulmonaires. Aucun parasite microscopique n'a été
vu dans l'oreille, le nez, le sang, le cœur. L'helminthiase intestinale ne peut
être retenue. L'examen microscopique du cérumen ne permit pas de déceler le chorioptes,
agent qui provoque l'otite parasitaire ou épilepsie contagieuse des chiens
de meute. La linguatulose nasale doit être rejetée, car les autopsies ne
firent pas voir de linguatules.
On incrimine tantôt le régime alimentaire, notamment les
biscuits, tantôt l'infection de l'organisme par un bacille particulier, tantôt
une aberration fonctionnelle mentale, sans relation avec une maladie organique
du système nerveux, chez des chiens névrosés, prédisposés à exagérer les
réflexes et les troubles émotionnels. En résumé, toute l'étude étiologique de
cette singulière affection reste encore à faire. Quant au traitement, on s'en
rapportera au jugement du vétérinaire, qui fera de la médecine symptomatique
avec les hypnotiques, les calmants, prescrira un repos prolongé, une nourriture
légère, l'administration d'un vermifuge et d'une purgation pour débarrasser
l'organisme des causes fréquentes d'excitations, réflexes, etc.
G. MOREL,
Médecin vétérinaire.
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