Accueil  > Années 1950  > N°641 Juillet 1950  > Page 404 Tous droits réservés

Causerie vétérinaire

La "maladie de la peur"

Dans une précédente causerie, nous avons exposé la forme vertigineuse de la « maladie nerveuse des chiens ». Voici l'exposé que nous fait Me L ..., de la forme ambulatoire.

« Je chasse avec un ami qui possède 3 chiens : un Setter Gordon âgé de dix ans, un Setter, sept ans, et une chienne courante de sept ans. Je possède moi-même une Setter Gordon de quatre ans. Nos chiens d'arrêt sont très bons. Au mois de janvier, je chassais, avec cet ami et son Setter Gordon, à la bécasse au bois. Trois quarts d'heure environ après l'entrée en chasse, son chien s'arrête brusquement, comme raidi ; il titube, l'arrière-train manque, il tombe assis sur le côté, mais les deux pattes de devant restent debout, de sorte que seul l'arrière touche terre. L'avant vacille comme si le chien était ivre, puis il tombe sur le côté, les pattes raides, atteintes d'un tremblement nerveux, les dents claquent fortement, bouche baveuse, yeux dilatés, vitreux. Cela dure quatre ou cinq minutes, puis le chien se redresse sur ses pattes de devant, l'arrière toujours à terre sur le côté ; il jappe, puis se met à aboyer d'une voix à moitié éteinte. Il continue à japper et paraît vouloir s'élancer sur son maître. Cela dure une demi-heure. On arrive à passer une corde au cou de l'animal, on le tire à nous de loin, il marche. On le rentre à la ferme et, au bout d'une heure, il allait très bien, comme auparavant. Il revient au chenil, où il mange très bien, est gai, joue, etc.

» Un mois après, nouvelle chasse à la bécasse : il arrête un gibier, va chercher la pièce tuée et la rapporte. Il reprend la chasse quand, subitement, il titube, l'arrière lui manque, l'avant restant debout, puis il tombe sur le côté, jambes raides, claque des dents, bave. Cela dure cinq minutes ; il se relève et se met à fuir. On a dû passer un après-midi à le joindre dans le bois. Dès qu'on l'approchait, il s'enfuyait. Bref, le soir, il s'est laissé très docilement prendre par la fille du garde qui l'avait rencontré. Rien ne paraissait plus en rentrant au chenil ; il mange bien, est très gai, très souple et joyeux.

» Entre temps, on avait pris le Setter de sept ans, vivant dans le même chenil que le chien malade. On entre en chasse, le chien arrête, reprend la chasse, puis subitement est pris d'une crise semblable à celle de l'autre chien : même attaque absolument avec toujours l’idée de fuir.

» Le troisième chien, chienne courante âgée de sept ans, aurait eu, d'après la domestique, une crise semblable dans le chenil.

» De quoi cela peut-il provenir ? De quelle maladie s'agit-il ? Jamais ces chiens n'avaient donné signe de maladie quelconque. J'ajoute enfin que, lors de l'attaque du premier chien, nous avons consulté le vétérinaire, qui nous a dit que, d'après les symptômes indiqués, il pouvait s'agir de la gale auriculaire. On a lavé les oreilles au savon, puis mis des gouttes de créosote, benzine, etc., un mélange indiqué, je crois, par Moussu. Malgré cela, le chien a été repris de sa crise, comme je vous le dis ci-dessus, crise moins intense que la première en tant que manifestations épileptiformes, mais plus longue en ce qui concerne l'idée de fugue.

Quel est ce mal qui paraît contagieux, et qu'aurais-je à faire pour en prémunir ma chienne ?»

Ce qui frappe tout d'abord, à la lecture des descriptions des cas observés, c'est l'apparition soudaine pendant l'exercice, chez des chiens qui n'avaient jusque-là jamais présenté de signes de maladies, de crises nerveuses plus ou moins violentes et dramatiques après lesquelles la tendance à la fugue domine. Chose bizarre, un auteur anglais a décrit des attaques simultanées, collectives, sur trois ou quatre chiens ; au moment précis où une crise se déclare sur un chien, ses compagnons, dont certains n'avaient jamais été malades auparavant, montrent soudain des signes d'excitation, se mettent à aboyer à l'unisson, accomplissent presque les mêmes gestes, tournent en rond, s'enfuient ou tombent atteints d'une crise épileptique, etc.

Après toute crise, ainsi que l'indique mon correspondant, le retour à la santé est, en général, rapide ; tout au plus peut-il persister des tremblements ou de l'hébétude qui disparaissent par la suite. Dans un même chenil, tous les sujets peuvent être atteints, les attaques apparaissant le même jour ou se manifestant successivement sur chaque chien et au bout d'un intervalle variable.

Dans une commune ou une région, tous les cas se déclarent, généralement, en quelques jours. Si la maladie affecte le type mental, le plus grave, au cours duquel on remarque une tendance nette à mordre, la perte absolue de la sensibilité et du contrôle des actes, le chien ne reconnaissant plus son maître, celui n'hésite parfois pas à l'abattre, le croyant atteint de la rage.

Malgré le caractère parfois très grave des attaques, la guérison de la plupart des chiens atteints, en France, est généralement la règle. Dans la région observée par notre confrère Rossi (Saône-et-Loire, Rhône et Ain), la mortalité n'a pas dépassé 2,4 p. 100 ; mais nombreux furent, au début, les malades abattus par leurs propriétaires affolés. Quelle est la nature de la maladie de la peur ? En l'état actuel de nos connaissances, il est bien difficile de répondre d'une façon précise à cette question.

Les études et recherches françaises ainsi que les relations d'autopsies faites à l'étranger ont successivement éliminé les lésions encéphaliques, cardiaques ou pulmonaires. Aucun parasite microscopique n'a été vu dans l'oreille, le nez, le sang, le cœur. L'helminthiase intestinale ne peut être retenue. L'examen microscopique du cérumen ne permit pas de déceler le chorioptes, agent qui provoque l'otite parasitaire ou épilepsie contagieuse des chiens de meute. La linguatulose nasale doit être rejetée, car les autopsies ne firent pas voir de linguatules.

On incrimine tantôt le régime alimentaire, notamment les biscuits, tantôt l'infection de l'organisme par un bacille particulier, tantôt une aberration fonctionnelle mentale, sans relation avec une maladie organique du système nerveux, chez des chiens névrosés, prédisposés à exagérer les réflexes et les troubles émotionnels. En résumé, toute l'étude étiologique de cette singulière affection reste encore à faire. Quant au traitement, on s'en rapportera au jugement du vétérinaire, qui fera de la médecine symptomatique avec les hypnotiques, les calmants, prescrira un repos prolongé, une nourriture légère, l'administration d'un vermifuge et d'une purgation pour débarrasser l'organisme des causes fréquentes d'excitations, réflexes, etc.

G. MOREL,

Médecin vétérinaire.

Le Chasseur Français N°641 Juillet 1950 Page 404