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Maison familiale en Lorraine

J'avais édifié cette maison, avant guerre, dans un village de Lorraine. Le terrain, en légère surélévation au-dessus de la route, était bordé par un mur de clôture en maçonnerie. La façade principale se présentait à l'est, avec la plus belle vue vers la vallée de la Moselle. La somme disponible était limitée. Mais le propriétaire, homme assez intelligent pour savoir qu'il ignorait l'architecture, m'avait laissé entière liberté pour composer la maison à ma guise, me faisant confiance pour obtenir le meilleur résultat avec une dépense réduite.

J'établis donc la maison sur plan à peu près carré avec entrée latérale, mur de refend portant solivage et pannes, toit à deux pentes largement débordant sans fermes, cinq pièces principales se groupant en façade vers le soleil levant et le panorama. Je dressai les plans et devis descriptif, je fis un appel d'offres de prix entre les entrepreneurs et artisans locaux, et la maison fut traitée, avec toutes installations, pour 75.000 francs.

Distribution.

— Du portail de clôture, on accède à un perron et à un vaste porche latéral formé par le prolongement d'un versant de toiture et porté par deux belles colonnes en chêne tourné. À droite du porche, nous trouvons la porte d'entrée en chêne avec panneau en fer forgé portant l'initiale du propriétaire. Cette porte ouvre sur un beau vestibule de 2 mètres de large sur 5 mètres de long, où nous trouvons les portes du salon, de la salle à manger, de la cuisine, du lavabo-vestiaire commandant le w.-c., ainsi que le départ d'escalier et la porte de descente de cave.

Le salon (16 m2 environ) s'éclaire en façade principale par une très grande baie en anse de panier. Deux grands panneaux reçoivent piano, casier à musique, bibliothèque. Un bureau-table de travail se place au milieu. Une porte pliante à trois vantaux assure large communication avec la salle à manger.

La salle à manger (25 m2 environ) s'éclaire en façade principale par une très grande baie en anse de panier semblable à celle du salon. Deux grands panneaux reçoivent grand buffet lorrain et bahut lorrain formant desserte, et d'autres petits meubles peuvent y trouver place. Au milieu, une grande table reçoit de nombreux convives.

La cuisine (13 m2 environ) s'éclaire en façade postérieure par trois fenêtres juxtaposées. Dans un angle se groupent : cuisinière, à bois et charbon, évier avec double égouttoir, cuisinière électrique. Sur une autre face, s'étale un grand placard. Au milieu se place une grande table, où l'on peut manger à six ou huit personnes.

L'office, situé entre la cuisine et la salle à manger, comporte un placard avec portes à coulisse et une longue table dont le dessous peut être aménagé en placard.

L'escalier nous conduit au 1er étage sur un palier, où nous trouvons les portes de trois chambres et de la salle de bains.

La chambre 1 (20 m2 environ) s'éclaire en façade principale par une grande porte-fenêtre ouvrant sur un grand balcon. Une grande penderie où l'on circule debout, court le long de cette chambre, dans la partie basse du rampant de toiture.

La chambre 2 (12 m2) donne aussi en façade principale par une porte-fenêtre ouvrant sur le balcon.

La chambre 3 (14 m2 environ) s'éclaire par trois fenêtres en façade postérieure. Elle comporte également une penderie latérale.

La salle de bains (7 m2 environ) comporte baignoire, lavabo, bidet, w.-c. L'escalier nous conduit ensuite au 2étage, vers la pointe du pignon, où nous trouvons : grande chambre devant avec penderies latérales, chambre de bonne derrière, petit grenier latéral.

Redescendant l'escalier, nous arrivons au sous-sol, où nous trouvons : cave, caveau, buanderie, atelier.

Construction.

— Les murs extérieurs sont en maçonnerie de moellons du pays de 0m,50 d'épaisseur hourdés au mortier de chaux hydraulique, avec soubassement en moellons apparents assisés naturellement en carrière, de sorte qu'il n'a pas été nécessaire de les tailler. Les encadrements de baies sont en pierre de taille de Savonnières finement moulurée, mais avec grandes gorges. Le balcon est en ciment armé sur consoles en pierre de taille, avec balustrade en chêne dont les poteaux principaux portent jardinières et dont les fuseaux sont finement tournés.

Les grandes colonnes du porche sont aussi en chêne tourné ; les balustrades d'appui des fenêtres, le portail de clôture, toutes les menuiseries extérieures sont en chêne.

Les solivages, la haute charpente sont en sapin des Vosges. Les parquets sont en chêne au rez-de-chaussée, en sapin aux étages.

Les avant-toits débordent partout d'un mètre, protégeant maçonneries et menuiseries. Les saillies d'avant-toit sont soutenues par des consoles chantournées. Les fenêtres et portes-fenêtres sont fermées à l'extérieur par des volets roulants.

Il n'a pas été installé de chauffage central. Le chauffage a été prévu par poêles de faïence, suivant la tradition, et c'est là certainement l'un des procédés les plus agréables et les plus efficaces. Cependant, l'aménagement du chauffage central a été rendu possible par la présence de six tuyaux de fumée construits en briques. Ces tuyaux, groupés en deux blocs, viennent émerger du toit près du faîtage, ce qui est mieux au point de vue esthétique, mieux aussi pour le tirage, surtout en pays froid.

Aspect extérieur.

— Bien que très simple dans ses formes générales, cette maison se présente sous un aspect pittoresque et élégant, avec son toit saillant sur consoles, son porche latéral, son pignon de façade avec les ouvertures pyramidantes, le grand balcon, les balustrades et jardinières fleuries. Les bois tournés et chantournés, la souple mouluration de la pierre de taille donnent dans le détail une impression de délicatesse impossible à retrouver dans un petit dessin. Pour compléter tout cela, j'avais fait peindre sous l'avant-toit de façade, par mon cher vieil ami Gustave Létrillart, aujourd'hui disparu, un décor de vigne vierge aux teintes d'automne. Létrillart, qui était né à Barbizon — « Millet venait chercher le lait chez ma grand'mère », — peignait admirablement la nature, et il savait pourtant accompagner discrètement l'architecture sans la contrarier.

Je termine par une petite anecdote. Un soir d'été, comme les travaux étaient presque terminés, je trouvai, faisant les cent pas sur la route, un propriétaire voisin qui construisait presque en face ... « Elle est jolie, cette maison, me dit-il, mais avec ce grand toit, est-ce qu'elle est « logeable » ? — Suivez-moi », répondis-je, et je lui fis visiter la maison de la cave au grenier, lui faisant remarquer non seulement les commodités, mais encore les détails de construction, la force des bois de charpente, la perfection et l'étanchéité des menuiseries ...

Elle est vraiment épatante, conclut-il, mais qu'est-ce qu'elle doit coûter ? — 75.000. — Pas possible ! La mienne revient à 250.000, et elle n'est ni si commode, ni si jolie. — Elle est grande, répondis-je, il y a un beau tas de matériaux, et l’exécution me paraît sérieuse. Mais il faut bien admettre quelque peu la supériorité de l'esprit sur la matière, du talent, de la connaissance et de la recherche sur la vulgarité, l’ignorance et la facilité ... Et puis ... chacun son métier, les vaches seront bien gardées. »

Gérard TISSOIRE,

Architecte.

Le Chasseur Français N°641 Juillet 1950 Page 430